Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 16 novembre 2015 à 16h10
Débat sur la déclaration du président de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Eux aussi sont assassinés par les terroristes. Eux aussi font vivre notre pays, sa police, son armée, ses écoles, ses hôpitaux comme ses usines. Eux aussi aspirent à la paix. En les stigmatisant, c’est la communauté française tout entière qui est fragilisée. Ce serait la première, je dis bien la première, des victoires des terroristes.

Notre pays a besoin plus que jamais d’un État fort. Il a aussi besoin de refonder son avenir sur des choix politiques transformateurs et partagés, affrontant courageusement toutes les dominations, toutes les discriminations, toutes les inégalités pour offrir un rempart solide face aux divisions.

Face à la terreur, le pire peut se produire. Le pire, certes, mais aussi le meilleur, nous l’avons vu au cours de ces trois derniers jours. Ensemble, luttons jusqu’au bout pour que le meilleur l’emporte face à l’épreuve qui frappe notre peuple, ou plutôt les peuples du monde, afin qu’ils ne sombrent pas dans les pires turpitudes comme le souhaite l’ennemi que nous devons affronter et combattre sans pitié. Je parle bien des peuples du monde, parce que les terribles images de ce vendredi soir sanglant dans notre capitale et la frayeur qui s’est abattue sur notre pays nous ont donné un aperçu de ce que vivent tant de peuples et les milliers de réfugiés qui fuient les théâtres de guerre, notamment en Syrie et en Irak, où prospère Daech.

Daech, cette créature monstrueuse qui a frappé en moins d’un mois Ankara, Beyrouth et Paris, n’est pas un phénomène spontané. Daech a une histoire, dont les racines sont ancrées dans la situation de chaos provoquée par les interventions de 2003. Depuis la guerre en Afghanistan, les foyers du terrorisme international se sont multipliés. Al-Qaïda, création américaine, selon les propres mots d’Hillary Clinton, est aujourd’hui supplanté par Daech, que la politique occidentale menée dans la région a en grande partie enfanté.

Aujourd’hui nous prenons acte et nous soutenons la volonté présidentielle d’une grande coalition internationale unique et sous l’égide de l’ONU. Dans le même temps, il conviendra de nous interroger, avec le Parlement dans son ensemble, sur les effets de notre politique internationale et diplomatique dans la guerre contre Daech.

Nous devrons mesurer les conséquences des guerres globales contre le terrorisme sur le recrutement des terroristes, autrement dit sur le terreau qui alimente cette armée. Nous devrons aussi réfléchir sur les moyens, au-delà des bombes, de terrasser notre ennemi en asséchant ses colossales mannes financières. Nous devrons enfin nous interroger sur les compromis passés avec les puissances fondamentalistes de la région au prétexte qu’elles sont libérales économiquement et que nous commerçons avec elles.

Je le dis avec gravité : nous ne serons pas en mesure d’offrir la sécurité légitime à laquelle aspire notre peuple sans résoudre toutes ces questions.

L’état d’urgence a été déclaré sur notre territoire national et devrait être prolongé pour plusieurs mois. Le Parlement devra donner son autorisation dans les jours qui viennent et modifier la loi de 1955. Nous examinerons ce projet de loi avec une double volonté : celle, que nous avons chevillée au corps, d’offrir la meilleure des sécurités à nos concitoyens, et celle de ne pas mettre en péril les libertés auxquelles ils sont et auxquelles nous sommes tant attachés.

Protéger les Français et notre République, c’est aussi protéger nos libertés fondamentales. Cette approche doit être au coeur de nos décisions. Elle sera aussi la nôtre lorsque nous débattrons de la révision de la Constitution qui nous est annoncée.

Dans le cadre de l’État de droit, nous apporterons notre soutien à toutes les mesures que le Gouvernement prendra pour vaincre les criminels qui sont à l’origine de ce cauchemar dont nous avons peine à sortir, pour déjouer tous les crimes que Daech souhaiterait perpétrer sur notre territoire ou dans d’autres pays afin de former son califat bâti sur les ruines de l’Irak et de la Syrie, mais aussi, pour reprendre les mots d’Albert Camus, pour « empêcher que le monde se défasse ».

Nous sommes aussi déterminés à ne pas laisser notre pays sombrer dans la peur et les divisions qui nous conduiraient aux pires erreurs que notre ennemi souhaite nous voir commettre.

Pour cela, ne laissons pas bâillonner la pensée. Car c’est dans le vide de la pensée que s’installe le mal. Nous oeuvrerons donc, encore et toujours, pour donner à notre État les moyens de sa propre force afin de défendre les valeurs républicaines, et les moyens de remplir ses missions régaliennes sans lesquelles nous sommes condamnés à l’échec. Comment vaincre sans une armée et une police fortes ? Comment résister sans un service public de secours et de santé performant ? Comment prévenir sans une école à la hauteur de sa lourde tâche d’éduquer et de former les citoyens de demain ? Ces questions nous semblent essentielles.

Le deuil national dure trois jours. Le deuil personnel de chacune des familles touchées durera infiniment plus longtemps. Chacun ici, je le crois, aura un long travail de deuil à faire et pleurera encore longtemps toutes ces victimes qui sont une perte immense pour notre pays. Je pense aussi à tous nos enfants qui doivent continuer à s’épanouir malgré un environnement violent.

C’est pourquoi nous, responsables politiques, représentants de la nation, devons faire face au défi terroriste avec responsabilité, avec courage, avec dignité, et je pourrais ajouter avec humilité.

Nos concitoyens comptent sur nous pour être à la hauteur, dans l’unité et la cohésion nationale, pour leur offrir un monde meilleur, un monde plus juste. Alors seulement nous pourrons dire avec le poète : « Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange Un jour de palme un jour de feuillages au front Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche ».

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