Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 30 septembre 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur :

Pour la métropole.

Par le passé, on ajoutait d'autres chiffres à ceux-là. On comptabilisait les éloignements à destination de la Roumanie et de la Bulgarie, qui étaient financés par le Gouvernement à grand renfort d'argent public. Certains intéressés rentraient passer Noël en Roumanie, revenaient en France entre Noël et Pâques, puis repartaient après Pâques. C'était très dispendieux, cela gonflait les statistiques, mais cela ne faisait ni des éloignements réels ni une politique migratoire. Nous avons mis fin à cette pratique lorsque Jean-Marc Ayrault était Premier ministre.

D'autre part, il y avait le concept très intéressant des « OQTF flash » – obligation de quitter le territoire français – : lorsque l'on constatait, à l'aéroport, qu'une personne en situation irrégulière quittait d'elle-même la France, on lui délivrait une OQTF, laquelle était prise en compte dans les statistiques. En additionnant les éloignements forcés – les seuls véritables –, les retours de ressortissants roumains et bulgares, et les « OQTF flash », on obtenait des chiffres appréciables, mais qui ne correspondaient à aucune réalité.

J'assume tout à fait notre politique d'éloignement devant vos commissions : on ne peut pas investir massivement dans le dispositif d'asile, dégager des moyens pour augmenter le nombre de places en CADA, développer l'hébergement d'urgence, mobiliser l'ensemble des acteurs autour de la nécessité d'accueillir les réfugiés et, dans le même temps, rester inerte face à l'immigration économique irrégulière. Car celle-ci compromettrait, in fine, la soutenabilité de l'accueil. Si nous voulons accueillir tous ceux qui doivent l'être, il faut prendre ces mesures d'éloignement, ce que nous faisons.

Les chiffres que je vous ai fournis sont établis par l'INSEE. Ils ont donc la même fiabilité que les données budgétaires ou les chiffres du chômage, dont tout le monde débat, mais que personne ne conteste. Tel n'est pas le cas en matière d'immigration : comme il s'agit d'un sujet plus passionnel et très politique, on va jusqu'à contester les chiffres produits par l'INSEE. J'aimerais que nous n'en soyons plus là. Je communiquerai à vos commissions tous les documents pertinents relatifs aux sujets que j'ai évoqués.

Je souhaite maintenant dire quelques mots de la situation à Calais.

J'aurais pu survoler la « jungle » en hélicoptère, disperser les migrants à grand renfort de forces de l'ordre, sans m'occuper de l'endroit où ils iraient ensuite, et rentrer à Paris en déclarant que j'avais fait une démonstration de force et que j'étais un grand ministre de l'intérieur. C'eût été facile, mais rien n'aurait été réglé. Je n'ai pas voulu agir de la sorte. Ce que nous avons décidé de faire comprend une part de risque. J'assume ces mesures et veux les expliquer devant vous.

Notre politique à Calais est simple et lisible. Son premier axe, c'est d'étanchéifier la frontière entre la France et le Royaume-Uni. Cette stratégie n'a pas été inventée par le gouvernement actuel : tel était l'esprit des accords du Touquet, mis en oeuvre par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy. Je n'ai pas de divergence de fond avec cette approche, qui est, selon moi, la bonne. Car, si nous voulons que les passeurs cessent leur activité de traite des êtres humains et que les migrants cessent de se masser à la frontière franco-britannique, il faut envoyer le signal auxdits passeurs que leur commerce est vain, car ceux qu'ils incitent à passer au Royaume-Uni en prélevant sur eux des sommes considérables ne pourront pas franchir la frontière. C'est la seule manière de diminuer le flux vers Calais.

S'agissant de la mise en oeuvre des accords du Touquet, la seule différence par rapport à la période précédente, c'est que nous sommes sortis de la relation léonine avec les Britanniques. Auparavant, ceux-ci ne finançaient pas la stratégie qu'ils nous avaient demandé d'adopter. Désormais, conformément à mon souhait, ils contribuent à la sécurisation de la frontière à hauteur de 35 millions d'euros via un fonds de concours. En outre, ils ont accepté de participer à des actions humanitaires visant à protéger les enfants et les familles vulnérables. Ainsi, nous avons mis en place des dispositions d'accueil qui n'existaient pas jusqu'à présent.

Deuxième axe : nous combattons résolument les filières de l'immigration irrégulière à Calais. C'est un travail de chaque instant, qui nécessite une adaptation quotidienne. J'avais donné des instructions pour que la police entre aujourd'hui dans le camp à Calais. Car, si nous voulons que l'OFII et l'OFPRA puissent y travailler avec les associations humanitaires, il faut faire en sorte qu'il ne soit pas infiltré par les réseaux de passeurs, comme cela arrive parfois. Ces réseaux, qui sont de véritables filières de la traite des êtres humains, n'ont pas leur place dans le camp. Nous obtenons des résultats : depuis le début de l'année nous avons démantelé une trentaine de filières de passeurs à Calais et à Dunkerque, ce qui correspond à environ 750 individus arrêtés sur les 3 300 que j'ai mentionnés précédemment.

Troisième axe : j'ai mobilisé mes services pour que les migrants présents à Calais demandent l'asile en France, ce qui est normal dans la mesure où ils ne peuvent pas le faire au Royaume-Uni, la frontière étant bloquée. J'ai donc renforcé considérablement les moyens de l'OFII et de l'OFPRA pour améliorer l'efficacité des procédures, afin que ceux qui relèvent du statut de réfugié accèdent rapidement à l'asile et soient sortis de Calais pour être placés en CADA ou dans d'autres types d'hébergement. Le résultat se mesure là aussi par des chiffres : depuis le début de l'année, nous avons enregistré 1 600 demandes d'asile à Calais, contre 1 000 en 2014 et 400 en 2013. Ceux qui demandent l'asile à Calais étant généralement éligibles au statut de réfugié – il s'agit notamment de Syriens et d'Érythréens –, le décalage entre le nombre de demandes et le nombre de statuts accordés est faible.

Quatrième axe : nous organisons le retour à la frontière, à partir de Calais, de ceux qui relèvent de l'immigration irrégulière, dans le cadre de vols franco-britanniques. Depuis le début de l'année 2015, nous avons ainsi procédé à 1 600 éloignements, contre 1 000 en 2014. Je suis tout à fait prêt à communiquer à vos commissions les documents de la police aux frontières qui attestent ces chiffres.

Cinquième axe : nous humanisons les conditions d'accueil des migrants présents à Calais. J'ai accepté la proposition de la maire de Calais – qui appartient à l'opposition et fait son travail de maire – de mettre en place un accueil de jour, afin notamment de distribuer un repas par jour aux migrants. Le Gouvernement s'est mobilisé pour le financer avec des moyens budgétaires nationaux et des concours européens. En outre, nous allons élargir encore les possibilités d'accueil des femmes et des enfants vulnérables. Dans le cadre du plan « grand froid », j'ai demandé au préfet de mettre en place des dispositions d'accueil spécifiques pendant la période hivernale. Enfin, la lande ne doit pas être un cloaque. Nous allons l'aménager afin que les migrants puissent s'abriter et ne soient plus dans la situation de précarité qu'ils connaissent actuellement.

Pour répondre à votre question, madame la présidente Danielle Auroi, si cette action n'est pas conforme aux objectifs que nous devons poursuivre avec les associations, je ne sais plus comment faire ! Nous sommes engagés dans une démarche humanitaire de long terme, déterminée, persévérante et volontaire. À Calais comme ailleurs, il faut allier humanité et responsabilité. Je recevrai toutes les associations vendredi soir place Beauvau. Le ministère de l'intérieur suscite, par construction, leur méfiance, mais il entend faire pleinement son travail sur le volet humanitaire.

La politique que nous menons à Calais est difficile. Elle est différente de celle qui a été conduite jusqu'à présent, et je l'assume devant vous. Je souhaite la développer à Dunkerque et à Téteghem, dont j'ai reçu les élus ce matin.

Pour terminer, je souhaite évoquer la question de fond de Schengen, car j'entends parler d'un « Schengen II » ou d'un abandon de Schengen.

Un « Schengen II », pourquoi pas, mais de quoi s'agit-il ? J'ai lu plusieurs dépêches à ce sujet. Selon l'une d'entre elles, « Schengen II », ce serait un espace Schengen dont on accepte les règles. Cela ne pose guère de problème : Schengen n'a pas été conçu pour que l'on n'en respecte pas les principes !

Ensuite, j'ai entendu dire que « Schengen II », ce serait Schengen avec le contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne. Cela ne pose pas de difficulté non plus : c'est précisément ce que nous demandons à travers le renforcement de Frontex, la mise en place des hot spots et la négociation de conventions de retour. J'y suis très favorable.

Selon une troisième version, « Schengen II », ce serait la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières intérieures de l'Union, lorsque les règles de Schengen ou de Dublin ne sont pas respectées. J'ai même entendu dire que nous étions prêts à suivre l'Allemagne lorsqu'elle a rétabli les contrôles à ses frontières, constatant que les règles de Dublin n'étaient pas respectées dans d'autres pays. Or, il y a trois mois et demi ou quatre mois, je le rappelle, les chaînes de télévision ont diffusé des reportages très critiques à mon encontre, précisément parce que j'avais rétabli les contrôles à Vintimille, n'étant pas convaincu que les principes de Dublin étaient respectés en Italie. Donc, loin d'avoir suivi l'Allemagne, nous avons instauré des contrôles avant qu'elle ne le fasse elle-même. Car il est normal qu'un pays veille au respect des règles de Schengen et de Dublin, et qu'il mette en place des contrôles lorsque c'est nécessaire. Si c'est cela, « Schengen II », cela ne me pose pas de problème.

Certains m'ont demandé de rétablir les contrôles à la frontière franco-allemande. J'ai répondu que c'était stupide et je le confirme. Car les flux de migrants ne vont pas de l'Allemagne vers la France, au cas où cela aurait échappé à la sagacité de ceux qui m'ont fait cette proposition ! Le rétablissement des contrôles entre la France et l'Allemagne aurait donc un effet contraire à l'objectif qu'ils cherchent à atteindre. Mais sans doute y a-t-il dans cette proposition un mystère que la présente réunion nous permettra de percer…

Enfin, d'aucuns affirment que Schengen est un problème dans la lutte contre le terrorisme et proposent d'en sortir. À ceux-là, j'aimerais poser quelques questions très précises. Actuellement, le signalement de tous ceux qui, compte de leur activité, sont susceptibles de basculer dans le terrorisme est versé au système d'information Schengen (SIS). Sans Schengen et le SIS, comment la coopération entre États membres en matière de lutte contre le terrorisme s'organiserait-elle ? C'est un véritable problème. De même, sans Schengen, comment serions-nous alertés du fait qu'une personne « fichée S » franchit les frontières extérieures de l'Union européenne, puis les frontières intérieures ? Nous ne saurions plus comment faire.

Les personnes qui prônent l'abandon de Schengen pour mieux lutter contre le terrorisme sont d'ailleurs aussi celles qui sont opposées au PNR – passenger name record –, alors que ce système permet de rétablir la traçabilité des terroristes lorsqu'ils reviennent des théâtres d'opérations, c'est-à-dire d'être informé de leur retour en temps voulu pour pouvoir les neutraliser avant qu'ils ne franchissent les frontières extérieures de l'Union européenne. À bien y regarder, la meilleure manière d'échouer dans la lutte contre le terrorisme, c'est de renoncer à Schengen, au SIS, au système de signalement et au PNR. Même si tous ces instruments ne suffisent pas à lutter contre le terrorisme, chacun le comprendra.

Je serais très intéressé de savoir ce qu'est « Schengen II » par rapport aux différentes hypothèses que j'ai évoquées, et d'en parler. Car il n'y a aucune raison de ne pas retenir les bonnes idées. Après tout, sur les questions difficiles auxquelles nous sommes confrontés, plus nous cheminons ensemble, plus nous créons les conditions du consensus républicain, à condition de le faire avec une exigence partagée de méthode, de rigueur et de vérité.

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