Intervention de Benjamin Lucas-Lundy

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Lucas-Lundy :

Le passage à la caisse du supermarché est un véritable calvaire pour le porte-monnaie de nos concitoyens. Nos enseignants sont à bout et les inégalités scolaires demeurent parmi les plus élevés de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques. Quelque 3 millions d'enfants ne partent jamais en vacances. Des milliers de gens crèvent de froid dans la rue ou dans des passoires thermiques. L'ONU nous alerte sur l'accélération du grand réchauffement. La France est régulièrement condamnée pour ses régressions en matière de libertés ou de droits humains.

Mais vous, vous paralysez le débat public, déjà suffisamment englouti sous les thèmes et les termes de l'extrême droite, avec une question : comment durcir encore les conditions d'accès et d'accueil dans notre pays ? Quel cadeau fait à Marine Le Pen !

Peu importe que vous sachiez, au fond, que vous ne pouvez rien faire, en réalité, contre un phénomène humain – la migration – qui existait avant vous et qui continuera à exister après vous. Vous ne pouvez et vous ne pourrez rien de plus que vos vingt-neuf prédécesseurs, qui ont produit vingt-neuf lois sur le sujet en quarante ans. Ces vingt-neuf lois, monsieur le ministre de l'intérieur – la trentième ne fera pas exception – n'auront eu que deux effets : plus d'argent dans la poche des passeurs, qui indexent leurs tarifs sur les difficultés à passer nos frontières, et plus de cadavres qui flottent en mer Méditerranée ou qui gèlent dans les Alpes.

Peu importe, pour vous, que la majorité des migrations aient lieu entre pays du Sud, ce qui anéantit le grand délire de la submersion migratoire.

Peu importe, pour vous, qu'aucune étude statistique, aucune réalité historique, aucun fait n'accrédite l'hypothèse de potentiels appels d'air liés à des politiques plus inclusives.

Peu importe, pour vous, que la part des étrangers en France soit globalement stable depuis des années.

Peu importe, pour vous, que des milliers de gens honnêtes vivent, travaillent, aiment, enrichissent notre pays chaque jour sans papiers – ne parlez pas de votre article 3, qui est mieux que rien, mais presque rien.

Peu importent, pour vous, les valeurs qui fondent la République et sa devise, qui consacrent la fraternité.

Peu importe, pour vous, notre histoire, faite de transformations et de migrations.

Peu importe, pour vous, que, par ce texte, vous abîmiez l'image de la France dans le monde, son rayonnement, en envoyant un signal de repli et de rabougrissement.

Peu importe, pour vous, que les étudiants étrangers repartent quasiment tous dans leur pays d'origine après leurs études et n'aient rien à faire dans les statistiques de l'immigration.

Peu importe, pour vous, que la véritable urgence consiste à engager des moyens en faveur de l'inclusion, de l'hébergement, de la protection des mineurs pour garantir la dignité de toutes et de tous.

Tout cela vous importe peu, car vous voulez votre loi, à tel point que vous sacrifiez votre promesse d'équilibre, mal en point dès le texte initial, sur l'autel de toutes les compromissions avec la droite radicalisée, donnant votre blanc-seing pour faire entrer par pans entiers le programme de Marine Le Pen et de son père dans la loi – on l'a vu avec l'avis de sagesse, mal nommée, donné par le Gouvernement sur la suppression de l'AME.

Monsieur le ministre de l'intérieur, vous pouvez encore, je le crois, éteindre l'incendie que vous avez vous-même allumé, puisque vous nous promettiez, il y a plus d'un an – ce texte a connu un parcours chaotique – un équilibre et une majorité. L'équilibre n'est visiblement pas au rendez-vous : vous avez entendu comme moi les uns et les autres s'exprimer. La majorité n'existe pas davantage, ce qui vous a contraint à vous rallier sur bien des aspects aux positions de la droite radicalisée au Sénat, et que vous serez obligé, compte tenu de cette absence de majorité, d'entamer avec elle, ici, un marchandage mortifère sur le dos de l'État de droit, des droits des exilés et de nos principes les plus fondamentaux.

Vous pouvez encore, monsieur le ministre de l'intérieur, apaiser notre pays, arrêter cette folle surenchère vers l'abîme, en suspendant l'examen de ce texte et en nous permettant de débattre sur les véritables préoccupations des Françaises et des Français – pour leur pouvoir d'achat, la dignité, l'inclusion et l'intégration. Voilà ce que sera la boussole des écologistes dans ce débat, pour faire des exilés autre chose que des menaces ou des variables d'ajustement économiques.

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