Intervention de Philippe Dunoyer

Réunion du mardi 12 mars 2024 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Dunoyer, rapporteur :

Je remercie tout d'abord Mansour Kamardine pour sa sagesse : même si chacun est libre de ses opinions, il est absolument nécessaire de tout faire pour éviter que la Nouvelle-Calédonie devienne un enjeu de politique nationale. Lorsque cela a été le cas, que ce soit sous une majorité de gauche ou de droite, cela s'est toujours mal passé en Nouvelle-Calédonie.

C'est d'autant plus important que ce projet de loi organique traite de la question déterminante du corps électoral, qui est, depuis l'origine, au cœur des revendications indépendantistes.

Jusqu'au début de 2023, il était inenvisageable d'aborder ce sujet dans la mesure où aucun parti indépendantiste ne le souhaitait. On voit là toute la complexité de la situation en Nouvelle-Calédonie, car, depuis 2023, il a fait l'objet de discussions et d'un accord de principe. Celui-ci concerne, sur les 42 000 personnes actuellement exclues du corps électoral, 12 500 natifs de Nouvelle-Calédonie, auxquels aucun parti ou sensibilité politique ne souhaite interdire de participer aux élections. À notre échelle, c'est une petite révolution. Elle permet d'entrevoir la possibilité d'un accord permettant la poursuite de l'accord de Nouméa. Les modalités du dégel vont certes faire l'objet de discussions, mais nous sommes arrivés à un accord de principe, alors que c'était inenvisageable il y a encore à peine un an et demi. J'y vois une avancée réelle.

Sommes-nous arrivés au bout ? Pas encore.

Nicolas Metzdorf a regretté le délai de dix ans. Je suis peut-être moins attaché que lui à cette question, mais nous en débattrons lorsque nous examinerons le projet de loi constitutionnelle. Je comprends parfaitement tous ceux qui déplorent être exclus du droit fondamental qui consiste à choisir ses représentants. Mais, comme l'a rappelé le ministre, la mesure proposée correspond à l'esprit des accords de 1988 et de 1998. En ce sens, on peut la trouver cohérente.

M. Gillet a estimé que le Président de la République s'était désintéressé du dossier. C'est exactement le contraire. Depuis 2017, il a souhaité accompagner les Calédoniens dans un processus éminemment compliqué. Il est venu deux fois en Nouvelle-Calédonie, en 2018 et en 2023, et il y a reçu l'ensemble des acteurs – cela ne s'est d'ailleurs pas toujours bien passé. Il faut aussi mentionner les nombreux déplacements des premiers ministres et des ministres de l'intérieur, de l'économie, des outre-mer et des armées, lesquels ont accompagné la Nouvelle-Calédonie sans relâche depuis 2017.

M. Lachaud et d'autres collègues ont estimé que le processus d'autodétermination était remis en cause. Je le dis avec force, même si l'organisation du troisième référendum est contestée, à aucun moment l'État ou les forces politiques calédoniennes ne sont revenus sur l'exercice du droit à l'autodétermination. Il est reconnu par la Constitution et le droit international. C'est l'un des sujets essentiels dans les discussions qui devront avoir lieu entre les forces politiques locales. Ce droit n'est pas contesté ; il fait l'objet d'une demande de précision sur ses modalités d'exercice à l'avenir.

M. Le Gall, comme chacun sait, le troisième référendum a fait l'objet de contestations par mes collègues indépendantistes pour les raisons que vous avez évoquées. Ce référendum commence à dater, et personne n'a engagé de démarche contentieuse pour en obtenir l'annulation. Si elle a une signification politique, sa contestation n'emporte aucune conséquence juridique. On ne peut pas faire comme si le troisième référendum n'avait pas eu lieu. Il a bien eu lieu et son importance est considérable. Il a permis de clore la période active de l'accord de Nouméa et a ouvert la phase transitoire, envisagée avec sagesse par les rédacteurs de ce dernier, durant laquelle nous serons appelés à lui trouver une suite. Nous devons aussi nous interroger sur la manière dont fonctionnent les institutions et sur celle d'organiser les élections.

C'est précisément pour cela que la révision du corps électoral est nécessaire. Comme l'a relevé Mme Poussier-Winsback, un décret de convocation des électeurs aurait de très grandes chances d'être annulé du fait de la composition actuelle du corps électoral. Le Conseil d'État l'a confirmé dans son avis très précis de décembre 2023. La situation est véritablement extraordinaire, avec trois listes électorales. Elle résulte de l'accord de Nouméa et, jusqu'à la révision constitutionnelle de 2007 par le Congrès réuni à Versailles, avait été validée en 2005 par la Cour européenne des droits de l'homme dans le cadre de l'arrêt Py c. France.

Avec le temps, on est passé de 7 % à 19 % de personnes exclues du corps électoral. On en vient même à exclure des personnes nées en Nouvelle-Calédonie, ce que personne n'a voulu. Ces évolutions imposent que nous révisions la définition du corps électoral. Je souhaite, pour ma part, que ces modalités fassent partie d'un accord. Je vous remercie, mes chers collègues, car, indépendamment de nos divergences politiques, vous avez appelé de vos vœux l'organisation de discussions et l'émergence d'un accord.

Mme Luquet a raison de rappeler que la société civile souhaite être associée de manière plus étroite aux discussions sur les évolutions institutionnelles. Ces dernières ne peuvent pas faire abstraction des enjeux de la vie économique et sociale calédonienne, qui traverse une période très compliquée. La crise du nickel et la possibilité de fermeture des trois usines font en effet peser une menace sur 25 % des emplois du territoire. C'est potentiellement un cataclysme, et cela constitue un sujet de préoccupation supérieur aux interrogations sur les affaires institutionnelles. La société civile doit donc être associée.

Je comprends que M. Delaporte regrette qu'un de ses amendements ait été déclaré irrecevable, mais j'aurais émis un avis défavorable compte tenu de son caractère déclaratif. Cela étant, le contenu de cet amendement était tout à fait juste. Il exprimait le soutien à une démarche associant les Calédoniens et le Gouvernement pour parvenir à un accord, à l'instar de ce qui a eu lieu en 1988 et en 1998. Michel Rocard et Lionel Jospin, en bons pères de l'histoire institutionnelle calédonienne, ont toujours veillé à l'émergence d'un consensus, même si c'est parfois très compliqué.

Madame Sebaihi, on ne peut pas comprendre la Nouvelle-Calédonie et l'évolution des discussions de ces deux dernières années en considérant simplement les deux projets de loi. Ils peuvent donner l'impression d'arriver ex abrupto, mais je peux témoigner que ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. Il est exact qu'en 2022, il n'y avait pas de discussions, mais, à l'initiative du Gouvernement, elles ont pu commencer en 2023. Elles ont été d'abord bipartites, alors que nous souhaitions un format tripartite. Un document martyr a ensuite été produit par le Gouvernement et, à la suite de nombreuses versions de ce dernier, cela a permis d'aboutir en décembre 2023 à des initiatives entre partenaires politiques calédoniens pour compléter ce document. Les discussions se sont poursuivies en janvier 2024 et sont désormais suspendues. Tout cela est complexe et ambigu, et j'ai moi-même parfois du mal à m'y retrouver.

En toute sincérité, tous les efforts sont faits pour arriver à un accord, et ce n'est pas un amendement modifiant une date qui va en permettre l'émergence. Aucune date n'est magique, aucun délai n'est miraculeux et aucune démarche n'apporte la garantie que les acteurs politiques calédoniens parviendront à un accord. Il faudra voir si le congrès du FLNKS de mars débouchera sur une proposition de relance des discussions, qui sont au point mort.

Ces discussions ont fonctionné. Personne n'a contesté les deux projets de loi lorsqu'ils ont été annoncés par la Première ministre à la fin de 2023 et lorsqu'ils ont été déposés en janvier 2024. Le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a été saisi de ce projet de loi organique et je souligne qu'une sensibilité indépendantiste importante et toutes les formations non-indépendantistes ont émis un avis favorable.

Nous sommes pris entre les deux mâchoires du temps.

Cela fait longtemps que nous savons que nous devons discuter. Depuis 2023, on avance. C'est compliqué. On savait aussi que les élections ne pourraient pas avoir lieu en mai 2024, mais qu'elles ne peuvent pas être reportées de manière inconsidérée. Mais au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'échéance, on est de plus en plus inquiet de ne pas y parvenir. C'est très calédonien. Plus on est dans l'impasse, plus on est proche de la solution – et nous devons donc être très près de cette dernière. Ce projet de loi organique en fait partie, car la solution qu'il propose est attendue par les Calédoniens. J'insiste sur la nécessité de l'adopter dans les mêmes termes que le Sénat, faute de quoi on risque d'être contraints de convoquer un corps électoral dont on sait que la composition fera l'objet de contestations juridiques.

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