Intervention de Damien Adam

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam, rapporteur pour avis :

Monsieur Bony, il est faux de dire qu'on a peu fait pour le transport aérien : depuis le plan de relance, plus de 15 milliards d'euros ont été dédiés au secteur de l'aéronautique.

La concurrence potentielle entre agriculture et agrocarburants doit être regardée de près mais elle ne doit pas susciter d'inquiétude. Sur le territoire national et au niveau européen, on s'interdit d'utiliser des biocarburants de première génération entrant en concurrence directe avec l'agriculture. C'est tout à notre honneur et en conformité avec nos valeurs – les Américains n'ont pas les mêmes pudeurs de gazelle.

La taxe imposée aux compagnies aériennes qui ne respectent pas les normes fixées pour l'incorporation de biocarburants dans le kérosène ne traduit pas le souhait d'instaurer une taxe supplémentaire ; elle est censée inciter l'écosystème à développer leur utilisation dans le secteur aérien. Reste que la capacité de la filière pétrochimique à faire émerger les biocarburants ne répond pas forcément à l'obligation légale d'incorporation, même si la situation est différente suivant les territoires et les compagnies. Easyjet vient de signer avec une compagnie du Royaume-Uni un contrat pluriannuel qui lui permettra de pourvoir à ses besoins et de pas acquitter la taxe, tandis qu'Air France rencontre des difficultés d'approvisionnement.

Dans le cadre du plan France relance, 200 millions d'euros ont été dédiés à cette thématique. Un appel à projets a été lancé pour créer des démonstrateurs et faire émerger cette filière – les lauréats seront connus dans les prochaines semaines. Je propose d'aller plus vite et plus loin pour augmenter le volume du marché des biocarburants, en prévoyant des taux d'incorporation bien plus élevés, jusqu'à 50 % pour les jets privés. C'est l'histoire de l'œuf et de la poule : les compagnies aériennes peinent à s'approvisionner tandis que, sans idée claire des perspectives de marché, les acteurs de la pétrochimie hésitent à investir. Nous devons nous assurer que tout le monde suive la dynamique avec audace et ambition. Je rappelle que les biocarburants procurent 80 % à 90 % d'économie de CO2 par rapport à du kérosène classique.

L'amélioration des flottes est un sujet majeur. Tous les dix à quinze ans, chaque génération d'avion réalise 15 % à 20 % d'économie et d'optimisation par rapport à la précédente. La prochaine devrait être encore plus ambitieuse en cumulant les optimisations de moteurs.

Madame Jourdan, vous regrettez que la sobriété manque dans les discours et soit trop présente dans les actions. L'interdiction des vols intérieurs pour lesquels existe une solution ferroviaire de remplacement d'une durée inférieure à deux heures trente me semble bien une mesure de sobriété du secteur aérien.

Cet été, des destinations dans les outre-mer français ont fait de meilleurs scores qu'en 2019 quand d'autres régions du monde, comme les pays asiatiques et la Chine, n'ont pas retrouvé le trafic antérieur. Après une mise à jour intégrant les problématiques d'inflation, l'organisation Eurocontrol, qui prévoyait un retour à 100 % du trafic de 2019 en 2024, le renvoie potentiellement à 2025. C'est aussi une manière de respecter la sobriété puisque, tant que le trafic n'aura pas retrouvé le niveau de 2019, les émissions de gaz à effet de serre resteront stables ou baisseront grâce à l'emploi des biocarburants et à l'amélioration des flottes.

Je suis déçu que vous ne pensiez pas comme moi que le renforcement de la transparence et l'information des citoyens sur le budget carbone et les émissions de gaz à effet de serre de chaque trajet en avion pourraient les inciter à se poser les bonnes questions, à revoir leurs modes de déplacement, et puissent être de nature à susciter une amélioration collective.

Il faut savoir ce que l'on veut faire avec la taxation. Une taxation nationale n'aurait guère d'effet sur les vols commerciaux classiques puisque l'origine ou la destination de la plupart des trajets en avion est extérieure à nos frontières. L'échelle doit être plus large mais les règles du secteur aérien mondial empêchent toute action sur le kérosène, sauf au niveau national. Il faut convaincre les différents acteurs par l'intermédiaire de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et au niveau européen. Je ne suis pas hostile à la taxation – je l'évoque dans mon rapport – mais l'échelle pertinente est européenne, voire internationale.

Dans le cadre des contrats de filière signés entre l'État et les différents secteurs industriels, les sujets liés à la formation professionnelle sont pris à bras-le-corps pour anticiper les besoins et l'évolution des effectifs. À l'échelle nationale, le secteur aérien représente plus de 100 000 emplois et les perspectives à long terme restent positives, car on a besoin de salariés compétents pour décarboner les avions.

Monsieur Thiébaut, vous invitez à pousser plus loin le report modal. Selon le président-directeur général (PDG) du groupe Aéroports de Paris (ADP), la gare SNCF de l'aéroport Charles-de-Gaulle deviendra dans quelques années la première gare française, avec un trafic supérieur à celui des gares parisiennes. Aujourd'hui, elle est bien reliée aux lignes TGV du nord de la France mais moins aux autres. Des travaux sont en cours pour développer le report modal. Pour prendre un vol international à Paris depuis Bordeaux ou Nice, on empruntera le train au lieu de l'avion. Dans le report modal, il y a aussi le traitement des bagages : il faut arriver à faire en sorte qu'on puisse déposer son bagage au point de départ pour le récupérer au point d'arrivée. L'avantage de la gare Charles­de-Gaulle 2, c'est que les infrastructures de traitement des bagages se trouvent en dessous : il faudrait simplement investir pour développer le service. Si je renvoie à la fin de la décennie l'interdiction des vols avec correspondance lorsqu'il existe un trajet en train de moins de trois heures, c'est pour laisser le temps à la gare Charles-de-Gaulle 2 d'organiser un service de qualité, à la hauteur de ce qu'on est en droit d'attendre.

Madame Lasserre, le secteur est en effet très engagé dans la décarbonation : il s'est engagé à la neutralité carbone en 2050. De fait, alors que le trafic a quasiment doublé en quelques dizaines d'années, les émissions n'ont pas progressé en parallèle, grâce aux milliards d'euros investis dans la recherche d'optimisation des avions, des opérations et des trajectoires aériennes.

En évoquant le soutien au renouvellement des flottes, vous pensiez sans doute à une sorte de prime à la conversion. Les compagnies aériennes françaises sont déjà fortement engagées dans une politique de renouvellement des flottes. C'est le cas d'Air France depuis que Benjamin Smith en a pris la direction, et de la plupart des autres entreprises. Un accompagnement financier de la part de l'État n'est donc peut-être pas nécessaire, et cela d'autant moins qu'il risquerait d'entraîner un effet d'évitement, les compagnies aériennes françaises se débarrassant des flottes les plus anciennes, qui pourraient alors être réutilisées dans d'autres zones du monde.

Il conviendrait donc plutôt de définir une politique à l'échelle mondiale pour nous débarrasser des avions les plus anciens, âgés de plus de 15 ou 20 ans, en les sortant du marché pour les recycler et les démanteler dans les meilleures conditions environnementales. Cela permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur, sachant que les constructeurs, qu'il s'agisse d'Airbus ou de Boeing, ont déjà du mal à répondre à la demande des compagnies aériennes.

Madame Pochon, ma réponse à Mme Jourdan répond aussi à votre question relative au rétablissement de la TICPE sur le kérosène. Mon avis budgétaire propose dans ce domaine des mesures, auxquelles je vous renvoie.

En matière de fiscalité, des mesures ont déjà été prises durant le mandat précédent, sous la forme d'une obligation pour les compagnies aériennes d'appliquer une compensation carbone au prix des billets, afin de limiter l'impact négatif des voyages pour la planète. Le prix moyen des billets d'avion connaît du reste une forte augmentation – de l'ordre de 30 % – par rapport à son niveau d'avant la crise de la covid-19, ce qui a un effet régulateur dans le secteur en entraînant une baisse de la demande.

Se développent, parallèlement, les carburants durables d'aviation, qui doivent actuellement être incorporés à hauteur de 1 %. Les discussions sur le paquet de mesures européennes intitulé Refuel EU prévoient une augmentation progressive de ce taux d'incorporation durant les prochaines années. Je propose, pour ma part, une accélération de ce mouvement à l'échelle nationale. Toutes ces mesures contribuent à la régulation du secteur aérien et à l'application d'une logique beaucoup plus vertueuse.

Monsieur Taupiac, vous avez raison de rappeler que le secteur aérien est une richesse pour notre pays, tant économiquement que socialement, car nos exportations d'avions profitent à notre balance commerciale et des dizaines de milliers d'emplois sont ainsi assurés. L'avion du futur fait l'objet d'investissements très importants : en ce moment même, Airbus a engagé des activités de recherche et développement consacrées à l'avion à hydrogène, à l'avion électrique et à toutes les solutions qui nous permettront de disposer demain d'avions neutres en carbone.

Pour ce qui est de la fiscalité du secteur public de l'aérien, la très forte baisse d'activité liée à la crise de la covid-19 a fait fondre les recettes affectées, remplacées par un endettement estimé aujourd'hui à 2,7 milliards d'euros. La DGAC, qui retient les mêmes scénarios de reprise du trafic qu'Eurocontrol, affirme être en mesure de se désendetter durant l'actuel quinquennat pour revenir à son taux d'endettement d'avant la crise de la covid-19, soit un montant de l'ordre de 1,1 milliard d'euros fin 2027, grâce à la combinaison d'un plan d'optimisation et des investissements nécessaires pour rester au niveau souhaitable.

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