Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 16 janvier 2013 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Je suis naturellement très sensible à la passion nouvelle qui anime l'opposition à propos de la PMA et la pousse à demander depuis hier, avec une fébrilité qui nous flatte, Mme la ministre de la Famille et moi-même, l'avis du Gouvernement sur ce sujet. Nous avons pourtant rappelé le contenu de la déclaration publique du Premier ministre. Par respect envers les parlementaires de la majorité comme de l'opposition, nous tenons à répondre aussi précisément que possible aux questions qu'ils nous posent, même si, en l'occurrence, cela n'empêche pas la question d'être sans cesse reposée sous une forme inchangée.

Le Gouvernement est défavorable aux amendements en discussion et à celui qui sera examiné ensuite sur le même sujet, car, comme l'a dit le Premier ministre, un texte spécifique traitera ces différentes questions liées, directement ou non, au mariage et à la filiation. Pourquoi ne pas avoir traité l'adoption à part ? Parce que nous aurions ainsi créé un mariage pour les couples homosexuels, distinct du mariage entre hétérosexuels. Or nous ne voulons pas créer un mariage au rabais, mais ouvrir aux couples de même sexe le mariage, qui, dans notre code civil, emporte l'adoption.

Pourquoi ne pas avoir traité dans un même texte le mariage et l'adoption, d'une part, et la PMA, de l'autre ? Nous le répétons depuis que le débat a commencé, et le Premier ministre l'a encore dit publiquement la semaine dernière : le mariage et l'adoption relèvent du code civil, car ils concernent les libertés, alors que la PMA relève du code de la santé publique. Voilà qui est très simple à vérifier et ne constitue ni une vue de l'esprit ni une voie de dégagement. En effet, l'ouverture de la PMA s'est fondée sur les lois de bioéthique, sur les connaissances scientifiques et sur une délibération collective qui a eu pour conséquence de mettre ces technologies à la disposition des couples désireux de procréer, à deux conditions alternatives : une infertilité médicalement diagnostiquée ou le risque de transmission d'une maladie héréditaire. « La PMA mérite un débat en tant que tel, c'est pourquoi elle figurera dans le projet de loi famille » : le Premier ministre a été très clair, et a précisé le calendrier en mentionnant le mois de mars.

Comme l'a dit Alain Tourret, comme le savent ceux qui connaissent les positions du professeur Frydman – qu'ils aient assisté à son audition, entendu ses déclarations publiques ou lu son livre Convictions – et ceux qui militent depuis des années pour l'ouverture de la PMA aux couples de femmes ou aux femmes célibataires, ce sujet est complexe et il faut tenir compte de cette complexité pour adopter des dispositions législatives efficaces. Ce sujet est lié, naturellement, à celui dont nous débattons : ce lien, c'est l'effectivité de l'accès à la filiation, qui, dans l'état actuel du droit – que nous voulons ouvrir aux couples homosexuels –, est soit biologique, par engendrement – c'est le titre VII du code civil –, soit adoptive – c'est le titre VIII.

L'accès à la filiation non adoptive, notamment par la PMA, suppose de répondre à plusieurs questions, avant de procéder à l'étude d'impact dont Alain Tourret a souligné à juste titre la nécessité. Premièrement, aujourd'hui, la PMA est ouverte aux couples hétérosexuels aux conditions que j'ai indiquées, prévues par le code de la santé publique : il s'agit alors d'un dispositif à caractère médical. Si cette technologie est mise à la disposition des couples de personnes de même sexe, ce ne peut être aux mêmes conditions. Il nous faut donc déterminer si nous maintenons l'accès des couples hétérosexuels à la PMA aux conditions existantes et si nous l'ouvrons aux couples homosexuels, à certaines conditions ou sans condition.

D'autres questions se posent : si nous conservons le caractère médical de la PMA – laquelle implique une assistance médicale, un accompagnement médical, une sécurité médicale –, le droit à la solidarité sociale sera-t-il le même pour les couples hétérosexuels et pour les couples homosexuels ? Si oui, cela entraîne des conséquences pour les couples hétérosexuels. Dans le cas contraire, nous créons un nouveau dispositif.

Nous n'avons pas l'intention de fuir ces questions ; nous entendons les traiter correctement. Voilà pourquoi le Gouvernement a jugé qu'elles devaient faire l'objet d'un autre texte. Je ne sais comment le dire pour me faire entendre ! Nous en avons parlé au cours du débat, mais cela vous intéressait beaucoup moins qu'aujourd'hui. Vous espérez manifestement compliquer la discussion du texte, mais peu importe – nous avons tous ici l'expérience du Parlement. Travaillons sur le texte en discussion et faisons progresser cette belle réforme, avant d'en venir, en temps utile, à l'autre belle réforme relative à la PMA et à l'ensemble des sujets directement ou indirectement liés au mariage et à l'adoption. Parmi ces sujets, l'ouverture de l'adoption aux couples pacsés fait l'objet d'amendements au texte en discussion. Mais le Gouvernement a décidé que ce texte ouvrirait à droit constant aux couples de personnes de même sexe les seules dispositions actuelles du code civil. Visiblement, cela vous déplaît et vous voudriez aborder dès aujourd'hui la PMA. Je comprends votre impatience et, d'une certaine manière, je la goûte, mais il vous faudra vous contenter pour l'instant du texte que nous vous soumettons.

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