Intervention de Erwann Binet

Réunion du 16 janvier 2013 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur :

L'occasion m'est donnée de formuler plusieurs remarques à propos de l'AMP, sujet amplement débattu. Le droit comparé montre que tous les pays – Angleterre, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, États-Unis, Norvège, Pays-Bas, Suède – ayant ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe ont également ouvert l'accès à l'AMP aux couples de femmes. D'autres pays tels la Grèce, la Finlande, Israël et la Roumanie, qui ne leur ont pas ouvert le mariage, donné accès à l'AMP aux femmes seules. Tous les pays qui ont ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe permettent aussi le recours à l'AMP aux couples de femmes.

Les enjeux sont multiples. J'évoquerai pour commencer l'égalité. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe leur donne une nouvelle liberté ; l'extension du droit à l'AMP s'inscrit dans la même logique et le principe d'égalité impose notamment que les couples de femmes mariées, qui ne peuvent procréer, puissent recourir à l'AMP.

Il y a aussi nécessité de cohérence. En dehors des cas d'adoption d'un enfant issu d'une précédente union hétérosexuelle, les possibilités d'adoption pour les couples de même sexe seront vraisemblablement restreintes. Mais l'on sait que les couples de femmes ont accès à l'AMP chez nos voisins belges et espagnols. Une délégation de notre Commission a rencontré les responsables de l'unité de PMA de l'Hôpital Érasme de Bruxelles ; les femmes françaises s'y rendent en masse, elles vont aussi en Espagne. Le projet de loi va permettre à la conjointe de ces femmes, qui sont aujourd'hui les seuls parents légitimement reconnus, d'adopter l'enfant ainsi conçu, mais on ne peut pas imaginer qu'il tolère l'adoption d'enfants dont il ne prévoit pas la naissance.

Par ailleurs, les médecins que nous avons consultés ont mis en avant un enjeu de santé publique. L'ouverture de l'AMP aux couples de femmes est nécessaire pour faire cesser le risque sanitaire induit par l'interdiction qui leur est actuellement faite d'y recourir en France. L'AMP est un protocole médical très lourd et le suivi à distance accroît les risques courus par les femmes qui s'y soumettent. D'autres risques, tout aussi sérieux, menacent celles qui recourent aux inséminations « artisanales », qu'elles soient réalisées avec du sperme acheté sur Internet puis livré congelé ou qu'elles soient le fruit de rencontres d'un soir, avec les risques associés de contamination par des maladies sexuellement transmissibles que cela comporte. Autrement dit, des risques sanitaires menacent aussi bien les femmes contraintes de se rendre à l'étranger pour se soumettre à une AMP que celles qui, n'en ayant pas les moyens, recourent à des méthodes dites « artisanales » peu sûres. Au cours des années 1970 les pouvoirs publics n'ont pu ignorer les risques sanitaires que couraient les femmes contraintes de se rendre à l'étranger pour subir une interruption de grossesse ; nous ne pouvons pas davantage ignorer les risques que courent aujourd'hui les couples de femmes qui souhaitent avoir un enfant.

Le principal argument avancé par l'opposition pour refuser l'AMP aux couples de femmes, c'est qu'ouvrir ce droit entraînerait l'ouverture du droit à la gestation pour autrui (GPA). AMP et GPA sont deux sujets distincts, qui ont toujours été considérés comme tels dans cette enceinte. La question a été tranchée il y a des années : l'AMP est légale en France, la GPA ne l'est pas, et nous n'avons aucune intention de revenir sur ce point.

Je considère cependant que l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes ne doit pas avoir pour véhicule ce projet relatif au mariage, mais le projet de loi relatif à la famille récemment annoncé par le Premier ministre. La précédente majorité avait fait la même analyse en 2011, comme en atteste le rapport rédigé, au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, par M. Jean Leonetti, et dont je vous rappelle les termes : « Les débats sur l'accès à l'AMP ont également porté sur les couples homosexuels. Cette option a été écartée pour plusieurs raisons : tout d'abord, cette question dépasse largement le cadre d'une loi de bioéthique. Comme l'indique le Conseil d'État dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, même si la demande d'une meilleure reconnaissance de l'homoparentalité s'accroît et si la question de l'accès des couples de femmes à l'AMP est posée, son émergence à l'occasion du réexamen des lois de bioéthique ne doit pas faire oublier que cette question relève fondamentalement du droit de la famille. »

Aborder la question dans le texte consacré à la famille annoncé par le Gouvernement permettra d'ouvrir l'AMP à tous les couples de femmes, mariées ou non mariées. Le principe d'égalité impose que l'accès à l'AMP soit ouvert aux couples à raison de leur infertilité et non de leur état marital, et donc à tous les couples de femmes, qu'elles soient mariées ou qu'elles ne le soient pas.

En conclusion, je suis résolument favorable à l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes, mais pas dans le cadre de ce projet. Le Gouvernement s'étant engagé de la manière la plus claire sur le périmètre et sur le calendrier de l'ouverture de ce nouveau droit aux femmes, je donne un avis défavorable aux deux amendements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion