Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur, président :

Madame Le Dain, vous avez raison, il faut sans doute commencer par se demander qui est concerné, comment sont identifiés ceux qui font l'objet d'une perquisition ou d'une assignation à résidence. Jean-Frédéric Poisson et moi nous posons ces questions, et c'est pour cela que notre contrôle n'est pas en chambre : nous nous rendons dans les préfectures, nous y voyons les chefs des services – de tous les services, police judiciaire, renseignement territorial, sécurité intérieure, sécurité publique, gendarmerie… Nous examinons alors des cas précis, sur lesquels nous avons pu être amenés à nous interroger : nous demandons qui est à l'origine de la mesure prise, ce qui s'est concrètement passé.

À l'échelle nationale, le ministre de l'intérieur a créé un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT), qui siège place Beauvau. Présidé par le ministre lui-même, il se réunit de façon extrêmement régulière. C'est là que sont passés au crible les objectifs des perquisitions et des assignations à résidence, sur la base sans doute des informations qui reviennent des départements. À votre question, je réponds donc par l'affirmative. Ce n'est pas tel ou tel préfet qui prend telle ou telle initiative : la réflexion se tient bien dans un cadre national.

Une grande partie des mesures administratives sont d'ailleurs signées, non pas par le préfet, mais par le ministre de l'intérieur lui-même.

Toutes les questions qui viennent d'être soulevées touchent au coeur du problème : nous sommes là pour préparer le jour d'après, c'est-à-dire le 26 février. Si le Gouvernement devait nous demander la prorogation de l'état d'urgence au-delà de cette date, notre devoir serait, à notre sens, de fournir à l'Assemblée nationale une grille de lecture de ce qui s'est passé pendant ces trois mois d'état d'urgence. Quelle est la plus-value de l'état d'urgence par rapport au droit commun, en matière de lutte contre le terrorisme ? Voilà la question que nous nous posons. Une grande partie des questions que vous m'avez adressées, monsieur Morel-A-L'Huissier, avec M. Fenech, touchent d'ailleurs précisément au droit commun – je pense notamment à celles qui portent sur le RAID, la BRI, le GIGN, les GIR... Ce n'est pas aujourd'hui notre sujet.

Vous nous avez interrogés sur les fichiers alphabétiques de renseignements (FAR) de la gendarmerie. À ma connaissance, ils existent toujours. Ils ont été intégrés à la base de données de sécurité publique (BDSP), qui est l'outil de la gendarmerie – et d'ailleurs à mon sens l'un des meilleurs outils de collecte de l'information au plan national. La police ne dispose pas d'équivalent de la BDSP, dont je précise que l'accès est restreint. Le renseignement, qu'évoquait Alain Tourret, est aussi un outil de droit commun, qui fonctionne.

Il y a une plus-value de l'état d'urgence, c'est évident. Mais quelle est son efficacité ? Quel doit être le périmètre de l'état d'urgence ?

Quels moyens avons-nous de vérifier la véracité des informations qui nous sont fournies par le ministre ? Tout d'abord, vous nous avez accordé les pouvoirs d'une commission d'enquête. Nous mentir est une infraction pénale. Nous organiserons donc ici même des auditions soutenues, après prestation de serment, afin de croiser les informations avec celles qui nous auront été délivrées lors de nos visites sur le terrain.

Erwann Binet a raison : dans les éléments matériels dont nous disposons, le sentiment d'humiliation, comme le non-respect de sommations, n'apparaît pas. Un dialogue avec les individus est donc nécessaire. Sur le terrain, nous voyons évidemment les chefs de service, mais nous n'écartons pas l'idée de rencontrer également les commissaires ou les commandants de brigade qui ont procédé aux investigations. Cela implique que nous disposions d'éléments suffisants pour poser des questions précises : nous ne faisons pas cela pour le plaisir de la conversation... C'est pourquoi nous procédons à un carottage : nous n'allons pas étudier les 2 721 perquisitions qui ont eu lieu jusqu'à présent.

Monsieur Tourret, les chiffres qui m'ont été fournis hier soir indiquent qu'il y a eu 273 gardes à vue, à la suite des 2 721 perquisitions, des 419 infractions constatées et de la découverte de 434 armes. Nous n'interrogeons pas le ministère sur la durée de ces gardes à vue, et vous faites bien de nous signaler ce point : nous allons nous y intéresser de plus près.

Les saisies informatiques font partie des vingt-quatre items de notre liste. Nous avons d'ailleurs débattu de cette question avec des chefs opérationnels : pendant le débat parlementaire, la question de savoir s'il fallait prévoir une saisie du matériel informatique, ou si une simple copie était suffisante, s'est posée ; le Parlement a décidé que la copie suffisait, les éléments dont je disposais comme rapporteur me semblant aller dans ce sens. Nous vérifions sur le terrain si c'est bien le cas.

Monsieur Raimbourg, la proportion des perquisitions administratives débouchant sur une procédure judiciaire est aujourd'hui limitée, puisqu'elle est de 20 %. Mais faut-il en conclure à l'inefficacité de la perquisition ? Il faut en effet du temps pour analyser la copie des données informatiques. De plus, une perquisition peut permettre de dissiper une suspicion née de faisceaux d'indices qui paraissaient converger. Si quelqu'un peut nous dire précisément, statistiquement, ce qu'est l'efficacité, nous en serons très heureux ! Pour le moment, nous tâtonnons.

Les informations de la Chancellerie n'ont commencé à nous arriver qu'hier : le processus est naturellement plus long. Dans beaucoup de cas, nous n'en sommes qu'au stade de l'information préliminaire, et les parquets ne sont pas encore saisis. Nous aurons rapidement le détail des détentions provisoires, que nous avons évidemment demandé, ainsi que le détail des incarcérations en exécution de peine. Nous pourrons ainsi mieux lire le chiffre brut des incarcérations.

Le territoire n'est pas concerné de manière uniforme : c'est la raison pour laquelle nous allons diversifier nos déplacements, en nous rendant dans différents départements, y compris certains qui ne viennent pas spontanément à l'esprit quand on pense à ces sujets.

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