Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mardi 12 mars 2024 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Les deux textes – un projet de loi organique et un projet de loi constitutionnelle – qu'a déposés le Gouvernement sont aussi courts qu'importants. Depuis l'accord de Nouméa, qui a été constitutionnalisé, la plupart des sujets institutionnels calédoniens relèvent non pas de la loi ordinaire, mais de la Constitution et exceptionnellement de la loi organique. C'est le cas du présent texte, qui porte sur la date des élections provinciales. Les provinces, en Nouvelle-Calédonie, sont un peu l'équivalent des régions hexagonales, avec beaucoup plus de pouvoirs. Cet archipel magnifique compte moins de 300 000 habitants, mais cinq institutions : trois provinces, un congrès qui est une forme de parlement de la Nouvelle-Calédonie, et un gouvernement.

Pourquoi faut-il reporter la date des élections provinciales qui devaient normalement se dérouler en mai 2024 ? Les trois référendums d'autodétermination, organisés par le Président de la République au cours de son dernier quinquennat et imaginés bien avant, ont exprimé un « non » à l'indépendance. Dans un tel cas, l'accord de Nouméa prévoyait expressis verbis que les parties se réuniraient pour examiner la situation ainsi créée. Dominique de Villepin, celui de mes prédécesseurs qui avait soutenu la loi gelant le corps électoral, avait d'ailleurs indiqué que les élections provinciales ne pourraient se tenir que deux fois dans ces conditions, c'est-à-dire sans admettre de nouveaux entrants. Pour les élections de 2024, le corps électoral devait donc être dégelé, quel que soit le résultat des référendums.

En Nouvelle-Calédonie, il y a trois listes électorales : la liste nationale est constituée des personnes qui peuvent élire les députés et le Président de la République, comme dans l'Hexagone ou dans les territoires ultramarins ; la liste référendaire, restreinte, est constituée des électeurs qui ont pu se prononcer lors des référendums d'autodétermination organisés dans le cadre de l'accord de Nouméa ; la liste provinciale est constituée de ceux qui peuvent choisir leurs représentants dans les provinces. Pourquoi est-il important de choisir ses représentants dans les provinces ? Outre le poids économique et environnemental qu'elles représentent, les provinces désignent aussi des représentants au congrès, où se décident la formation du gouvernement et le déclenchement d'un éventuel référendum d'autodétermination.

Ces élections apparemment locales ont donc des répercussions nationales. Or, le corps électoral des élections provinciales est gelé depuis la décision du président Jacques Chirac. Ceux qui sont arrivés ou nés en Nouvelle-Calédonie après une certaine date ne peuvent pas voter lors de ces élections. C'est le cas de 25 % des électeurs inscrits sur la liste nationale : ils peuvent voter pour élire le Président de la République, mais pas pour élire les représentants de leur province. Une telle situation ne peut pas perdurer dans une démocratie digne de ce nom, mais la question éminemment politique du dégel du corps électoral fait débat entre les indépendantistes et les non-indépendantistes, dits loyalistes.

Depuis trois ans que je m'occupe de ce dossier, nous avons toujours dit que nous souhaitions un accord politique global. Il doit porter sur les modalités de l'autodétermination, maintenant que les trois référendums de l'accord de Nouméa se sont soldés par un « non » à l'indépendance. Il faudrait aussi simplifier les institutions calédoniennes pour plus d'efficacité : s'agissant du nickel, on se perd un peu dans les processus de décision ; très touché par le réchauffement climatique, ce territoire a trois codes de l'environnement différents – un par province –, ce qui est peut-être un peu trop pour 300 000 habitants. Se pose aussi la question de la citoyenneté calédonienne, qui n'est actuellement définie que par rapport au vote.

Nous discutons depuis longtemps de ces sujets avec les indépendantistes et les non-indépendantistes. Malgré ce temps de réflexion, qu'on pourrait qualifier d'océanien, il va falloir être à l'heure pour les élections provinciales. Le Gouvernement s'est retrouvé dans une situation ubuesque : soit nous convoquions les élections provinciales sur la base d'une liste électorale bloquée, au risque de voir ces élections attaquées et sans doute annulées – nous verrons l'analyse du Conseil d'État, mais j'ai lu l'excellent rapport de M. le rapporteur ; soit nous dégelions le corps électoral, ce qui nécessite, sinon un accord, au moins des discussions, tant le sujet provoque l'émoi en Nouvelle-Calédonie puisqu'il est consubstantiel à l'avenir du territoire.

Voilà pourquoi le Gouvernement propose de reporter les élections provinciales jusqu'en décembre 2024, le temps de trouver un accord. Toutefois, le Conseil d'État indique qu'il est possible de reporter une nouvelle fois ces élections par décret jusqu'en novembre 2025, si un accord se dessinait. En vous exprimant sur cette loi organique, vous vous prononcez donc sur la date des élections, sachant que celles-ci vont de pair avec une discussion institutionnelle locale visant à un accord entre deux parties qui ont interrompu leurs discussions. Espérons que le dialogue pourra reprendre après le 23 mars, date du congrès du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).

Comme je l'ai indiqué devant le Sénat, si les parties reprennent sérieusement leurs discussions, le Gouvernement proposera la suspension du débat constitutionnel pour qu'un accord puisse prévaloir. S'il n'y a pas d'accord, nous proposerons le projet de loi constitutionnelle – en Nouvelle-Calédonie, le corps électoral provincial est constitutionnalisé par l'accord de Nouméa –, afin de modifier les dispositions concernant la liste électorale. Les loyalistes ont d'abord demandé que l'inscription ne soit pas conditionnée à une présence minimale sur le territoire calédonien, puis que la présence minimale soit de trois ans. Les partis indépendantistes demandaient une présence minimale de vingt ou dix ans. Après avoir proposé une durée de sept ans, je me suis rangé à la proposition de dix ans. Cette durée avait été envisagée au départ, aux termes d'un accord conclu entre les partis indépendantistes et non indépendantistes, avant que le président Chirac change d'avis.

Il est extraordinaire de devoir attendre dix ans après son arrivée sur un territoire pour pouvoir voter lors d'élections locales. En proposant cette durée, le Gouvernement n'est pas tout à fait aligné sur la demande des non-indépendantistes, c'est le moins que l'on puisse dire. En outre, il crée des dispositions d'accès au vote local qui sont très différentes de celles qui prévalent, non seulement sur le territoire national, mais aussi dans toutes les démocraties. Pour ma part, je ne connais pas d'autre exemple où les personnes ayant la nationalité d'un territoire ne peuvent pas voter à des élections locales avant dix ans.

Pour résumer, ce projet de loi organique permet de se donner du temps, en reportant les élections dans l'attente d'une discussion. Malgré tout, si les discussions ne reprennent pas ou n'aboutissent pas, il faudra bien que les élections provinciales se tiennent un jour. Nous poursuivrons alors le débat constitutionnel pour dégeler le corps électoral et fixer à dix ans la durée de présence minimale sur le territoire pour être inscrit sur la liste électorale provinciale. Ce débat constitutionnel pourra être interrompu à tout moment jusqu'à la convocation du Congrès à Versailles, en cas d'accord entre les parties.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion