Intervention de Andrée Taurinya

Réunion du mercredi 22 novembre 2023 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndrée Taurinya :

La République peut se prévaloir d'avoir aboli la peine de mort. Dès lors, pourquoi continue-t-elle de fermer les yeux et de cautionner, sinon d'encourager, les exécutions extrajudiciaires commises par ses fonctionnaires dans l'exercice de leur mission ? Les situations se ressemblent presque toutes : une nuit, un véhicule en mouvement, trois agents entreprenant un contrôle d'identité auprès d'un automobiliste arrêté sur le bas-côté ; un refus d'obtempérer identifié par les agents, des tirs non réglementaires par des fonctionnaires mal formés, épuisés, stressés et victimes du syndrome de la citadelle assiégée ; un mort dans des circonstances troubles, que les familles des victimes mettent de longues années à éclaircir dans le cadre de procédures épuisantes et interminables ; une vérité écrasée par un appareil judiciaire qui protège, dès l'enquête et de manière flagrante, les fonctionnaires mis en cause ; un système qui nourrit un sentiment d'impunité et trahit la promesse d'égalité républicaine qui constitue le fondement de notre contrat social.

En cinq ans, le nombre de personnes tuées par des policiers a été multiplié par cinq. D'où vient cette inflation létale que les travaux du chercheur Sebastian Roché documentent minutieusement depuis plusieurs années ? Au début de l'année 2017, le Premier ministre Cazeneuve a tenu à modifier le CSI. Il a aligné le régime d'emploi de la force des agents de la police nationale, supposément sans défense, sur celui de la gendarmerie. Des années plus tard, nous déplorons, tous les deux mois en moyenne, la mort d'un homme, tué par la police à l'occasion d'un refus d'obtempérer.

Les rapports annuels de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) font état d'une certaine stabilité du nombre de tirs chez les gendarmes au cours de la dernière décennie. Dans la police, ce chiffre augmente de 12 % de 2012 à 2021 ; 60 % des usages d'armes individuelles se rapportent à des tirs sur véhicule. En 2022, douze personnes ont trouvé la mort dans des conditions similaires. Et puis il y a eu Nahel, celui dont l'exécution était si évidente, si violemment injuste qu'elle a mis le feu aux poudres de la révolte partout en France. Le Gouvernement a choisi de la réprimer brutalement. Nous, nous choisissons d'apporter la justice pour qu'advienne la paix, et nous voulons rendre leur dignité à Angelo, à Souleimane, à Souheil, à Olivia, à Olivio, Gaye, Bakaré, Amine, Nordine et aux autres, ainsi qu'à leurs proches.

La loi Cazeneuve a provoqué une confusion mortelle dans l'appréciation des conditions de la légitime défense par les personnels disposant de l'exercice de la violence légitime. Elle portait en elle un effet psychologique de désinhibition en matière d'utilisation de l'arme à feu individuelle. En introduisant un dispositif d'usage de la force permissif en contradiction radicale avec le droit international, elle a envoyé un signal à des fonctionnaires de police peu formés, soumis à des biais comportementaux dans l'appréhension d'une clientèle policière – ou d'un « gibier de police », pour reprendre l'expression de sociologues – constituée d'une population racialisée et jugée par essence dangereuse, qui concentre l'essentiel de leur attention en matière de contrôle d'identité et de répression physique, en allant des mutilations aux exécutions.

Cette loi a envoyé un signal mortel aux éléments les plus dangereux qui se cachent parmi nos forces de l'ordre, et qui l'ont comprise comme un permis de tuer. Son abrogation relève de la salubrité publique. Elle est approuvée par deux tiers de la population, selon notre sondage. Elle enverra le signal contraire, en attendant la nécessaire réforme de la doctrine d'emploi de nos forces de l'ordre, dont la formation doit être revue et renforcée pour privilégier la désescalade dans chacune de leurs interventions.

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