Intervention de Philippe Dunoyer

Réunion du mardi 12 mars 2024 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Dunoyer, rapporteur :

Le présent projet de loi organique a pour objet le report des prochaines élections provinciales de la Nouvelle-Calédonie. Ces élections permettent de désigner, au scrutin de liste, les soixante-seize membres des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, et, par là même, les cinquante-quatre membres du Congrès qui en émanent directement. Précisons que le Congrès élit, à la proportionnelle, les membres du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et dispose du pouvoir d'adopter, dans ses domaines de compétences, des « lois du pays » à caractère législatif. Ces institutions sont au cœur de la vie politique calédonienne.

En l'état du droit, ces élections devraient se tenir le 12 mai prochain, au plus tard. Le projet de loi permet leur report jusqu'au 15 décembre 2024. Il prolonge en conséquence les mandats en cours, dont la durée est normalement de cinq ans. Ce report est guidé par deux considérations : d'une part, la nécessité de réformer le corps électoral provincial, issu de l'accord de Nouméa et actuellement en vigueur pour ces élections ; d'autre part, la nécessité de donner davantage de temps à l'émergence d'un nouvel accord consensuel sur le futur cadre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Un bref retour en arrière est ici nécessaire pour comprendre la situation actuelle de ce territoire et l'intérêt du projet de loi.

Le statut actuel de la Nouvelle-Calédonie est issu de l'accord de Nouméa, conclu en 1998 et transposé dans la Constitution et la loi organique du 19 mars 1999. Aux termes du point 5 de son préambule, l'accord de Nouméa « définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation ». C'est dans ce cadre que trois consultations sur l'accession à la pleine souveraineté ont été organisées, entre 2018 et 2021. Le « non » l'a emporté à chaque fois, avec un dernier scrutin marqué par le boycott des électeurs indépendantistes.

C'est aussi l'accord de Nouméa qui a mis en place un corps électoral spécial pour les élections des membres du Congrès et des assemblées de province, distinct et plus restrictif que le corps électoral général, de droit commun. Depuis une révision constitutionnelle intervenue en 2007, le caractère restreint de cette liste a été encore renforcé par le gel du corps électoral provincial constitué à la date du 8 novembre 1998. Ce gel constitue une dérogation aux principes d'égalité et d'universalité du suffrage, qui n'a été validée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) que compte tenu de son caractère transitoire, encadré par l'accord de Nouméa.

Or, comme le constatait le Conseil d'État dans son avis du 7 décembre 2023, les circonstances de droit et de fait, qui justifiaient la composition d'un corps électoral spécial provincial, ont évolué. D'une part, depuis l'organisation de la troisième consultation, le processus initié par l'accord de Nouméa est achevé et sa mise en œuvre peut être regardée comme complète, tout en rappelant que l'organisation politique mise en place à la suite de l'accord reste en vigueur. D'autre part, l'ampleur de la dérogation aux principes d'universalité et d'égalité du suffrage tend à s'accroître avec le temps : en 1999, environ 7 % des électeurs étaient exclus de la liste électorale spéciale ; en 2023, ils sont près de 20 %. Parmi eux, 30 % sont nés en Nouvelle-Calédonie, la majorité étant constituée de personnes installées durablement sur le territoire, pour les plus anciennes depuis vingt-cinq ans. Cette évolution a conduit le Conseil d'État à préciser que l'intervention du législateur sera nécessaire afin « de corriger le caractère excessif résultant de l'écoulement du temps ».

Le premier motif du report des élections est donc la révision des critères d'inscription sur la liste électorale spéciale provinciale. En effet, en termes de calendrier, il n'est pas possible d'organiser les élections sur la base d'un nouveau corps électoral sans prévoir leur report. Le Gouvernement a donc déposé, en plus du présent projet de loi organique, un projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Si nous n'examinons aujourd'hui que le projet de loi organique, les deux textes sont étroitement liés.

Deuxième motif du report des élections : ce projet de loi organique est aussi au service de la recherche d'un consensus au niveau local, entre les partenaires de l'accord, c'est-à-dire les formations politiques indépendantistes et non indépendantistes. Le Gouvernement n'entend pas se substituer aux acteurs locaux pour imposer de nouvelles dispositions quant au statut futur du territoire calédonien : la conclusion d'un accord consensuel entre les partenaires politiques de l'accord de Nouméa constitue une priorité. Après la troisième consultation, le dialogue a repris entre les partenaires locaux, conformément à l'accord de Nouméa qui précisait, en cas de nouvelle réponse négative à la troisième consultation d'autodétermination : « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».

Monsieur le ministre, vous vous êtes déplacé à six reprises dans ce magnifique territoire. Depuis la visite du président Emmanuel Macron à Nouméa en juillet dernier, suivie de la présentation en septembre d'un « document martyr » destiné à servir de base de discussion, de nombreuses réunions et de nombreux échanges ont eu lieu, sous votre égide, mais aussi à l'initiative des seuls acteurs locaux. Pour l'instant, les discussions n'ont pas permis de parvenir à un accord – peut-être est-ce dû à notre conception élastique du temps. Un accord reste cependant l'objectif revendiqué par l'ensemble des acteurs locaux, indépendantistes et non indépendantistes, comme par le Gouvernement.

À cet égard, l'intérêt du projet de loi organique est reconnu par la plupart des acteurs politiques locaux, qui lui ont donné un avis majoritairement favorable par trente-huit voix sur cinquante-quatre lors de la séance du congrès de la Nouvelle-Calédonie du 17 janvier dernier. À défaut d'unanimité, ce vote révèle que la nécessité du report a été reconnue par des groupes représentant les deux tendances politiques, indépendantistes et non indépendantistes. Seul l'un des deux groupes politiques indépendantistes, l'Union calédonienne-FLNKS (UC-FLNKS), a exprimé un avis défavorable, tout en précisant, dans l'opinion jointe à l'avis, « ne pas être opposé sur le principe à un report des élections ». Leur désaccord porte sur la nécessité de procéder à la révision de la liste électorale spéciale plus que sur le report. Les groupes politiques au Congrès se retrouvent donc au moins sur l'idée que la poursuite des discussions ne permet pas d'organiser le scrutin au mois de mai 2024.

Les enjeux du projet de loi étant présentés, j'en viens maintenant aux conséquences d'un éventuel report et aux interrogations pratiques à son sujet.

En premier lieu, une entrée en vigueur rapide est nécessaire. Il ressort en effet de la loi organique statutaire que le décret de convocation des électeurs doit être pris au plus tard le 14 avril 2024 ; il faut donc que le projet de loi organique entre en vigueur avant cette date. Comme le président, j'insiste sur un point : en cas d'adoption d'un texte non conforme, son parcours parlementaire s'en trouverait allongé, faisant courir un risque très élevé concernant les délais de convocation.

Ensuite, j'en viens à la date butoir prévue dans le texte : le 15 décembre 2024. C'est une date relativement proche, tout en étant suffisante pour permettre la réalisation des diverses opérations préalables au scrutin. Une révision complémentaire de la liste électorale sera ainsi nécessaire afin d'inscrire les personnes nées en Nouvelle-Calédonie qui n'ont pas encore le droit de vote, soit environ 12 500 personnes, ou les personnes durablement installées répondant à la condition de résidence portée à dix ans, soit 12 500 personnes également. Il faudra donc assurer l'inscription d'environ 25 000 personnes sur les listes électorales. Les services de l'État anticipent pleinement cette étape et prévoient des renforcements d'effectifs dans les communes les plus concernées par la hausse du nombre d'inscrits.

Cette date reste malgré tout incertaine : en fonction de la proximité d'un accord politique global, un report supplémentaire de la date des élections provinciales pourrait être nécessaire. Une telle modalité est prévue dans l'article 2 du projet de loi constitutionnelle. Si ce dernier n'était pas adopté par le Congrès en temps utile, un nouveau projet de loi organique devrait être adopté avant le point de départ des délais nécessaires pour l'organisation des élections provinciales, afin de les reporter. Dans son avis du 7 décembre dernier, le Conseil d'État a indiqué qu'un report « pour une durée de l'ordre de douze à dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel ».

Pour conclure, je tiens à remercier l'ensemble des personnes auditionnées dans le cadre de mes travaux : les présidents des groupes politiques au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, les présidents des assemblées de la province des îles Loyauté et de la province Sud, les parlementaires et le haut-commissariat. Et je vous invite à adopter ce projet de loi organique, qui donne le temps nécessaire à la formation du consensus autour d'un nouvel accord tripartite constituant le futur cadre institutionnel et politique de la Nouvelle-Calédonie, et le temps nécessaire à la modification constitutionnelle du corps électoral provincial.

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