Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 10 avril 2013 à 21h30
Infrastructures et services de transports — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, M. Patrice Carvalho devait intervenir au nom du groupe GDR. Toutefois, des problèmes de santé le tenant encore éloigné de notre hémicycle, j'interviens ici en tant que suppléant.

Étant un ancien membre de cette belle commission du développement durable, et considérant mon implication sur la question des transports en tant que membre de la commission Mobilité 21, c'est avec intérêt que j'ai examiné le projet de loi qui nous est soumis.

Il peut paraître assez technique ; il n'en revêt pas moins une importance particulière dans une démarche engagée vers la transition écologique, à travers notamment le report modal du transport routier vers d'autres moyens de transports plus respectueux de l'environnement. « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat », disait Aragon.

Ce texte a pour ambition de commencer à rendre concrets les engagements du Grenelle de l'environnement, notamment la mise en place de l'écotaxe poids lourds.

Il est soumis à la procédure d'urgence, comme le sont d'autres, de plus en plus nombreux. Une fois de plus, cela contribue à dévaloriser le travail parlementaire et à en limiter la richesse et la qualité – même si je n'ignore pas que l'écotaxe poids lourds est soumise à un calendrier puisque sa mise en oeuvre est prévue pour le 20 juillet, et que les entreprises doivent disposer du temps nécessaire pour s'y préparer.

Ce projet a le mérite d'apporter des clarifications et des précisions à la législation existante, de renforcer les capacités de contrôle de la puissance publique en matière de transport maritime et de permettre enfin la mise en place de l'écotaxe poids lourds votée en 2009.

Pour autant, il avait été prévu, lors du Grenelle de l'environnement, que les modes de transport alternatifs à la route devraient représenter 25 % du fret à l'horizon 2025. Nous sommes encore très loin du compte. Mais comme nous n'aurons pas de grand soir, il nous faut bien des petits matins. L'écotaxe poids lourds en est un. Elle a pour objet d'inciter au report modal dans la mesure où il ne concerne que peu ou pas le transport de proximité mais avant tout les longs transports routiers, ceux qui sont les plus polluants et les plus accidentogènes.

Mais pour que le report modal s'effectue, encore faut-il que les autres moyens de transports soient effectifs. La prééminence de la route dans le transport des marchandises ne connaît pas de véritable remise en cause. La tentation du « tout routier » est toujours bien réelle. Elle se déploie au détriment du rail, du ferroutage et du fluvial.

Ainsi, le transport routier assure près de 90 % du transport des marchandises et, malgré la hausse continue du prix du pétrole, le fret ferroviaire a reculé en France de près de 40 %, passant de 57 milliards de tonnes-kilomètre en 2000 à 34 milliards en 2011.

Dans le même temps, la part du transport combiné ferroviaire a diminué de 70 % environ. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que la route représente 94 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports.

Nous avons pris beaucoup de retard dans le développement de la voie d'eau, quand nos partenaires européens dotés d'un patrimoine fluvial aussi important que le nôtre ont développé le grand gabarit. En France, le transport fluvial représente 7,5 milliards de tonnes-kilomètre contre 64 milliards en Allemagne, 45 milliards aux Pays Bas et 8,75 milliards en Belgique.

De ce point de vue, le report du canal Seine-Nord Europe, ce maillon manquant reliant notre pays au réseau fluvial européen, est dommageable, même si nous avons bien compris que le financement prévu et mal ficelé impliquait ce report. Il faudra cependant, quand les conditions seront réunies, mener à bien ce projet sans lequel le report modal ne serait qu'une imprécation.

Ce dossier est d'ailleurs emblématique si nous considérons l'engorgement de l'autoroute A1 et l'urgence d'agir pour développer les modes de transports alternatifs au rang desquels figure le transport fluvial.

Nous savons bien pourquoi le « tout routier » a été favorisé. La stratégie des entreprises pour éviter les stocks et développer le « juste à temps » a encouragé à privilégier la route qui garantit la livraison de porte à porte avec une réactivité assurée.

Mais ce qui est économisé à un bout de la chaîne se paie à l'autre bout, en termes de dégradation environnementale, de dangerosité de la route, de conséquences sanitaires, de conséquences en termes investissements et en entretien et, bien évidemment, en consommation énergétique.

Certes, le transport routier demeurera indispensable. Les clients sont nombreux, les lieux de livraison dispersés et, bien sûr, ni le train, ni la péniche ne déposeront ces marchandises à la porte de l'entreprise. Mais, pour toutes les raisons que j'ai évoquées, l'avenir réside dans ce que l'on appelle la multimodalité.

Le rail et le fleuve peuvent délester le réseau routier d'une part importante des camions qui le sillonnent chaque jour, le transport routier n'intervenant qu'à la fin de la chaîne de livraison. Ce projet de loi doit marquer un pas dans la direction de cette complémentarité.

Le développement des autoroutes ferroviaires permet de parcourir de grandes distances, sans rupture de charge, améliore la rapidité et la sécurité des trajets, mais il exige une activité de fret de proximité avec l'utilisation du wagon isolé pour que le transport par rail ne soit pas réservé aux seules grandes entreprises capables d'affréter un train entier.

Néanmoins, il faut bien constater que les axes de développement fixés par la SNCF ne vont pas dans cette direction. Le wagon isolé représente 42 % du volume du fret ferroviaire et recèle un important potentiel de développement. Telle n'est pourtant pas l'orientation envisagée puisque cette activité est condamnée à diminuer. Quant aux velléités de substitution au fret assuré par la SNCF, il faut bien convenir que les opérateurs ferroviaires de proximité n'ont pas réussi à atteindre l'objectif recherché.

Nous avons donc un problème puisque nous débattons d'un projet destiné notamment à commencer à organiser le report modal, mais, dans les faits, ceux qui sont censés y contribuer prennent des dispositions contraires.

Intéressons-nous à la voie d'eau. Quelques données chiffrées méritent d'être rappelées. En moyenne, un convoi fluvial, soit deux péniches, transporte 5 000 tonnes de marchandises. C'est autant que cinq trains complets et que 250 camions. En outre, il consomme 3,7 fois moins de carburant que la route et pollue quatre fois moins.

En termes de coût, le prix moyen d'une tonne de marchandises transportée sur 350 kilomètres revient à 12 euros sur une péniche à grand gabarit et à 21 euros par camion. Est-il besoin d'en dire davantage pour montrer que ce mode de transport doit être développé ?

Mais, là encore, nous sommes devant de singuliers paradoxes. J'ai évoqué le report du canal Seine-Nord Europe. Or dans la dernière loi de finances, 128 postes ont été supprimés au sein de Voies navigables de France et nous ne sommes pas du tout certains que soit respecté l'engagement de financer nos voies navigables à hauteur de 840 millions d'euros. Il est urgent de mettre en correspondance les intentions et les actes.

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