Intervention de Pascale Bordes

Réunion du mardi 16 janvier 2024 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Bordes :

Dire que l'inscription dans la Constitution de la liberté de la femme de recourir à l'IVG est très éloignée des préoccupations actuelles de la grande majorité de nos concitoyens est un euphémisme, tant les esprits sont tournés vers la hausse galopante des prix de l'énergie et la baisse corrélative du pouvoir d'achat, ainsi que vers une situation internationale plus qu'inquiétante.

Ce texte est également peu utile pour des raisons conjoncturelles. Personne au sein de la classe politique française ne souhaite remettre en cause l'accès à l'IVG. Ce dernier n'est absolument pas menacé. Rappelons que 234 300 IVG ont été réalisées en 2022 et que ce chiffre, en constante augmentation ces dernières années, est deux fois plus élevé qu'en Allemagne.

Ce texte présente en outre peu d'utilité pour des raisons juridiques. La liberté de la femme de recourir à une IVG, à l'instar de toute liberté, ne peut être absolue : elle doit être conciliée avec d'autres libertés, droits et principes, comme le principe de la dignité humaine ou la liberté de conscience des personnels de santé, qui est aussi une liberté constitutionnelle. Par ailleurs, cette inscription nécessiterait la refonte d'une partie du code de la santé publique et du droit médical, ce qui, au vu de l'état de notre système de santé, n'est pas souhaitable.

D'aucuns mettent en avant l'aspect symbolique de la démarche, mais la Constitution n'est pas un texte symbolique. La Constitution de la Ve République a été adoptée en 1958 par le Peuple, par la voie du référendum – à l'époque, il n'existait pas que dans les livres. La Constitution fixe les principes essentiels et les droits fondamentaux qui régissent la vie en société. À cet égard, certains constitutionnalistes estiment qu'inscrire cette liberté dans notre Constitution n'est pas responsable, car la norme constitutionnelle doit être un point d'ancrage et notre droit un élément de stabilité, et non l'exutoire des désirs de certains.

Au demeurant, comment la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une IVG peut-elle s'imposer comme un droit fondamental, alors que cette liberté n'est en réalité qu'une possibilité dérogatoire au droit à la vie inscrit dans la loi Veil ? Il y a là une incompatibilité absolue.

Dès lors, pourquoi ce texte, puisque la liberté en question n'est menacée par personne, et que, juridiquement, il ne s'impose pas ? Les auteurs de ce projet, tout en reconnaissant que la liberté de recourir à l'IVG n'est nullement menacée dans notre pays, dressent un inventaire à la Prévert : la France devrait entreprendre une croisade sur le continent européen et partout dans le monde – comme si nous n'avions pas assez de problèmes en France ; la France serait ainsi l'un des premiers pays au monde, et le premier en Europe, à reconnaître dans sa Constitution cette liberté ; le chef de l'État souhaiterait adresser un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient cette liberté bafouée. Or, la sauvegarde des droits et libertés des femmes ne se réduit pas à un sombre concours pour savoir qui sera le premier, ni à une croisade à travers le monde, et encore moins à un message universel envoyé à la terre entière, à plus forte raison lorsque ces droits et libertés ne sont pas, tant s'en faut, effectifs en France. Les femmes, où qu'elles vivent, méritent mieux que cette vulgaire course à la gloriole.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion