Intervention de Dominique Bussereau

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 10h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Dominique Bussereau, président de l'Assemblée des départements de France, ADF :

Les chiffres globaux que François Baroin a cités, ainsi que ce qu'il a dit de la règle d'or, des conséquences de la baisse du nombre des contrats aidés – particulièrement utilisés dans nos collèges, comme dans les lycées que gèrent les régions –, et des problèmes des bailleurs sociaux, tout cela vaut aussi pour les départements.

Les départements ont deux préoccupations financières essentielles : le financement de la solidarité sociale, c'est-à-dire des allocations individuelles de solidarité – revenu de solidarité active (RSA), prestation de compensation du handicap (PCH), et allocation personnalisée d'autonomie (APA) pour les personnes âgées –, et le coût des mineurs non accompagnés.

En 2016, les départements ont fortement contenu leurs dépenses de fonctionnement et, pour la première fois, la progression du nombre de bénéficiaires du RSA a cessé – peut-être en raison d'une légère reprise sur le front de l'emploi. Cependant la mesure relative aux contrats aidés et l'évolution de l'emploi nous donnent le sentiment que le nombre de foyers percevant le RSA augmente dans la seconde moitié de l'année 2017.

La maîtrise des dépenses de fonctionnement se traduit, par exemple, par la limitation de l'augmentation des dépenses de personnel à 0,7 % l'an dernier, malgré les hausses indiciaires favorables, en particulier, aux agents de catégorie C. Ces hausses nous sont imposées par l'État sans que nous ne soyons consultés ni même informés – nous apprenons la nouvelle par une dépêche de l'Agence France Presse.

Malheureusement, la baisse de l'investissement s'est poursuivie – il est en recul de 4 % en 2016 par rapport à 2015 –, et les aides versées au bloc communal ont diminué au détriment des très petites communes dont le département est le seul banquier. L'investissement des départements concerne principalement les collèges, le très haut débit, chantier soutenu par le Président de la République, et le réseau routier, dont les crédits constituent souvent une variable d'ajustement. Aujourd'hui, certains départements, comme la Seine-Saint-Denis, sont dans l'incapacité de construire de nouveaux collèges alors que leur population augmente fortement.

Heureusement, en 2016, les recettes des départements ont légèrement progressé en raison de la hausse de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Les majorités nouvellement élues ont procédé à des augmentations de cette taxe pouvant aller jusqu'à 40 % ou 50 % – l'effet de cette hausse peut toutefois être limité pour le contribuable si le taux de départ est faible. Il est vrai que les départements n'ont guère d'autres marges de manoeuvre et ne peuvent vraiment peser que sur une part du foncier bâti.

Par ailleurs, la reprise du marché de l'immobilier a permis de meilleures rentrées des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Cette recette a fortement augmenté dans les départements qui se portent bien – c'est le cas chez moi, en Charente-Maritime, sur le littoral atlantique, alors que la situation est plus difficile dans les Ardennes, en Ariège, en Corrèze, ou ailleurs. Il y a une injustice : les départements dont les dépenses de RSA et d'APA sont les plus fortes sont souvent ceux qui perçoivent le moins de DMTO.

L'année dernière, vingt et un départements se trouvaient en difficulté financière – ils avaient du mal à boucler leur budget –, contre trente l'année précédente. En 2016, certains départements n'ont pas pu payer la totalité du RSA. Cela ne signifie pas que les allocataires n'ont pas perçu leur pension – vous en auriez entendu parler –, mais que la Mutualité sociale agricole (MSA) et la caisse d'allocations familiales ont dû faire une avance et que les départements ne leur ont pas réglé ce qu'ils leur devaient. Cette dette s'élève à deux mois de RSA pour certaines collectivités, pour d'autres à deux semaines ou un mois. De très grands départements, comme le Nord, sont concernés.

La question des mineurs non accompagnés mérite que l'on s'y attarde. Selon un rapport du Sénat, on en comptera 25 000 en France d'ici à la fin de l'année. La plupart sont des garçons qui viennent d'Afrique, de zones en guerre du Proche et du Moyen-Orient, d'Afghanistan... Ils sont transportés par des réseaux de passeurs. Nous devons les prendre en charge dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance.

Je me trouvais la semaine dernière dans le département où est élu votre rapporteur général, M. Joël Giraud : les Hautes-Alpes, l'un des trois départements français les moins peuplés, qui accueille 570 mineurs non accompagnés. On a vu, par exemple, leur nombre augmenter considérablement, au mois d'août, dans le Cher, qui est pourtant dépourvu du moindre port et bien loin de Londres...

Ces jeunes disposent de cartes plastifiées, fournies par les réseaux, comportant le numéro de téléphone des travailleurs sociaux. En Hautes-Alpes, vous ne trouvez que des jeunes venant de Guinée-Conakry ; ailleurs ils peuvent venir du Mali, du Niger, d'Afghanistan, d'Érythrée... Au total, le dispositif d'accueil coûtera cette année 1,5 milliard d'euros au bloc départemental. L'État remboursait royalement les cinq premiers jours d'accueil, mais rien de plus. Une négociation avec M. Manuel Valls, lors de la précédente législature, avait permis d'obtenir une amélioration. Une nouvelle discussion avec Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la justice, et Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, permet une petite prise en charge supplémentaire.

Le Président de la République a pris un engagement très clair en affirmant que les mineurs non accompagnés ne relevaient pas des départements, mais de l'État, du régalien, et de la politique d'immigration. Selon lui, nous n'avons pas à payer. Pour l'instant, les ministères ont du mal à le suivre et à régler l'addition. Cependant l'addition est surtout humaine. Comment les travailleurs sociaux pourraient-ils accueillir correctement des jeunes d'un mètre quatre-vingt-dix et quatre-vingt-quinze kilos qui ne parlent pas le français dans des foyers où se trouvent d'autres enfants enlevés à leurs parents pour cause d'alcoolisme ou de mauvaise entente ?

En ce qui concerne le RSA, vous vous souvenez que la gestion du revenu minimum d'insertion (RMI) avait été transférée aux départements lorsque Jacques Chirac était Président de la République et Jean-Pierre Raffarin Premier ministre, puis que le RMI était devenu RSA sous la houlette de Nicolas Sarkozy et de Martin Hirsch. Ce sont donc des allocations d'État, fruit de la solidarité nationale. Mais, aujourd'hui, l'État ne verse que 57 % de ce qu'il doit aux départements. C'est un peu comme si vous aviez un locataire qui, pour un loyer mensuel de 1 000 euros, ne vous en versait que 570...

La situation est à peu près semblable pour l'APA. Or, grâce aux progrès de l'hygiène de vie et de la science, notre pays compte un nombre croissant de personnes âgées, ce dont on peut se féliciter. Nous prenons aussi de mieux en mieux en considération le handicap.

Bref, l'ensemble des allocations individuelles de solidarité (AIS) augmentent, mais l'État ne rembourse grosso modo aux départements qu'un peu plus de la moitié des montants versés. En 2016, l'État n'a pas versé 4,1 milliards d'euros dus aux départements au titre du RSA.

Or les départements en difficulté économique et sociale concentrent les problèmes. Je prends l'exemple des Ardennes, qui connaissent une décroissance économique en raison de la fin de l'industrialisation et de la petite métallurgie. Ce département compte beaucoup de travailleurs pauvres, donc de retraités pauvres ; beaucoup de gens y perçoivent le RSA et l'APA. Mais on y fait aussi moins construire de résidences secondaires qu'à Royan, et les montants perçus en DMTO sont faibles.

L'ADF prépare donc une plateforme de négociation avec l'État, afin de régler progressivement ce problème au cours de l'année à venir. Les solutions techniques sont nombreuses, et je ne les citerai pas ici. Je souligne toutefois qu'aucun des départements, sauf deux, ne souhaite une recentralisation.

Jusqu'ici, l'État utilisait une solution dont je reconnais qu'elle n'est pas satisfaisante : celle d'un fonds d'urgence, de plusieurs dizaines de millions. L'an dernier, il s'est élevé à 200 millions d'euros. Or, cette année, le Président de la République a dit qu'il allait régler le problème du RSA, et que des négociations allaient s'ouvrir ; il a dit aussi qu'il y aurait un fonds d'urgence pour l'exercice budgétaire 2017. Nous attendions 200 millions d'euros ; je précise qu'il manque à certains départements, comme La Réunion, 100 millions d'euros, à d'autres, comme le Nord, 70 ou 80 millions d'euros.

Mais il n'y a pas eu de projet de loi de finances rectificative, donc pas de fonds d'urgence, et ces 200 millions ne sont pas non plus inscrits dans le projet de loi de finances initiale pour 2018. Un grand nombre de départements attendaient ces sommes mais ne les recevront pas. Encore une fois, le fonds d'urgence était une mauvaise solution, mais un secours nécessaire en fin d'exercice.

L'ADF apprécie l'idée de contractualisation, même si les contrats comportent toujours une part d'injustice... Mais nous avons pris la décision de refuser toute signature tant que les négociations sur les mineurs non accompagnés et sur les AIS n'auront pas abouti, ou tout simplement pas commencé. Sans début de réponse sur ces deux dossiers, nous avons fait savoir au Président de la République et au Gouvernement que nous ne signerions pas. Il ne s'agit pas de contestation gratuite, mais d'une volonté qu'un dialogue s'ouvre sur ces problèmes de financement.

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