Intervention de Erwann Binet

Réunion du 20 janvier 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur :

Six mois après la discussion en première lecture du projet de loi relatif au droit des étrangers en France, nous nous retrouvons pour l'examiner en nouvelle lecture. Le fait qu'il soit désormais intitulé « Maîtrise de l'immigration » peut vous éclairer sur les raisons de l'échec de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 24 novembre 2015. La maîtrise de l'immigration n'est évidemment pas un gros mot, mais réduire ainsi le texte à ce slogan dénote une vue partielle, voire partiale, de la question.

Cependant, et même si un grand nombre de dispositions m'apparaissent inacceptables, je ne voudrais pas caricaturer l'action du Sénat. Je l'ai dit, et je le pense toujours : les sénateurs ont apporté de nombreuses améliorations formelles utiles, ainsi que diverses avancées de fond, que je vous proposerai de conserver moyennant quelques précisions. C'est par exemple le cas de l'article 23 bis A, sur les étrangers placés en zone d'attente, ou encore de l'article 28 bis A, qui réprime la fraude documentaire. Le renforcement des droits de la personne dans la procédure de communication prévue à l'article 25, que nous avions nous-mêmes largement amendé, doit également être porté au crédit du Sénat. Le travail accompli par notre collègue François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des Lois du Sénat, a été de grande qualité et, malgré nos désaccords, nos échanges furent extrêmement fructueux.

Je vous proposerai pour l'essentiel de revenir au texte adopté par notre Assemblée le 23 juillet dernier, le cas échéant en supprimant des ajouts du Sénat. Nous allons examiner l'ensemble des articles, je n'évoque donc, maintenant, que les plus significatifs.

À l'article 10, la notion d'accès « effectif » à un traitement médical, dans le cadre de la procédure « étrangers malades », a été écartée par le Sénat. Nous la réintroduirons évidemment.

À l'article 11, le périmètre de la carte de séjour pluriannuelle a été fortement restreint par nos collègues sénateurs. Or il s'agit d'une disposition essentielle de ce texte.

Différentes avancées en matière de protection des droits, notamment les droits des victimes de violences conjugales ou familiales, issues en particulier d'articles additionnels adoptés par notre commission en première lecture – les articles 10 ter, 10 quater, 13 quinquies et 13 sexies –, ont été supprimées par le Sénat, qui a, en revanche, inséré des dispositions nouvelles inacceptables à mes yeux, notamment le remplacement de l'aide médicale d'État par une « aide médicale d'urgence », qui est l'objet du nouvel article 13 octies.

À l'article 14, le Sénat a durci le dispositif d'obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le délai de départ volontaire se trouve ainsi raccourci, passant de trente jours à sept jours, tandis que la durée de l'interdiction de retour, qui était de trois ans, est portée à cinq ans. Ce n'est pas non plus acceptable.

Des systèmes de caution et d'attestation municipale d'hébergement ont été créés aux articles 14 bis et 14 ter.

Le séquençage de la rétention administrative prévu par l'Assemblée nationale a été rejeté pour en rester au droit commun, à l'article 19 bis A.

Plus significatif encore, le Sénat a supprimé une des avancées majeures de ce projet de loi, à savoir la priorité donnée à l'assignation à résidence sur le placement en rétention, aux articles 19 et 22.

Nous ne pouvons accepter ces évolutions – en fait, des régressions. Sur tous ces points, je vous proposerai de faire prévaloir nos vues. Nous étions parvenus à un texte équilibré.

Je m'arrêterai un instant sur une modification, à l'article 18 A, qui m'a interpellé. Nous avions, chacun s'en souvient, transféré au juge des libertés et de la détention l'ensemble du contentieux de la rétention, en le faisant intervenir quarante-huit heures après le début de la rétention, alors que son intervention n'est aujourd'hui prévue qu'au bout de cinq jours. Le Sénat a répondu par une contre-proposition inattendue : confier au juge administratif un pouvoir de pleine juridiction dans ce domaine, et donc lui permettre de réformer la décision administrative. Cette initiative était intéressante et j'avais promis, en commission mixte paritaire, de l'expertiser, d'en peser les avantages comme les inconvénients. J'ai donc consulté des juges administratifs comme des magistrats judiciaires. La proposition du Sénat a reçu auprès d'eux un accueil unanimement hostile. Je proposerai donc à l'Assemblée nationale de restaurer la compétence du juge des libertés et de la détention.

Enfin, je suis extrêmement réticent à l'idée du vote par les parlementaires d'un quota triennal d'étrangers autorisés à s'installer en France. Cette mesure et, conséquemment, le refus automatique des visas de long séjour aux étrangers qui déposeraient une demande une fois que le quota serait atteint sont prévus à l'article 1er A, dont je doute que la Commission puisse l'accepter.

Les ambitions qui étaient les nôtres lors du premier examen de ce texte demeurent inchangées : respecter les droits de l'étranger, pour la première moitié de ce texte, et faire respecter le droit des étrangers, dans la seconde moitié. L'un ne va pas sans l'autre, nous devons restaurer cet équilibre. Nous allons nous prononcer non pas sur la maîtrise de l'immigration mais sur les conditions d'existence de ceux qui vivent avec nous, auprès de nous, une partie de leur vie, et sont parfois si attachés à notre pays qu'ils demandent leur naturalisation.

Nous sommes une nation ouverte et généreuse ; nous le serons plus encore demain. Accueillons avec bienveillance les étrangers qui ont vocation à vivre pour une période plus ou moins longue dans notre pays, une bienveillance à la hauteur de l'exigence d'intégration que nous exprimons à leur égard.

Nous sommes aussi un État de droit qui entend faire prévaloir ses lois ; ce sera plus encore le cas demain avec ce texte.

Je vous invite, par conséquent, à restaurer ces objectifs dans leur plénitude, à voter les amendements que je m'apprête à vous présenter, et à adopter enfin ce projet de loi auquel nous aurons rendu son intitulé originel : « Droit des étrangers en France ».

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