Intervention de Damien Adam

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam, rapporteur pour avis (Transports aériens) :

Je suis chargé de vous présenter les crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».

Le transport aérien sort d'une crise sans précédent liée à l'épidémie de la covid-19. Le trafic aérien français a chuté de 70 % en 2020 et de 61 % en 2021 par rapport à 2019. En août dernier, il a retrouvé 90 % de son niveau enregistré en août 2019. Les mesures de soutien public mises en place par le Gouvernement dès le début de la crise sanitaire ont été indispensables à la survie du secteur.

Le projet de budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » s'inscrit dans ce contexte de sortie de crise. Les recettes pour 2023, qui dépendent largement du trafic aérien, devraient progresser de 34 % par rapport à 2022, pour atteindre 2,23 milliards d'euros. Le niveau d'emprunt se réduirait, mais la dette resterait élevée puisqu'elle devrait atteindre 2,6 milliards d'euros fin 2023.

L'action de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) est marquée par trois priorités : le maintien d'investissements dynamiques pour moderniser la navigation aérienne et préparer le transport aérien de demain ; le désendettement du budget annexe grâce à la poursuite de la maîtrise des dépenses, l'objectif étant de ne plus recourir à l'emprunt à horizon 2027 ; le lancement d'une négociation collective avec les représentants du personnel, pour accompagner la reprise et les innovations du secteur dans les meilleures conditions.

Après deux années prioritairement dédiées à la survie économique du secteur, la décarbonation du transport aérien est plus que jamais d'actualité. J'y ai consacré la partie thématique de l'avis budgétaire.

Le transport aérien est responsable de près de 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et de 5 % à 6 % de ces émissions en France. Dans le monde décarboné de demain, ce secteur, plus que n'importe quel autre, se doit de réussir sa transition écologique. C'est à cette condition que l'on pourra continuer de voler en 2050. Il n'existe pas aujourd'hui de solution unique qui suffirait à atteindre l'objectif de neutralité carbone du transport aérien en 2050 ; une panoplie d'outils doit être mobilisée.

Tout d'abord, le recours à des carburants durables d'aviation (SAF, pour Sustainable Aviation Fuel ) doit être accru. Par rapport au kérosène, ces carburants durables permettent d'obtenir 80 % à 90 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Depuis le 1er janvier 2022, l'objectif d'incorporation est fixé à 1 % et doit progressivement augmenter. Or les compagnies aériennes peinent à s'approvisionner et sont contraintes de payer la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les transports (Tiruert). En outre, le coût des SAF est trop élevé – quatre à six fois plus que celui du kérosène.

Il est donc urgent d'accentuer le soutien public à la production de SAF afin de favoriser la structuration d'une filière viable et la massification de la production. En plus de participer à la décarbonation du secteur aérien, une telle filière créera des emplois et renforcera l'indépendance énergétique de la France. Des aides sont prévues, au travers des appels à projets lancés dans le cadre des plans France relance et France 2030.

Face à l'urgence, il convient à la fois d'accélérer les délais de mise en place des aides, et d'orienter ces aides non plus seulement vers la mise en place de démonstrateurs et d'études préindustrielles, mais aussi vers la construction d'usines de production prêtes à fonctionner.

L'optimisation des trajectoires de vol est intéressante puisqu'elle permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien de 6 % à 10 % lors des phases de décollage, d'approche et d'atterrissage. Les services de la navigation aérienne de la DGAC cherchent à développer des trajets plus directs mais se heurtent à des difficultés sur le terrain. Les descentes continues, comparées à des descentes par palier, présentent un intérêt global : elles améliorent la situation de la grande majorité des populations habitant à proximité des aéroports en termes de réduction de la pollution et du bruit. Toutefois, l'impact est moins certain pour les habitations se situant au départ des trajectoires de descente des avions. Il convient donc d'aider toutes les personnes potentiellement touchées par l'attribution rapide d'aides à l'insonorisation. Ces aides sont financées par la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA), dont les recettes se sont effondrées en raison de la chute du trafic aérien. C'est pourquoi une avance de l'État, remboursable progressivement sur les recettes de la TNSA, doit être accordée.

Le développement des SAF et les progrès technologiques constituent les principales solutions pour décarboner le transport aérien. Toutefois, même avec des investissements massifs, cette transition ne peut se faire du jour au lendemain. Plusieurs années sont encore nécessaires avant que les avions verts deviennent majoritaires dans le ciel.

En attendant, les voyageurs doivent s'adapter. Chacun, à son échelle, doit prendre conscience de l'impact des trajets en avion sur le climat et, lorsque cela est possible, limiter ses voyages en avion.

Afin de sensibiliser et de responsabiliser les consommateurs, je propose la création d'une plateforme internet unique, également déclinée en application mobile, présentant le budget carbone aérien par an de chaque citoyen. Celui-ci pourrait suivre l'évolution de son budget carbone, ainsi que la consommation en carbone de chacun de ses trajets effectués en avion au départ ou à l'arrivée de France. Lorsque les données sont disponibles, il serait possible d'affiner la consommation en fonction des compagnies aériennes et du type d'avion.

Mais il ne suffit pas de sensibiliser les voyageurs aux émissions de gaz à effet de serre produites par le transport aérien, encore faut-il qu'ils puissent facilement remplacer leur voyage en avion par un moyen de transport moins polluant. Cela suppose d'encourager le report modal de l'aérien vers le ferroviaire.

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience », interdit les liaisons aériennes lorsqu'il existe une solution ferroviaire sans correspondance d'une durée de moins de deux heures trente. D'après le projet de décret, trois liaisons seront interdites : celles reliant l'aéroport de Paris-Orly, d'une part, et ceux de Bordeaux, Nantes et Lyon, d'autre part. Je propose d'aller plus loin d'ici à la fin de la décennie en prévoyant d'interdire les trajets aériens lorsqu'il existe une solution en train de moins de trois heures, ce qui ajouterait Paris-Marseille une fois développée la technologie du système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS niveau 2, pour densifier le trafic, et Paris-Toulouse, après que la nouvelle ligne TGV sera en service. Cette interdiction ne concernerait pas les avions décarbonés à hydrogène ou électriques.

D'ici à la fin de la décennie, il faudra aussi intégrer à l'interdiction les vols en correspondance. Cela ne pourra se faire qu'en offrant un service équivalent en train, c'est-à-dire en investissant pour permettre à l'aéroport Charles-de-Gaulle d'être mieux relié aux gares françaises, notamment franciliennes, et en assurant le traitement des bagages dès la gare SNCF. Il convient également d'améliorer la connexion entre les aéroports et les gares parisiennes. Y contribueront notamment le prolongement de la ligne de métro 14 jusqu'à l'aéroport d'Orly, en 2024, puis la ligne 18, mais également le Charles-de-Gaulle Express, qui doit relier l'aéroport Charles-de-Gaulle à la gare de l'Est début 2027, ou encore la ligne de métro 17 qui doit desservir cet aéroport en 2030.

Enfin, le transport aérien est par essence mondial. C'est pourquoi les efforts entrepris au niveau national doivent s'accompagner d'une action renforcée aux niveaux européen et international.

À ce sujet, il faut saluer l'action de la France, qui joue un rôle clé en faveur d'une réforme ambitieuse du système européen d'échange de quotas d'émissions, en cours de négociation dans le cadre du paquet de propositions « Fit for 55 ». C'est en effet sous présidence française qu'une orientation générale a été adoptée en vue de prévoir la suppression progressive des quotas gratuits pour l'aviation entre 2024 et 2027.

J'en viens maintenant à une thématique plus spécifique, qui fait l'actualité et suscite des polémiques depuis cet été, celle des jets privés.

Le secteur de l'aviation privée est hétérogène. La majorité des jets qui circulent effectuent des vols commerciaux dont la prestation a été achetée par les passagers auprès de sociétés d'aviation. Les vols effectués par des propriétaires privés d'avions à des fins professionnelles ou personnelles sont plus rares. D'autres vols en jet privé effectuent du transport médical ou desservent des aéroports de province sans ligne commerciale, qui permettent à des sièges sociaux d'être implantés dans des territoires mal desservis par le train. Il serait donc économiquement et socialement dangereux de simplement interdire ces utilisations, mais une meilleure régulation est sans aucun doute nécessaire.

La majorité des vols sont intra-européens et la moitié d'entre eux couvrent une distance inférieure à 500 kilomètres. Les émissions de CO2 de l'aviation privée sont, en moyenne et par passager, dix fois plus élevées que pour un vol classique. Si l'incidence des jets privés est écologiquement marginale – 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre –, la charge symbolique est forte. Les utilisateurs de jets ne doivent pas donner le sentiment qu'ils ne contribuent pas suffisamment aux efforts demandés à l'ensemble des citoyens.

À cet égard, plusieurs mesures me paraîtraient bienvenues. En premier lieu, pour des raisons d'acceptabilité et de justice sociale, l'augmentation de la fiscalité sur les trajets effectués en jet privé, sous trois formes combinées afin de couvrir tous les types de trajets : l'augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) pour les vols non commerciaux ; l'assujettissement à la TICPE du kérosène utilisé pour les vols commerciaux effectués sur le territoire national ; la majoration de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) ou « taxe Chirac » pour l'ensemble des vols commerciaux.

Toutefois, la clientèle de l'aviation privée étant relativement peu sensible au prix, une augmentation de la fiscalité ne sera pas suffisante pour réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par ces voyages. C'est pourquoi je propose, en second lieu, de fixer des objectifs plus ambitieux d'incorporation de carburants durables pour l'aviation privée. L'obligation d'incorporation de SAF pourrait être de 50 % pour les jets privés en France dès 2025. Cette obligation concernerait également la flotte de la République, qui doit être exemplaire.

En troisième lieu, il me semble souhaitable d'accroître la transparence sur les voyages d'affaires effectués en jet par le biais de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les trajets effectués doivent faire partie des informations figurant dans la déclaration annuelle de performance extra-financière des entreprises. Chaque trajet devrait ainsi être justifié par l'absence d'une alternative raisonnable.

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