Intervention de Marc Ferracci

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Ferracci, rapporteur :

Je remercie Clara Chassaniol pour ses propos et pour l'émotion qu'elle y a mis : notre sujet est profondément humain.

Monsieur Ménagé, certains points de votre intervention me semblent inexacts. Vous n'étiez pas présent lorsque nous avons auditionné M. Jean-François Amadieu, mais il a clairement soutenu le testing, que lui-même pratique dans le cadre de l'Observatoire des discriminations. Il nous a enseigné les conditions d'utilisation des tests les mieux à même de changer les comportements. Il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre des phrases tirées de leur contexte ; parfois, venir aux auditions n'est pas inutile.

Le CV anonyme soulève des questions. Vous avez mentionné l'expérience du Crest. Pur hasard, je partageais alors le bureau des chercheurs qui l'ont menée. Paradoxalement, les personnes portant un patronyme maghrébin étaient davantage discriminées lorsque le CV était anonyme. Selon les chercheurs, les entreprises, volontaires pour participer à l'expérience, donc sans doute plus inclusives que d'autres, avaient l'habitude de trouver des circonstances atténuantes aux failles des CV – comme des discontinuités dans le parcours de formation ou d'emploi – lorsque le candidat était issu de l'immigration, par exemple. En supprimant le patronyme, on perdait la bienveillance. Gardons-nous des analyses trop rapides, en particulier concernant les recherches d'outils de lutte contre les discriminations.

À propos de la Dilcrah, vous dénoncez la création d'un nouveau « comité Théodule ». Or la Dilcrah existe déjà.

Le texte prévoit notamment de sanctionner les entreprises convaincues de discrimination par un test statistique. Il s'agit d'un progrès. On ne peut argumenter sur les sanctions sans mentionner celles que le texte instaure.

Monsieur Léaument, vous vous inquiétez de ce que deviendraient la Dilcrah et le comité des parties prenantes si Marine Le Pen et Éric Zemmour parvenaient au pouvoir. Je crains que, si cela arrive, des problèmes plus graves ne se posent.

Nous examinerons tout à l'heure plusieurs amendements identiques visant à adjoindre au comité des parties prenantes des représentants d'organisations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel. J'expliquerai pourquoi ce n'était pas prévu dans le texte initial.

La proposition de loi va évoluer. Je défendrai un amendement de réécriture de l'article 3 qui prévoit le processus de publication des tests, visant à expliciter la dimension contradictoire de cette procédure.

Monsieur Latombe, la question des algorithmes de recrutement est primordiale. Nous avons auditionné des DRH et des développeurs : les algorithmes de filtrage des CV peuvent conduire à des discriminations. Ils reposent sur l'exploitation de données individuelles par des mécanismes d'IA générative susceptibles de créer des biais. Les tests statistiques ont l'intérêt d'identifier les biais, donc d'inciter les entreprises à se pencher sur la conception des algorithmes de recrutement qu'elles utilisent. Nous aurons grand intérêt à articuler les deux champs.

Madame Karamanli, vous dénoncez les limites des tests : je les reconnais. Comme je l'ai souligné dans ma présentation, leur utilisation doit s'inscrire dans une stratégie globale. En revanche, le texte ne se limite pas à l'embauche ; les tests pourront concerner tous les domaines prévus à l'article 225-2 du code pénal, comme la fourniture d'un bien ou d'un service, ce qui inclut le logement et les prêts bancaires.

La proposition de loi prévoit que les avis du comité des parties prenantes viendront nourrir les délibérations relatives aux sanctions. Parmi ces dernières figure la publication des résultats des tests, très préjudiciable aux entreprises. J'ai participé au testing de 2019 qui a abouti à pointer la discrimination à l'embauche, sur des critères d'origines, de sept entreprises du SBF120, l'indice de la société des bourses françaises : elles ont réagi vivement. L'avis du comité aura donc du poids, aussi devons-nous veiller à sa composition.

J'en viens au rôle de la Défenseure des droits. On ne peut m'accuser de vouloir, en tant que rapporteur, la contourner : une première version du texte, une proposition de loi organique, lui accordait une place centrale, avec en particulier l'organisation des tests individuels et statistiques. Nous avons longuement discuté avec Mme Claire Hédon et ses équipes, et nous sommes parvenus à un constat que je crois partagé : on ne saurait assigner au Défenseur des droits, autorité indépendante, des objectifs à atteindre, ni des priorités à respecter. Il s'agit de choix politiques, qui reviennent au Gouvernement. Aussi avons-nous choisi d'attribuer cette fonction à la Dilcrah.

Je ne veux pas parler à la place de la Défenseure, mais l'avis rendu est plutôt positif concernant le recours aux tests statistiques. Nous donnerons suite aux pistes d'amélioration qu'elle suggère. En revanche, elle est critique avec les tests individuels. Cependant, je souligne que l'on compte zéro condamnation pénale pour discrimination en 2020. Évidemment, la difficulté pour recourir aux tests n'est pas la seule explication. Toutefois, je constate qu'elle existe, et que la Défenseure n'est pas seule à pouvoir en organiser. L'avis dénonce leur manque de lisibilité. Pourtant, beaucoup d'acteurs les pratiquent : les associations, les avocats, des personnes physiques. Il s'agit seulement de renforcer la capacité de tester, aucunement de dessaisir le Défenseur des droits de ses prérogatives. Au contraire, les personnes qui auront prouvé l'existence d'une discrimination grâce à un test pourront ensuite recourir à son accompagnement juridique, dont on connaît la qualité.

Monsieur Pradal, je vous remercie de poser la question de l'évolution des sanctions. Celle des marchés publics est complexe, je vous propose de continuer à y réfléchir pour préparer l'examen en séance.

Monsieur Taché, Monsieur Serva, vous avez soulevé le problème de la récidive. Que se passe-t-il lorsqu'une entreprise élabore un plan d'action mais ne l'applique pas et ne change rien à ses pratiques ? En l'état, le texte ne répond pas suffisamment à la question. Aucun amendement n'y pourvoit, mais je suis ouvert aux réflexions ambitieuses sur ce point en vue de la séance, notamment s'agissant des entreprises convaincues deux fois de discrimination.

Je le répète, les tests pourront concerner le logement. Je ne suis pas hostile à donner plus de place au secteur ; cette préoccupation est en partie déjà satisfaite, mais en partie seulement. Là encore, nous pourrons en discuter pendant nos débats et en amont de la séance.

Monsieur Rimane, vous affirmez que le texte tend à « caresser dans le sens du poil la France multiculturelle ». Je ne me reconnais pas du tout dans cette formulation. À l'opposé d'une telle démarche, notre objectif est de faire prévaloir les principes républicains, au premier chef l'universalisme. Les discriminations ouvrent une brèche dans le pacte républicain – c'est la raison d'être du texte.

Beaucoup renoncent, mais cela ne signifie pas que nous devions renoncer. Donner massivement accès à des tests individuels, encore trop peu nombreux, mais qui constituent une preuve de discrimination, aidera de nombreuses personnes à ne plus se résigner.

Monsieur Serva, il s'agit de construire non pas un service centralisé, mais un service public qui mette des outils à la disposition d'acteurs multiples – associations, individus, avocats. Cela contribuera à l'autonomie des acteurs ; j'y suis très attaché.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion