La réunion

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

La séance est ouverte à onze heures quinze.

Présidence de M. François Rochebloine, président

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J'ai le plaisir d'accueillir Mme Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI), dont les recherches sont essentiellement consacrées à la question de l'économie pétrolière. En 2008, vous avez soutenu, madame Aoun, une thèse à l'Université de Paris-Dauphine sur la rente pétrolière et le développement économique des pays exportateurs. Vos compétences s'inscrivent donc parfaitement dans le champ de notre mission.

L'Azerbaïdjan fait, en effet, partie des pays dont le développement a été vigoureusement soutenu en son temps par ce qu'il est convenu d'appeler la « manne pétrolière », mais il se découvre aujourd'hui en situation d'étroite dépendance à l'égard des cours du marché et ne saurait éviter de se poser à terme la question de l'épuisement des ressources naturelles que sont le pétrole et le gaz.

Pourrez-vous commencer par dresser un tableau de l'économie pétrolière en Azerbaïdjan ? Quelle est sa place dans l'économie globale du pays ? Quelle est la part de la rente pétrolière dans les recettes budgétaires ? Comment l'Azerbaïdjan affronte-t-il les risques que lui fait supporter la prépondérance des produits pétroliers dans ses sources de revenus ? Comment appréciez-vous la compétitivité effective du gaz et du pétrole azerbaïdjanais sur le marché mondial ? Quelle peut être l'incidence sur cette compétitivité du récent accord russo-turc concernant le gazoduc dit Turkish Stream ? Comment l'Azerbaïdjan a-t-il répercuté la baisse de ses recettes sur ses choix budgétaires ?

L'exportation de ces produits implique un certain nombre de relations et de projets, en particulier le recours à des oléoducs et à des gazoducs qui les acheminent vers l'Europe occidentale via le Corridor Sud. Les controverses qui ont surgi autour de ces installations présentes et futures ne sont pas seulement techniques, mais aussi géopolitiques. Quelle est la position de l'Azerbaïdjan en la matière ? Est-il davantage un pays de transit qu'un pays producteur ?

Enfin, s'il existe en Azerbaïdjan une société pétrolière d'État, la SOCAR, le pays a fait appel par son intermédiaire à de grandes sociétés étrangères, notamment françaises, pour exploiter son pétrole et son gaz. Pouvez-vous nous donner un aperçu de leurs activités, non seulement en termes quantitatifs mais aussi en incluant des données sur les conditions qualitatives de cette activité, sur la situation actuelle et la rentabilité à terme de ces investissements et sur l'évolution prévisible des coûts de production ? Il semble en effet que les caractéristiques physiques des gisements encore exploités entraînent un alourdissement significatif de ces coûts. Est-ce le cas ?

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invitée. Je suis très honoré de m'exprimer devant votre mission d'information. Mon intervention portera sur la géopolitique de l'énergie, d'une part sur le secteur gazier, notamment sur la question du Corridor Sud et de ses implications pour l'Europe et pour le jeu russo-turc que vous avez mentionné, d'autre part sur le secteur pétrolier, dans un contexte de baisse des cours depuis 2014. Je ne suis pas certaine de disposer de tous les éléments de réponse aux questions que vous avez posées sur les compagnies pétrolières.

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Vous pourrez éventuellement nous transmettre des éléments par écrit après cette audition.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

L'Azerbaïdjan dispose de ressources énergétiques très abondantes, notamment de ressources gazières. Ses réserves prouvées de gaz naturel s'élèvent à plus de 1 000 milliards de mètres cubes, ce qui n'est évidemment pas comparable aux réserves de la Russie, de l'Iran ou du Qatar – 24 000 milliards de mètres cubes pour ce dernier pays.

Le gaz azerbaïdjanais provient de trois sources principales : quelques gisements domestiques, qui sont tous en déclin ; le gisement offshore Azeri-Chirag-Guneshli, de gaz associé au pétrole, exploité par SOCAR pour le compte d'un consortium d'une dizaine de compagnies internationales piloté par BP ; le gisement offshore géant de Shah Deniz, découvert en 1999, qui produit aujourd'hui environ 10 milliards de mètres cubes par an, et grâce auquel l'Azerbaïdjan est devenu un exportateur net de gaz en 2007.

L'Azerbaïdjan a une consommation domestique de gaz importante : 10 milliards de mètres cubes par an. Son mix énergétique est composé à 60 % de gaz, à 35 % de pétrole et, pour le reste, d'énergies renouvelables, notamment d'hydroélectricité et d'énergie issue de la biomasse. Il présente à cet égard le même profil que de nombreux autres pays pétroliers, notamment du Moyen-Orient : ces pays préfèrent exporter le pétrole, car la rente pétrolière est très élevée, et garder le gaz pour leur consommation domestique, celui-ci étant beaucoup plus coûteux à produire et, surtout, à transporter.

L'Azerbaïdjan produit actuellement 18 milliards de mètres cubes de gaz par an. Il en consomme 10 milliards, je l'ai dit, et en exporte 6,6 milliards vers la Turquie, 1 à 2 milliards vers la Géorgie et un volume très faible vers le Sud de la Russie. Auparavant, l'Azerbaïdjan importait du gaz russe. Depuis 2007, il exporte du gaz vers la Russie, l'infrastructure ayant été inversée à cette fin. Cependant, il est arrivé ces dernières années, notamment en 2015, qu'il fasse appel à des importations de gaz russe pour satisfaire ses besoins domestiques, en raison d'une baisse de la production de certains gisements liée à des problèmes d'investissement. Il s'agit toutefois de difficultés transitoires.

Il y a une demande croissante pour le gaz azerbaïdjanais, de la part de la Turquie, qui a des besoins très importants en gaz, mais aussi du marché domestique local et, dans une moindre mesure, de la Géorgie.

Le gisement de Shah Deniz produit actuellement, je l'ai dit, 10 milliards de mètres cubes par an. En 2020, après la mise en service d'une deuxième phase du projet, il devrait produire un volume supplémentaire de 16 milliards de mètres cubes, dont 6 milliards seront exportés vers la Turquie et 10 milliards vers l'Europe.

Pour exporter le gaz de Shah Deniz vers l'Europe, l'Azerbaïdjan a retenu, en 2011, les projets de gazoducs Trans-Anatolian Pipeline (TANAP), qui traverse le territoire turc d'Est en Ouest, et Trans-Adriatic Pipeline (TAP), qui relie la Turquie au Sud de l'Italie via la Grèce et l'Albanie. Ces projets étaient en concurrence avec le projet Nabucco, soutenu par la Commission européenne.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Oui, c'est clairement un échec politique de l'Europe. La Commission européenne soutenait fortement le projet Nabucco, qui visait à diversifier les sources d'approvisionnement pour réduire la dépendance à l'égard du gaz russe, mais il n'y avait pas d'accord entre les États membres. En réalité, Nabucco était un gazoduc très coûteux, qui devait transporter des volumes de gaz très importants et traverser un grand nombre de pays, notamment la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l'Autriche. Le Corridor Sud, composé successivement du South Caucasus Pipeline (SCP) – qui relie l'Azerbaïdjan à la Turquie –, du TANAP et du TAP, traversera moins de pays et transportera des volumes plus réduits.

Dans ce contexte, la Turquie est un pays très important. Le marché gazier turc est le seul qui soit en expansion en Europe : le taux de croissance de la demande de gaz est d'environ 7 % en Turquie ; il est presque au niveau de celui de la Chine, ce qui en fait l'un des plus élevés au monde. La Turquie importe la totalité des 48 milliards de mètres cubes de gaz qu'elle consomme. Elle en fait venir la moitié de Russie, soit via l'Ukraine, soit via le gazoduc Blue Stream, qui relie directement les deux pays. Elle se fournit aussi auprès de l'Iran, avec lequel un jeu de pouvoir pourrait se dessiner dans les prochaines années. Elle achète 6 milliards de mètres cubes à l'Azerbaïdjan, soit 12 % du total. Le reste est constitué par des volumes plus réduits de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance d'Algérie et du Nigéria.

La Russie observe le marché turc de très près : elle essaie de préserver sa part de marché, notamment par rapport à l'Iran. L'Azerbaïdjan est un pays intéressant du point de vue de la Turquie, car il lui permet de diversifier ses sources d'approvisionnement, compte tenu notamment de ses relations compliquées et assez instables avec la Russie.

Le projet de gazoduc Turkish Stream, annoncé en décembre 2014 par Vladimir Poutine, a été mis de côté quelques mois plus tard en raison des tensions diplomatiques avec Ankara, mais est réapparu cet été à la faveur du rapprochement russo-turc. Il vise à remplacer le projet South Stream, qui devait acheminer le gaz russe vers l'Europe à travers la mer Noire, mais a été abandonné en raison du contexte difficile avec l'Union européenne. Turkish Stream reprend en partie le tracé de South Stream, dans lequel Gazprom avait déjà beaucoup investi. Cela explique pourquoi la Russie tient à ce projet.

L'objectif initial était que Turkish Stream transporte 63 milliards de mètres cubes de gaz. Aujourd'hui, ce qui est annoncé, ce sont deux lignes permettant d'acheminer environ 15 milliards de mètres cubes chacune. De nombreux experts estiment cependant que c'est un peu ambitieux et qu'il n'est pas certain que la deuxième ligne soit réalisée. La construction commencerait en 2017 et Turkish Stream serait mis en service en 2020 ou 2022. À cette date, la Russie devrait donc exporter vers la Turquie un volume supplémentaire de 15 à 30 milliards de mètres cubes.

Le gaz azerbaïdjanais est-il compétitif ? Quelles sont les perspectives à long terme ? Il y a quelques années, on pensait que l'Azerbaïdjan avait un fort potentiel dans le domaine gazier, mais les chiffres ont été revus à la baisse ces derniers temps, car il s'agit d'un gaz offshore qui est coûteux à produire et, surtout, qu'il faut transporter sur de longues distances. Il n'est donc pas sûr que ce gaz puisse arriver sur les côtes européennes à un prix intéressant par rapport à celui qui est produit par le géant russe, celui-ci ayant une capacité très importante à réduire les prix.

Dans une étude qu'il a publiée cet été, l'Oxford Institute for Energy Studies estime que l'Azerbaïdjan produira environ 30 milliards de mètres cubes de gaz en 2020. Cette estimation semble assez réaliste : si l'on ajoute à la production actuelle de 18 milliards de mètres cubes les 16 milliards supplémentaires qui seront extraits à Shah Deniz et exportés par le Corridor Sud, en tenant compte par ailleurs du déclin des gisements domestiques, cela fait à peu près 30 milliards de mètres cubes. Pour 2025, alors que l'on annonçait une production de 60 milliards de mètres cubes il y a encore deux ans, on parle désormais plutôt d'un volume maximal de 40 milliards.

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Il devrait donc y avoir, à terme, une stabilité de la production ?

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Oui, d'autant que la production du gisement de Shah Deniz devrait atteindre un plateau en 2025.

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Dès lors, la production pourrait même diminuer ensuite ?

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Oui, car c'est un gisement qui n'est pas facile à exploiter. Les coûts de production sont élevés.

Le gaz azerbaïdjanais peut-il être compétitif sur le marché européen ? Dans l'étude que j'ai citée précédemment, l'Oxford Institute for Energy Studies estime que, compte tenu de ses coûts de production et de transport, le gaz azerbaïdjanais pourrait être livré sur les côtes italiennes au prix de 7 dollars par million de British thermal units (BTU) environ. Or, actuellement, le cours du gaz est de 3,5 à 4 dollars, ce qui est à peu près le prix auquel le gaz russe est livré à la frontière allemande dans le cadre des contrats de long terme avec Gazprom. La Russie s'aligne sur les prix du marché.

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Cela signifie que la Russie « mange » de l'argent ?

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Dans la phase actuelle, les Russes essaient de défendre leur part de marché face au GNL américain, qui arrive sur le marché européen. Ils ont donc réduit leurs prix.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Il y a effectivement des limites, compte tenu de la situation économique difficile que connaît actuellement la Russie.

Pour le marché européen au moins, la Russie a des avantages par rapport à tous les autres exportateurs de gaz : elle possède d'énormes réserves de gaz et dispose d'une capacité de production et de transport excédentaires. Le gaz russe emprunte principalement trois routes vers l'Europe : via l'Ukraine, via la Biélorussie et la Pologne, et via le gazoduc Nord Stream qui aboutit en Allemagne. La route qui passe par l'Ukraine n'est utilisée actuellement qu'à 40 %. Au total, la Russie a la capacité d'exporter 100 milliards de mètres cubes supplémentaires vers l'Europe. Elle est donc en mesure de réduire ses prix pour s'aligner sur ceux du marché. Les prix actuels sont les plus pas que l'on ait observés depuis 2004.

Dans ce contexte, le gaz azerbaïdjanais n'est pas tellement intéressant du point de vue européen, car il est, je le répète, assez coûteux à produire et à transporter. En revanche, il peut être compétitif par rapport au gaz russe sur le marché turc – je ne dispose pas de chiffres précis sur ce point. En d'autres termes, l'Azerbaïdjan est un fournisseur intéressant pour la Turquie.

Par ailleurs, si l'on se place, cette fois, du point de vue de l'Azerbaïdjan, notamment dans la perspective d'un éventuel développement plus poussé du Corridor Sud, il faut avoir en tête que le contexte sur le marché gazier européen n'est pas très favorable à long terme : en 2035, la consommation de gaz au sein de l'Union européenne devrait être au même niveau qu'en 2013, selon le scénario « Nouvelles politiques » de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Selon les différents scénarios de la Commission européenne, cette consommation, au mieux, augmentera légèrement, mais, plus probablement, stagnera, voire déclinera.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Oui. La production de gaz décline en Europe, donc les importations vont augmenter : l'Europe aura besoin d'environ 80 milliards de mètres cubes supplémentaires d'ici à 2035, toujours selon le même scénario de l'AIE. Mais la consommation va stagner à long terme. D'où une visibilité très faible pour ceux qui souhaiteraient s'engager dans des investissements lourds dans les infrastructures. Cela constitue une limite supplémentaire pour le développement du Corridor Sud. Rappelons que le projet initial était d'acheminer du gaz non seulement d'Azerbaïdjan, mais aussi du Turkménistan, de l'Iran et de l'Irak. Compte tenu du contexte actuel, de nombreuses incertitudes pèsent sur l'extension de ce projet. De l'avis de la plupart des experts, le Corridor Sud transportera uniquement ce qui est prévu aujourd'hui : 6 milliards de mètres cubes vers la Turquie et 10 milliards vers l'Europe. Sauf changement majeur, tout développement supplémentaire sera pour le long terme.

J'en viens aux acteurs français. Total était auparavant impliqué dans le projet de gazoduc TAP, mais il en est sorti. Aujourd'hui, il est opérateur du bloc offshore d'Apchéron, situé en mer Caspienne, et détient 40 % des parts dans ce projet. SOCAR en détient également 40 % et Engie 20 %. Les coûts de production sont très élevés. Les volumes produits seront assez faibles et destinés essentiellement à la consommation domestique. Une négociation a eu lieu au cours des dernières semaines, et Total se serait vraiment engagé dans ce projet – je n'ai pas de précisions à ce sujet. Total a déclaré qu'il s'agissait aussi pour lui de garder un pied en Azerbaïdjan en cas de changements dans les années à venir.

D'une manière générale, Total et Engie sont actuellement peu présents en Azerbaïdjan. Les coûts de production du gaz y sont élevés, et les perspectives pour acheminer ce gaz vers l'Europe sont relativement limitées.

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Dans votre thèse, vous évoquez « l'impact de la démocratie sur la croissance économique » et vous rappelez que « les institutions démocratiques fournissent un contrôle sur le pouvoir du gouvernement et entravent le développement des comportements de recherche de rente ou l'adoption de politiques impopulaires ». Il ne semble pas que l'Azerbaïdjan soit très respectueux des normes démocratiques élémentaires. D'après vous, ce défaut de démocratie peut-il être considéré comme un frein décisif au développement économique du pays ?

Vous indiquez, toujours dans votre thèse, que « la corruption dans les industries extractives est souvent considérée comme systémique » et se manifeste notamment lors de la délivrance de permis ou de licences d'exportation aux entreprises. Cette observation de portée générale trouve-t-elle à s'appliquer, selon vous, à l'Azerbaïdjan ?

Comment évaluez-vous la sécurité politique, juridique et financière des investissements des entreprises pétrolières françaises en Azerbaïdjan ?

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

L'Azerbaïdjan produit environ 850 000 barils de pétrole par jour. C'est un volume important, mais qui reste relativement limité par rapport à ce qu'extraient les grands producteurs mondiaux. Les exportations pétrolières représentent 80 % environ des exportations totales du pays. L'Azerbaïdjan est donc très dépendant à l'égard des recettes pétrolières. De 2004 à 2014, lorsque les prix du pétrole se sont envolés, jusqu'à 100 dollars et plus le baril à certains moments, à l'instar de nombreux pays producteurs de pétrole, l'Azerbaïdjan a accumulé des sommes très importantes, notamment dans son fonds souverain SOFAZ – State Oil Fund of Azerbaidjan –, dont l'encours a atteint près de 40 milliards de dollars. À partir de juin 2014, les cours du pétrole se sont effondrés.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Ils ont atteint un pic de 110 dollars le baril en juin 2014, puis se sont effondrés. Au début de l'année 2016, ils étaient de 30 dollars le baril, puis sont légèrement remontés. Au bout de presque deux ans, les pays producteurs se sont enfin accordés pour réduire la production : un accord est intervenu en ce sens au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) il y a quelques semaines, et les pays hors OPEP, dont la Russie et l'Azerbaïdjan, ont accepté de participer à cet effort collectif.

D'après les experts, notamment l'Agence internationale de l'énergie (AIE) qui a publié un rapport sur ce sujet il y a quelques jours, le marché pétrolier va de toute façon s'équilibrer d'ici à la fin de l'année 2017 : un certain nombre d'investissements n'ayant pas été réalisés en raison de la baisse des cours, les courbes d'offre et de demande vont de nouveau se croiser. L'accord conclu par les pays producteurs vise à accélérer un peu ce rééquilibrage, car quelques dollars supplémentaires par baril sont précieux pour nombre de ces économies aujourd'hui à terre. Compte tenu de ces éléments, les prix vont probablement augmenter au début de l'année 2017 et pourraient atteindre 55 à 60 dollars le baril.

Cependant, de nombreuses incertitudes demeurent. La grande inconnue, ce sont les pétroles de schiste américains. On constate que la production de ces pétroles, qui est très flexible et résiliente, augmente de nouveau. Dès lors, il est possible que les efforts consentis par les pays producteurs se révèlent inutiles. En tout cas, au vu de la situation actuelle de l'offre et de la demande, il est certain que les cours n'atteindront pas un niveau de 80 ou 100 dollars le baril à moyen terme : ils devraient se situer dans une fourchette de 50 à 60 dollars ; c'est le niveau sur lequel tablent les pays producteurs pour 2017. Toutefois, si les pétroles de schiste américains arrivent de nouveau massivement sur le marché, les prix risquent de baisser derechef.

Compte tenu de sa très forte dépendance à l'égard des recettes pétrolières, l'Azerbaïdjan traverse une crise économique assez marquée. Le pays est en récession : d'après un rapport publié par le Fonds monétaire international (FMI) il y a quelques semaines, le taux de croissance sera négatif en 2016, entre -2 % et -3 %. L'inflation s'élève à environ 8 %, et la monnaie a été dévaluée. Les autorités ont puisé quelques milliards de dollars dans le fonds souverain pour les injecter dans l'économie et la stabiliser. L'encours du fonds SOFAZ s'établit aujourd'hui à environ 33 milliards de dollars, contre 37 milliards en 2015. Signalons un élément intéressant mentionné dans le rapport du FMI : à la différence d'autres pays producteurs de pétroles tels que l'Algérie et l'Arabie saoudite, qui diminuent les salaires des fonctionnaires et les dépenses sociales, l'Azerbaïdjan essaie de mener une politique contracyclique en augmentant légèrement ces dépenses.

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C'est ce que nous ont dit l'ambassadrice de France à Bakou et l'ambassadeur d'Azerbaïdjan à Paris.

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Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l'Institut français des relations internationales (IFRI

Cette politique contracyclique est plutôt saluée par les institutions internationales, mais son effet reste très limité.

Les pays producteurs de pétrole, à l'exception, peut-être, de la Norvège, ne parviennent pas à diversifier leur économie et restent extrêmement dépendants de la rente pétrolière. C'est le cas de l'Azerbaïdjan.

L'échec des politiques de diversification s'explique par une série de mécanismes économiques. Selon une théorie largement diffusée dans la littérature de l'économie politique, les ressources pétrolières permettent de retarder toute réforme démocratique dans ces pays. Dans les périodes où les cours du pétrole sont élevés, on redistribue la rente pétrolière à la population : on augmente fortement les dépenses sociales, les salaires des fonctionnaires et les primes, on finance un système largement fondé sur le secteur public et on parvient ainsi à calmer les revendications démocratiques. Dans ces conditions, on n'arrive pas à développer les secteurs qui créent de la valeur ajoutée. Inversement, l'absence ou le déficit de démocratie a un impact négatif sur la croissance économique – ce que certains exemples semblent confirmer, mais d'autres non : on peut notamment penser à la Chine. En tout cas, la rente pétrolière conforte les régimes en place, ainsi que nous pouvons le constater dans les pays du Moyen-Orient. Dans les périodes où les cours sont bas, comme ces deux dernières années, ces régimes se sentent parfois déstabilisés parce qu'ils n'ont plus les moyens d'apaiser les revendications démocratiques.

Selon cette même théorie, la rente pétrolière alimente aussi la corruption. Je n'ai pas étudié de manière précise le cas de l'Azerbaïdjan de ce point de vue. Quoi qu'il en soit, la situation s'est très sensiblement améliorée au cours des dernières années : il y a désormais une transparence accrue dans l'industrie pétrolière, et les initiatives visant à rendre les revenus pétroliers plus transparents se sont multipliées. Les compagnies pétrolières sont désormais obligées de rendre publiques toutes les sommes qu'elles versent aux États, ceux-ci étant pour leur part obligés de rendre publiques toutes les sommes qu'ils reçoivent. Le respect de ces exigences fait partie des critères appliqués par les institutions internationales lorsqu'elles accordent des prêts. L'Azerbaïdjan s'inscrit lui aussi dans ce mouvement de transparence accrue. Son fonds souverain n'est pas nécessairement un modèle de transparence, mais il est considéré comme un exemple de bonne gestion des revenus pétroliers, ce qui est assez unique dans le paysage des pays producteurs de pétrole.

Pour en revenir au potentiel pétrolier de l'Azerbaïdjan, n'oublions pas que nous sommes dans un contexte d'épuisement des ressources pétrolières à long terme. Dès lors, ainsi que le souligne le récent rapport du FMI, il est urgent que l'Azerbaïdjan engage des réformes pour diversifier son économie et créer de nouvelles sources de revenus, à plus forte raison dans le contexte actuel de faibles prix du pétrole.

Je préfère ne pas m'exprimer sur les points plus précis que vous avez soulevés concernant l'Azerbaïdjan, monsieur le président, car ils ne relèvent pas de mon domaine de compétence.

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Merci beaucoup, madame, d'avoir accepté notre invitation et d'avoir répondu à nos questions.

La séance est levée à onze heures cinquante.