Intervention de Maina Sage

Réunion du 27 octobre 2015 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage, rapporteure :

Merci, monsieur le président. Mes chers collègues, merci d'être venus nombreux pour la restitution de ces travaux. Avant de vous présenter en synthèse les éléments de ce rapport, je vous précise que celui-ci comporte trois parties.

La première porte sur les connaissances des impacts, dans nos territoires, du changement climatique, et sur la perception locale du changement climatique par les élus, la société civile, les chefs d'entreprise, les associations et la population.

La deuxième partie met en avant les initiatives locales, à la fois en matière de stratégies d'atténuation et de stratégies d'adaptation : ce qui se faisait déjà, ce qui est en cours, et les stratégies qu'il nous faut soutenir prioritairement.

Enfin, puisque notre rapport se dessinait à l'aube de cet évènement majeur qu'est la COP 21, la troisième partie concerne le message commun à nos territoires d'outre-mer en vue de la COP, celui que nous souhaitons que la France porte pour nous lors de cette rencontre et de ces négociations, majeures pour l'ensemble des pays, l'ensemble des territoires, mais aussi, prioritairement, pour nos territoires d'outre-mer.

Je souhaite bien entendu remercier tous ceux qui ont contribué à la collecte des informations. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre confiance ; mais je dois aussi dire que, de fait, notre travail n'aurait pas été possible sans le soutien de nos collègues de la Délégation, qui ont servi de relais dans leur collectivité, leur département, pour nous aider à réunir le maximum d'informations, à procéder à des auditions, et ont même apporté leur contribution personnelle en s'exprimant sur le sujet.

Chacun de nous trois a rencontré plus d'une centaine de personnes dans nos territoires et ici, au niveau national : des scientifiques, des directeurs de centres de recherche et d'établissements publics, les institutionnels – je remercie le ministère des affaires étrangères et le ministère de l'outre-mer, qui nous ont reçus – et en dernier lieu, mais non les moindres, les forces vives du tissu associatif ; ce sont des acteurs majeurs, qui ont une autre perception des choses, puisqu'ils agissent au quotidien sur le terrain.

J'en viens à notre sujet. Comme l'ont souhaité mes deux collègues, Je ferai une synthèse rapide, puis je leur laisserai la parole pour qu'ils vous exposent le message essentiel que nous souhaitons porter en vue de la COP 21.

Sans entrer dans le détail de tous les impacts que vont subir nos territoires, je souhaite vous expliquer pourquoi ils sont en première ligne du changement climatique. Sur ce point, les scientifiques ont été unanimes. Il me semblait donc fondamental de sensibiliser la représentation nationale sur cet aspect majeur.

Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que, dans leur quasi-totalité, nos territoires se situent dans la ceinture tropicale, au climat tropical et subtropical, qui figure parmi les zones qui seront les plus impactées par des phénomènes plus intenses et plus fréquents.

La deuxième raison est que ce sont, dans leur quasi-totalité, des territoires insulaires. Comme le précise notamment le rapport de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), les capacités d'amortissement des chocs climatiques y sont bien moindres que dans les zones continentales. En raison de la situation géographique et de la concentration de l'habitat sur les bandes littorales, les impacts seront très importants, d'autant plus que les outre-mer concentrent la quasi-totalité de la biodiversité terrestre française. Cela est vrai même pour un territoire comme la Guyane, qui n'est pas une île. Certes, Saint-Pierre et Miquelon est situé en zone tempérée. Néanmoins, notamment par l'effet du Gulf Stream, ce territoire sera impacté comme pourraient l'être les territoires proches des pôles. De toute façon, Saint-Pierre et Miquelon est bien une île, et la concentration de l'habitat à très basse altitude fait craindre les effets de la montée des eaux.

La troisième raison est que l'économie de ces territoires – le secteur primaire, le tourisme – est liée à leur environnement naturel. Bien évidemment, les modifications de leur environnement ont un impact très fort sur leurs économies.

Vraiment, les territoires d'outre-mer seront en première ligne des impacts du changement climatique.

Quels sont les effets attendus ?

Le constat du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est sans appel. De notre côté, nous n'avons pas décrit les effets du changement climatique, territoire par territoire. Nous avons essayé de dégager les effets les plus communs à l'ensemble de nos territoires.

Le premier effet du changement climatique est bien entendu la hausse des températures, puis le réchauffement des surfaces océaniques et l'acidification des océans par les pollutions que ceux-ci captent. Ces effets de réchauffement et d'acidification fragilisent les écosystèmes marins, en particulier les coraux et les mangroves. Or coraux et mangroves, outre qu'ils permettent aux populations de nos territoires, notamment les plus isolées, de se nourrir, constituent des barrières de protection naturelle face aux phénomènes climatiques, notamment face aux cyclones et aux tsunamis. Ces enchaînements d'impacts affecteront les littoraux, les traits de côte, et les habitats qui sont situés, dans leur majeure partie, en zone côtière.

Le deuxième effet est l'intensification des phénomènes climatiques : intensification des cyclones et des situations extrêmes, avec l'accentuation des périodes de précipitations et de sécheresse. Le rapport rappelle que les niveaux de ces extrêmes varient selon les territoires mais que, néanmoins, l'intensification des phénomènes climatiques se retrouve dans l'ensemble des outre-mer. Elle provoque, là aussi, des réactions en chaîne : destruction d'habitats ; destruction de zones agricoles ; impacts sur les espèces terrestres et marines.

Le changement climatique finit par accroître la vulnérabilité, non seulement de notre environnement naturel, immédiat, mais aussi de nos habitats et de notre environnement économique. Nous devons prendre conscience que si l'on n'arrête pas le processus, si on ne s'investit pas lors de la COP 21 pour atteindre l'objectif de réduction des gaz à effet de serre (GES), nos territoires seront confrontés à de graves problèmes – environnementaux, économiques, sociaux et même sanitaires.

J'en viens à la perception du changement climatique dans nos territoires.

On s'aperçoit que la classe politique locale se sent de plus en plus impliquée par le sujet. Elle se lance d'ailleurs dans différentes stratégies. Pour autant, les populations semblent assez éloignées du sujet. Il faut dire que la situation économique de nos territoires est relativement fragile, et que les populations sont essentiellement tournées vers les questions du quotidien – le logement, l'habillement, l'emploi, etc. C'est toute la difficulté du sujet du climat : il n'est pas forcément perceptible immédiatement et pourtant nous avons le devoir, la responsabilité de le prévoir.

Malgré tout, avec des différences selon les territoires, les populations commencent à s'en préoccuper, mises en éveil par certains phénomènes climatiques qui se font d'ores et déjà ressentir – intensification des précipitations, fortes sècheresses, raréfaction des ressources en eau ou salinisation des sols. En effet, les fortes houles cycloniques viennent parfois submerger temporairement les littoraux, apportant des eaux salées qui viennent s'infiltrer dans les sols, jusqu'aux nappes phréatiques. Cela a aussi des impacts sur les cultures en bord de rivage. Et sur les atolls, qui sont des îles basses où il n'y a pas de point haut, des hectares et des hectares de cultures – notamment les cocoteraies, qui permettent la production du coprah – sont aujourd'hui menacés.

La population est donc en éveil. Mais cela reste très flou. Si la communauté scientifique est de plus en plus précise sur ces impacts, si elle travaille de plus en plus en réseaux, les liens avec les élus locaux, les communes et les populations sont encore à renforcer.

On pourrait céder au catastrophisme. Mais ce n'est pas le but de notre rapport. Nous y faisons le constat de ce qui se passe et le constat des prévisions. Mais nos territoires ne veulent pas se présenter en victimes ; ils souhaitent s'impliquer très fortement dans la lutte contre le changement climatique et être aussi en première ligne des acteurs. Nous pensons que les outre-mer peuvent constituer, pour la France, des avant-postes pour l'observation, la recherche et la mise au point de stratégies d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. C'est une source d'espoir.

D'ores et déjà, les territoires, qui sont de plus en plus dynamiques, se sont lancés dans la préparation de divers schémas liés à la transition énergétique, à l'amélioration des transports, aux questions d'aménagement, de gestion du foncier, pour pouvoir se préparer au mieux à ces changements. Je ne développerai pas ces stratégies, qui sont traitées dans notre rapport. Mais je ferai deux remarques à leur sujet.

D'une part, dans cet océan de mauvaises nouvelles, il faut retenir une bonne nouvelle : très récemment, les scientifiques ont démontré que si la nature pouvait être menaçante, elle pouvait aussi apporter des solutions. En clair, lorsque l'environnement est préservé des activités humaines polluantes, on observe des phénomènes naturels de résistance et de résilience.

Par exemple, on a constaté qu'en période de très fort cyclone, et donc de destruction massive des coraux, les atolls où il y avait peu de population et d'activité humaine s'étaient agrandis, un phénomène de rechargement des littoraux s'étant opéré. On a observé également que parmi les centaines d'espèces de coraux, certaines supportaient et s'adaptaient à l'augmentation des températures. Voilà pourquoi, dans certains instituts de recherche, on sélectionne aujourd'hui de telles espèces pour les réimplanter prioritairement demain dans les récifs. Il s'agit de maintenir les récifs coralliens qui sont des barrières naturelles aux phénomènes climatiques. D'autres exemples sont cités dans notre rapport.

Ces phénomènes de résistance et de résilience sont à encourager. On sait que le fait de cultiver plusieurs types d'espèces végétales permet de mieux résister et de mieux retenir les sols en période de fortes précipitations et en période cyclonique. La façon dont on plante, dont on aligne les plantations joue également sur la force des vents. Les mangroves constituent elles aussi un vrai paravent naturel.

Ce point est majeur. Il montre que, dans nos stratégies d'adaptation, il y a une priorité à impulser. Et cette priorité va à la protection de ces écosystèmes : plus nous les protègerons, et plus nous renforcerons leurs capacités de résistance et de résilience aux effets du changement climatique.

Pour autant, ces effets restent inéluctables. Il ne faudrait pas que cette bonne nouvelle nous exonère du reste. Bien entendu, nous soutiendrons jusqu'au bout notre pays pour obtenir un accord à la COP 21. Mais sachez que même à deux degrés, nous serons touchés par les effets du changement climatique. En revanche, si nous faisons tout pour protéger les écosystèmes, et donc leur capacité de résistance, ces effets seront relativement supportables et surmontables. C'est toute la question des stratégies d'adaptation que nous devons mettre en oeuvre. Leur coût sera phénoménal, surtout au regard de la taille de nos économies. Vous comprendrez, dès lors, que notre rapport conclue prioritairement à la nécessité de clarifier le cadre financier. C'est un élément clé.

Pour nos territoires, la COP est l'opportunité de faire entendre leur voix. Car nous sommes face à un enjeu majeur. Sur un continent, on peut reculer de quelques mètres pour changer de ville. Mais dans nos territoires, ce ne sera pas possible. Nous refusons le scénario catastrophe des mouvements de populations, car nous savons qu'il y a beaucoup de choses à faire – ce que l'on appelle les solutions, les mesures « sans regret ». Nous devons rapidement mobiliser nos moyens pour être à la fois exemplaires sur le plan de nos propres pollutions liées à l'énergie ou aux transports, pour adapter au mieux nos territoires et préserver au maximum nos écosystèmes.

Il est un point sur lequel il nous faudra beaucoup de courage, de la diplomatie, de la concertation, de l'écoute et de la compréhension : comment penser le réaménagement de nos territoires avec nos populations ? Celles-ci ne supporteraient que l'on se contente de leur dire : c'est terminé, pour telle ou telle raison, vous n'habitez plus là ! Nous avons à impulser une politique concertée, cohérente, et surtout participative. Les choses doivent se faire avec nos populations. Sinon, elles ne se feront pas – des exemples existent.

D'autre part, si nos territoires peuvent être des avant-postes en matière d'innovation et de recherche, ils sont aussi riches d'enseignements et de savoir-faire traditionnels. Nous souhaitons nous les réapproprier, les valoriser, les promouvoir et les transmettre. Ce sont des solutions de bon sens que nos ancêtres appliquaient déjà et que nous avons perdues. Au nom d'une volonté de modernisation, on a tourné le dos à des pratiques traditionnelles qui étaient respectueuses des espaces naturels.

Nous avons pris trois de ces pratiques en exemple.

Premièrement, les jardins créoles, avec des cultures mélangées, combinées, complémentaires, qui permettent d'améliorer les rendements et de protéger les sols. Aujourd'hui, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) mène des études approfondies sur le sujet, et met en oeuvre de nouvelles stratégies innovantes en matière d'agriculture fondées sur ce savoir-faire traditionnel.

Deuxièmement, dans le Pacifique, il existait une forme de gestion intégrée des espaces terrestres, maritimes et lagonaires : le rahui était une aire marine traditionnelle, où l'on alternait les zones de pêche, pour garder les espaces naturels sains et protéger la ressource à long terme pour les générations futures. C'est une pratique qui, de la même façon, est remise en avant et pourrait être partagée avec les autres.

Troisièmement, dans l'Océan Indien, et sans doute dans d'autres territoires, on utilisait des matériaux plutôt que d'autres parce que l'on savait qu'ils étaient à la fois plus résistants et plus rafraîchissants. Il y a aujourd'hui des projets innovants, notamment à la Réunion, qui portent sur des constructions bioclimatiques, et qui font la promotion de ces techniques qu'il convient de se réapproprier. Si on utilisait tels ou tels matériaux à l'époque, ce n'était pas pour rien, et leur réutilisation serait tout bénéfice. Dans le bassin mélanésien, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna et finalement dans chacun de nos territoires, il y a des savoir-faire que l'on peut mettre en avant.

Je vais maintenant laisser mes collègues exprimer le message qui vient en conclusion de ce rapport. Mais vous comprenez bien que la question du climat est pour nous vitale. Elle est urgente parce que les effets du changement climatique se font d'ores et déjà sentir, et elle est nécessairement liée à la solidarité internationale.

Évidemment, c'est tout à l'honneur de la France que de défendre aujourd'hui la création du Fonds vert, en faveur des pays les plus vulnérables. Mais nos territoires d'outre-mer ne comprendraient pas que l'on puisse faire la promotion de cette solidarité internationale sans prendre en compte les propres réalités des espaces français les plus vulnérables qui sont dans les mêmes zones.

Le changement climatique n'a pas de frontières. Ces territoires sont nos voisins, avec lesquels nous travaillons pour trouver des solutions. Nous souhaitons la création d'un fonds exceptionnel, un fonds spécifique dédié au soutien aux outre-mer, qu'il soit national ou européen. C'est un enjeu majeur pour la survie de ces territoires d'outre-mer, PTOM, RUP, tous confondus, qui doivent nécessairement travailler avec leurs voisins, la coopération régionale étant une des clés premières de la lutte contre le changement climatique. (Applaudissements.)

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