Intervention de Marie-Claude Dupuis

Réunion du 18 décembre 2012 à 17h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'ANDRA :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter la gestion des déchets radioactifs en France.

L'ANDRA est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), qui a été créé par la première loi relative à la gestion des déchets radioactifs, en 1991. Ses effectifs, en croissance, sont aujourd'hui de 576 salariés. Il est placé sous la triple tutelle des ministères chargés de l'énergie, de l'environnement et de la recherche, et il est indépendant des producteurs de déchets radioactifs. Son unique mission est de trouver des solutions de gestion sûres à long terme pour l'ensemble de ces déchets.

Le budget pour 2012 de l'ANDRA est de 190 millions d'euros. La quasi-totalité de cette somme est financée par les producteurs de déchets, suivant différents canaux : des conventions, portant sur quelque 65 millions d'euros, ont été signées pour assurer les activités industrielles et le stockage des déchets dans les centres existants ; les recherches et les études sur le stockage géologique profond sont financées via une taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base, dite « taxe INB », instituée par la deuxième loi relative à la gestion des déchets, en 2006. À cela s'ajoute une subvention publique qui peut paraître modeste au regard de notre budget annuel, puisqu'elle s'établit à 5 millions d'euros environ, mais qui est importante pour nous dans la mesure où elle est destinée à financer nos missions d'intérêt général : établissement tous les trois ans de l'inventaire national des matières et déchets radioactifs, assainissement des sites pollués historiques, collecte des objets radioactifs anciens encore en la possession de particuliers. En outre, nous avons été dotés dans le cadre des investissements d'avenir d'un fonds de 75 millions d'euros dédié à la recherche sur le recyclage et le traitement des déchets radioactifs.

Nos projets, complexes, sont soumis à une gouvernance également complexe. L'ANDRA souhaite en effet être, sous l'égide de l'État, à l'écoute d'un maximum d'acteurs. Nous travaillons en liaison étroite avec les meilleurs organismes de recherche français et étrangers, dans une perspective pluridisciplinaire. Nos clients sont les producteurs de déchets, qui nous confient la gestion de ceux-ci et financent nos travaux. Nous échangeons aussi beaucoup avec la société civile, à l'échelon national et local, ainsi qu'avec les élus locaux qui nous accueillent sur leurs territoires et avec les parlementaires. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) assure un suivi très régulier de nos travaux. Enfin, nous sommes, selon l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), l'un des établissements publics les plus évalués de France !

Quand on évoque l'ANDRA, on pense en général aux déchets provenant de la production d'électricité, mais il existe bien d'autres applications de la radioactivité : militaires, dans le cadre de la dissuasion nucléaire ; médicales, pour le diagnostic et les traitements ; industrielles, pour des contrôles, ou agroalimentaires, pour le traitement des cultures. Au total, plus de 1 000 producteurs génèrent quelque 2 kilogrammes de déchets nucléaires par an et par habitant – dont 59 % « seulement » proviennent de l'industrie électronucléaire.

Les déchets radioactifs sont classés en fonction de deux critères. Le premier est leur durée de vie, qui varie de quelques jours à plusieurs centaines de milliers d'années ; on appelle déchet à vie courte un déchet comportant des radioéléments dont la période de demi-vie est inférieure à 31 ans – c'est-à-dire qu'il faudra attendre quelque 300 ans pour que le site qui les accueille ne nécessite plus de surveillance. Le second critère est le niveau d'activité : cela va de la très faible activité – souvent les déchets provenant de démantèlements – à la haute activité – déchets issus du fonctionnement des réacteurs.

L'inventaire national des matières et déchets radioactifs a été mis à jour en 2012. Il existe aujourd'hui un peu plus de 1,3 million de mètres cubes de déchets radioactifs en France ; nous avons une solution de gestion sûre pour plus de 90 % de ce total. Les déchets de haute activité issus du retraitement du combustible usé ne représentent que 0,2 % du volume à stocker, mais ils concentrent 96 % de la radioactivité totale des déchets.

En réalisant l'inventaire national, l'ANDRA ne se contente pas de prendre une photographie à un moment donné ; elle s'efforce également de faire de la prospective, en s'appuyant sur les déclarations des producteurs de déchets, afin de proposer des solutions de gestion sûres. Les prévisions pour 2020 et 2030 ont été rendues publiques en juillet de cette année ; la principale nouveauté tient à la très forte augmentation du volume des déchets très faiblement actifs, qui atteindrait 1,3 million de mètres cubes en 2030. Il s'agit essentiellement de déchets provenant des chantiers de démantèlement de centrales et d'installations nucléaires de base (INB), pour lesquelles il est difficile de faire des prévisions fiables.

Nous essayons de prolonger la prospective jusqu'à la fin de vie du parc nucléaire français, afin d'évaluer les futurs besoins de stockage. Comme les résultats sont dépendants de la politique énergétique française, nous travaillons sur la base de deux scénarios contrastés, qui, quoique théoriques, ont été validés par le comité de pilotage de l'inventaire national, lequel comprend non seulement les principaux producteurs de déchets – EDF, CEA, AREVA –, les représentants de l'État et des experts, mais aussi des représentants de la société civile, pour que les données soient lisibles et compréhensibles. Le premier scénario est la poursuite de la production électronucléaire, avec des réacteurs d'une durée de fonctionnement de 50 ans, et la poursuite du traitement et du recyclage des déchets de haute activité conformément à la politique industrielle actuelle d'EDF. L'autre scénario est, non pas l'arrêt brutal du nucléaire – hypothèse fort improbable –, mais le non-renouvellement de la production électronucléaire ; les réacteurs seraient arrêtés après 40 ans de fonctionnement, et le traitement du combustible usé abandonné dès lors qu'il ne serait plus utilisé pour la fabrication du combustible MOX. Le résultat des évaluations montre que la production de déchets très faiblement actifs ne varie guère d'une hypothèse à l'autre ; en revanche, le second scénario pose la question du stockage direct des combustibles usés, voire des combustibles MOX usés. L'ANDRA travaille sur l'hypothèse d'un traitement de tous les combustibles usés : nous prévoyons de stocker à 500 mètres de profondeur les colis vitrifiés issus du traitement des combustibles par AREVA à La Hague. On peut ainsi mesurer l'impact d'une politique énergétique sur notre mission de gestion des déchets.

Il existe actuellement trois centres de stockage de déchets radioactifs, tous en surface.

Le plus ancien est le centre de la Manche, qui a été construit à côté de La Hague. Plus de 500 000 mètres cubes de déchets de faible et moyenne activité y sont stockés. Il est aujourd'hui fermé et en phase de surveillance.

Le centre de stockage de l'Aube a été ouvert en 1992 à Soulaines. Conçu pour accueillir 1 million de mètres cubes de déchets, il est aujourd'hui rempli au quart de sa capacité ; nous considérons qu'il lui reste une soixantaine d'années d'exploitation. S'agissant des déchets d'exploitation et de maintenance des centrales nucléaires – les déchets dits « à vie courte » –, nous considérons que ce centre permettra de couvrir les besoins du parc nucléaire français jusqu'à la « fin de vie » de celui-ci.

Un autre centre de stockage a été ouvert en 2003 à quelques kilomètres du précédent, à Morvilliers, dans l'Aube. Nous disposons d'une autorisation pour le stockage de 650 000 mètres cubes de déchets de très faible activité, essentiellement issus des démantèlements actuels. Or ce centre est déjà rempli à 27 % ; il ne lui reste plus qu'une quinzaine d'années d'exploitation alors que, comme je l'ai dit, on prévoit à l'horizon 2030 1,3 million de mètres cubes de déchets de ce type. Avec ce seul centre, nous ne disposerons donc pas d'une capacité de stockage suffisante pour accueillir tous les déchets des démantèlements.

Afin de remédier à ce problème, nous travaillons dans plusieurs directions ; nous incitons les producteurs à réduire le volume de leurs déchets, en triant mieux et en compactant les ferrailles, et nous tâchons d'améliorer le recyclage au sein de la filière nucléaire, via la mise en oeuvre d'une filière de valorisation de certains métaux. Malgré ces efforts, il faudra envisager un jour l'extension du centre actuel, voire en construire un nouveau.

J'en viens aux deux centres de stockage en projet.

Les déchets de faible activité à vie longue correspondent essentiellement à des déchets qui nous ont été légués par l'histoire. Leur volume est modeste – 150 000 mètres cubes –, et une partie seulement concerne la filière électronucléaire : il s'agit des déchets de graphite issus de l'exploitation des réacteurs de la filière UNGG (uranium naturel-graphite-gaz), installés dans les centrales de Bugey, Saint-Laurent et Chinon, actuellement en attente de démantèlement. Comme ces déchets sont à vie longue, nous ne pouvons pas les stocker en surface, car on ne peut pas être certain de maîtriser les risques sur une durée de quelque 10 000 ans. Comme ils sont de faible activité, il serait possible de les stocker dans une couche d'argile à faible profondeur ; encore faut-il trouver le site adéquat ! L'ANDRA a lancé en 2008 un appel à candidatures ; malheureusement, les deux communes sélectionnées ont retiré leur candidature, et nous devons remettre avant la fin de l'année un rapport à la ministre faisant de nouvelles propositions de gestion : EDF a besoin d'une solution pour engager le démantèlement de ses anciennes centrales et l'ANDRA pour stocker les terres radifères qu'elle retire des sites pollués, parfois en milieu urbain.

L'autre projet porte sur le stockage géologique des déchets de haute et de moyenne activité à vie longue. Certains sont issus du retraitement des combustibles usés : après extraction de l'uranium et du plutonium, il subsiste en effet des déchets de haute activité, composés d'actinides mineurs et de produits de fission, qui sont coulés dans une matrice de verre, elle-même placée dans une cuve en inox ; les coques et les embouts constituent, pour leur part des déchets, de moyenne activité à vie longue. Il faut bien avoir à l'esprit que, quelles que soient les décisions que le Gouvernement et le Parlement prendront en matière de politique énergétique, une grande partie des déchets de haute et de moyenne activité ont déjà été produits. Le projet de centre de stockage géologique sur lequel nous travaillons a vocation à accueillir 70 000 mètres cubes de déchets de moyenne activité à vie longue – dont 60 % ont déjà été produits – et 10 000 mètres cubes de déchets de haute activité – dont 30 % déjà produits.

Ces déchets sont pour l'instant entreposés, en toute sécurité, sur les sites de Marcoule, de Cadarache et de La Hague. Pour quelques dizaines d'années, cela ne pose pas de problème, mais, comme l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime qu'il convient d'apporter la garantie d'une surveillance humaine sur une centaine de milliers d'années, il n'est pas raisonnable de les stocker en surface sur le long terme. La communauté internationale – notamment l'Agence internationale de l'énergie atomique et la Commission européenne – juge d'ailleurs préférable de les enfouir à 500 mètres de profondeur.

En France, le processus législatif a débuté en 1991. La première loi relative à la gestion des déchets nucléaires avait fixé au CEA trois axes de recherche : la séparation-transmutation, visant à séparer les radioéléments à vie longue pour ensuite les transmuter afin de réduire leur durée de vie ; l'entreposage de longue durée ; le stockage géologique. On est arrivé à la conclusion que ce dernier était incontournable : il serait en effet impossible de transmuter tous les radioéléments et l'entreposage en surface nécessiterait une surveillance humaine et la reconstruction régulière des ouvrages.

Après un débat public organisé à la demande du Gouvernement, il a été fait, par la loi de programme du 28 juin 2006, le choix du stockage réversible profond. L'ANDRA a été chargée de préparer pour 2015 une demande d'autorisation de création d'un centre de stockage, pour une mise en service prévue en 2025. La loi de 2006 prévoit également que le stockage soit réversible pendant au moins cent ans, les conditions de réversibilité étant fixées par une nouvelle loi devant être adoptée avant l'autorisation du stockage – soit vers 2016 ; l'ANDRA doit faire des propositions en la matière. Des recherches doivent être également entreprises sur les deux autres options de gestion des déchets.

Monsieur le président, le stockage géologique n'est pas plus simple à concevoir qu'une centrale nucléaire – loin de là ! Il s'agit de construire une installation nucléaire destinée à accueillir des déchets de haute activité à 500 mètres de profondeur. Les ingénieurs et industriels qui travaillent avec nous considèrent qu'il s'agit du seul cas de figure où l'on doit combiner les compétences de l'industrie nucléaire et celles du génie civil, voire des mines – pour la ventilation. Cette installation sera exploitée pendant plus de cent ans, le temps de mettre en place tous les colis de déchets. Le principe de la sûreté à long terme est de stocker les déchets dans une couche d'argile de 130 mètres d'épaisseur, datant de plus de 150 millions d'années ; c'est en effet l'argile qui, après la désagrégation des protections réalisées de la main de l'homme – colis et ouvrages en béton –, confinera in fine la radioactivité. L'argile a également la qualité précieuse d'empêcher les circulations d'eau susceptibles de détériorer les colis.

Il est demandé à l'ANDRA, non seulement de concevoir cette installation industrielle atypique, mais aussi d'en démontrer, par le calcul et grâce à des expériences dans son laboratoire souterrain, la sûreté sur un million d'années. C'est pourquoi l'AERES a reconnu l'ANDRA comme un institut de recherche.

Il est prévu d'implanter le centre dans la Meuse, à la limite de la Haute-Marne. Depuis la loi de 2006, nous avons engagé à la fois des études scientifiques et une concertation avec les acteurs locaux afin de proposer un site. Nos installations, ouvertes à tous, accueillent plusieurs milliers de visiteurs par an, et nous avons construit un dialogue avec les élus de tous les niveaux : communes, communautés de communes, conseils généraux, Parlement.

La préservation de l'environnement est pour nous un enjeu fondamental. Nous avons pris l'engagement auprès des populations locales que, si l'implantation du CIGÉO était autorisée, ce lieu serait le plus surveillé de France. Nous avons mis en place un observatoire pérenne de l'environnement, outil scientifique d'observation unique, et reconnu comme tel par l'alliance AllEnvi. Sa mission est de surveiller sur plusieurs centaines de kilomètres carrés un écosystème couvrant forêts, prairies et cultures, et d'alimenter une « écothèque » – la première en France, qui sera inaugurée l'année prochaine –, qui permettra de conserver durant plusieurs dizaines d'années des échantillons de l'environnement et de faire des rétroanalyses. Des discussions sont en outre en cours avec les services de l'État pour mettre en oeuvre un dispositif de surveillance sanitaire.

Le Parlement nous ayant demandé de réfléchir à la réversibilité du stockage, nous avons examiné quelles étaient les attentes en la matière et nous présenterons nos propositions lors du débat public. Nous avons souhaité que les conditions de réversibilité ne compromettent pas la sûreté du stockage et qu'elles soient réalistes sur le plan industriel ; nous avons travaillé à la fois sur la technique – afin de permettre, grâce à des robots et à une architecture adaptée, la récupération des colis de déchets –, et sur la gouvernance : s'il est prévu un stockage géologique pour les déchets ultimes, ce n'est pas a priori pour qu'on les retire. Ne mentons pas : le centre de stockage est destiné à être fermé un jour – c'est d'ailleurs à cette condition que la sûreté à long terme sera assurée. Mais cette fermeture pourra être progressive, suivant un calendrier transparent, concerté et modifiable.

Dans le cadre du débat public, nous proposerons de mettre en place une gouvernance du stockage après l'autorisation de création et la mise en service de CIGÉO, afin de ne pas donner un chèque en blanc pour cent ans à l'ANDRA. La société civile a été associée à toutes les étapes du projet depuis 1991, il faut que cela continue. Nous devrons rendre des comptes sur la sûreté de l'installation tous les dix ans ; pourquoi ne pas organiser des rendez-vous réguliers avec la société civile pour évaluer la pertinence de ce choix de gestion des déchets ?

La prochaine étape sera le débat public, programmé pour 2013 – il faudra l'articuler avec le débat national sur la transition énergétique. Nous aurons ensuite besoin de deux ans pour préparer la demande d'autorisation de création ; l'OPECST sera saisi pour avis. Une loi fixera les conditions de réversibilité du stockage, et il y aura ensuite une nouvelle enquête publique.

S'agissant des coûts, vous avez raison : deux chiffres sont avancés. La Cour des comptes a souligné la complexité de cette évaluation. Elle tient d'abord au fait qu'une telle installation industrielle n'a encore jamais été réalisée dans le monde ; nous ne pouvons donc pas nous référer à des précédents. Il existe bien aux États-Unis un centre de stockage géologique de déchets radioactifs issus de la défense, mais qui ne sont pas de haute activité. La France se trouve par conséquent à l'avant-garde en ce domaine – avec les Scandinaves, qui travaillent sur des projets de stockage dans le granit.

D'autre part, on nous demande d'évaluer non seulement l'investissement initial, mais aussi le coût du stockage sur toute sa durée de vie, en incluant les coûts d'exploitation et même les impôts et taxes. La fourchette n'est donc pas surprenante, d'autant moins que les calculs portent sur des données brutes, non actualisées sur la durée d'exploitation, c'est-à-dire cent ans. Le ministère souhaite publier un nouveau chiffrage avant la fin 2013.

Il s'agit d'un processus long : nous finissons actuellement l'esquisse industrielle qui sera présentée au débat public ; suivra une évaluation par des scientifiques, des ingénieurs et des industriels, puis la consultation de l'Autorité de sûreté nucléaire. Donc, rendez-vous l'année prochaine !

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