Intervention de Alain Tourret

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’image et le son, c’est une histoire, ce sont des récits, souvent beaucoup d’émotions, et parfois quelques frayeurs ; ce sont aussi des industries, de plus en plus fragilisées ces derniers temps, avec une crise économique qui frappe de plein fouet les acteurs du secteur, plus particulièrement les petits.

Faut-il créer en période de crise économique ? C’est un non-sens pour certains, bien mal informés du poids du secteur culturel au sein de notre économie. Les films et les enregistrements sonores, accompagnés de récits écrits et d’oeuvres littéraires, toujours différents les uns des autres dans leurs conceptions, sont toujours acteurs, ensemble, de la culture.

Les objets culturels font partie d’un patrimoine mondial, et la France compte de manière décisive dans les volumes de cet apport. Il y eut le son sans l’image, puis il y eut l’image avec un son. La couleur, enfin, a vu la musique épouser l’image animée, pour donner vie à une industrie culturelle de plus en plus présente, de plus en plus prégnante, sous des formes de plus en plus diverses et variées.

Vint alors le numérique. Certains, oubliant que seuls l’histoire et le contenu comptaient, avaient prédit que le numérique tuerait la pellicule et le livre. On disait que le MP3 tuerait le CD, qui tuerait lui-même le vinyle, tout comme le livre numérique tuerait le bon vieux bouquin, ami délaissé la journée et que l’on retrouve sur la table de chevet pour bien entamer sa nuit. Pourtant, mes chers collègues, chaque support a su trouver son espace propre pour se développer et coexister avec les autres, pour le plus grand plaisir d’un public hétéroclite.

Et puis, il y a les auteurs, ceux qui composent avec l’image et ceux dont l’image aide parfois à composer le son. Ils ont été protégés au fil des ans par une législation qui a dû s’adapter aux évolutions techniques entourant le domaine de la culture.

Voilà donc – et c’est bien un nouvel acte de la pièce qui sera mise en musique – que nous allons débattre de ce projet de loi, qui propose de transposer dans le droit français les dispositions permettant d’allonger de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical, et de prendre en compte l’intérêt d’amortissement des autres titulaires de droits voisins que sont les producteurs de disques.

Cette mesure peut se justifier, puisque ces droits viennent désormais régulièrement à échéance avant le décès de leur titulaire. Toutefois, et j’appelle votre attention sur ce point, madame la ministre, il faut veiller à ne pas glorifier le système de la rente et des ayants droits, car ce système ne bénéficie qu’aux grands acteurs du secteur, à ceux qui ont moins de difficultés que les autres à produire et à se produire.

Légiférer en faveur de dispositions culturelles égalitaires, ce n’est pas forcément légiférer en faveur de dispositions culturelles identiques pour tous ; c’est aussi s’armer de dispositions culturelles qui aident les créateurs qui en ont le plus besoin.

Dès lors, n’oublions pas que le message est souvent retranscrit dans les oeuvres de ceux qui travaillent dur, sans forcément fouler les tapis rouges illuminés de flashs et de paillettes. La culture est souvent un moment de détente pour celui qui la consomme. Elle aide notre société à s’évader mais aussi à se poser des questions, à remettre en cause certaines de nos certitudes ou à regarder la scène sous un autre angle de vue, pas forcément à travers l’objectif de la caméra mais peut-être depuis les coulisses, en régie.

Aussi, le groupe RRDP aimerait s’assurer que l’allongement de la durée de protection ne portera pas préjudice aux oeuvres considérées comme économiquement non viables. Il ne faudrait pas que des industriels du disque, par exemple, se trouvent moins enclins à rééditer certaines oeuvres financièrement moins viables, car cela compromettrait grandement la transmission d’un patrimoine immatériel et culturel.

Ce projet de loi vise également à permettre à un certain nombre d’organismes de numériser et de mettre à la disposition du public des oeuvres orphelines, dont les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins n’ont pas été retrouvés, malgré de vastes recherches. Ces oeuvres seront alors disponibles pour le public dans les musées, les services d’archives, les institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, les établissements d’enseignement et les organismes publics de radiodiffusion.

Alors que le virage numérique favorise la libre circulation des oeuvres, il devient urgent de se préoccuper des oeuvres protégées, dont les titulaires de droits ne sont pas retrouvés. L’accès à ces oeuvres en est par conséquent empêché.

La culture a ce formidable don de toujours se renouveler, grâce au recyclage d’anciennes oeuvres, qui permet d’en créer de nouvelles. Combien de spectacles musicaux sont restés, pour cette raison, à l’état de projet ? Tel groupe se trouvait frustré dans son choix, telle chorale ne pouvait interpréter la partition et tel organisme, qui souhaitait exploiter l’oeuvre orpheline, se trouvait dans une insécurité juridique.

Aussi, dans le cadre de l’initiative numérique de la stratégie Europe 2020, nous accueillons très favorablement cette directive. Grâce à elle, la musique trouvera un équivalent à ce qui se pratique depuis 2012 pour les livres et qui a permis l’éclosion de magnifiques initiatives, telle la base de données RELIRE de la Bibliothèque nationale de France, qui répertorie les livres indisponibles du XXe siècle.

Enfin, ce projet de loi améliore la restitution de biens culturels considérés comme des trésors nationaux et ayant quitté leur territoire illicitement – territoire faisant partie intégrante des États membres de l’Union européenne.

Madame la ministre, la culture pour tous est un beau programme. C’est ce à quoi nous devons tendre. Sans culture, pas de vie ; sans culture, pas de loisirs ; sans culture, pas d’Europe. Fédéralistes européens convaincus, les radicaux de gauche profitent de cette occasion qui leur est donnée pour encourager et soutenir l’idée d’une Union européenne de la culture renforcée. Avec ce projet de loi, nous nous en rapprochons.

Beaucoup de choses sont encore à faire, mais vous l’aurez compris, madame la ministre, le groupe des radicaux de gauche et apparentés considère que ce projet de transposition en droit interne de trois directives concernant la propriété littéraire et artistique va dans le bon sens. Par conséquent, nous voterons ce texte qui place les droits de propriété artistique au centre des débats.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion