Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Alain, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi d’Alain Tourret portant réforme de la prescription en matière pénale. Ce texte est le résultat d’un travail approfondi et transpartisan mené avec Georges Fenech sur le besoin de réforme et d’harmonisation des prescriptions en matière pénale.

En effet, comme le précisait le rapport d’information sur la réforme de la prescription pénale publié en mai 2015, l’action de la justice en droit pénal est grevée par deux formes de prescription : la prescription de l’action publique, antérieure à la condamnation définitive, et la prescription de la peine, postérieure au prononcé de la sanction par le juge.

L’action publique se trouve éteinte par l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction. Pour ce qui est de la peine, la puissance publique se voit empêchée, passé l’expiration d’un certain délai, d’exécuter les sanctions définitives prononcées par le juge.

En principe, la prescription en matière pénale est simple, en ce qu’elle respecte la répartition tripartite du classement des infractions. Le point de départ du délai de prescription est fixé, pour l’action publique, au jour de la commission de l’infraction. Pour la peine, la prescription court à compter de la date de la décision de condamnation définitive. Pour ce qui concerne la prescription de l’action publique, les délais sont d’un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de cinq ans pour les peines. Quant à la prescription de la peine, les délais sont de trois ans pour les peines contraventionnelles, cinq ans pour les peines délictuelles et dix ans pour les peines criminelles.

Tout principe mérite cependant exception et, en matière de prescription pénale, les exceptions sont plus que nombreuses : délais allongés ou abrégés en fonction de la nature de l’infraction ou de la qualité de la victime, mais aussi computation des délais, avec report du point de départ du délai de prescription, et possibilité d’interruption ou de suspension de la prescription...

La réforme des délais de prescription de l’action publique et de la peine est donc la bienvenue.

Le dispositif de l’article 1er prévoit en ce sens que l’action publique se prescrive par vingt ans pour les crimes, six ans pour les délits et un an pour les contraventions. Pour les peines criminelles, l’article 2 prévoit un maintien des règles actuelles, c’est-à-dire une prescription par dix ans, un allongement à six ans pour les prescriptions de peines délictuelles, les peines contraventionnnelles se prescrivant après une année.

Toutefois, le rapporteur ayant fait preuve de pragmatisme, certaines exceptions ont dû être consenties et des précisions ont été apportées quant à la définition des conditions d’interruption ou de suspension de la prescription.

L’article 1er de la proposition de loi ajoute ainsi un article 9-2 au code de procédure pénale prévoyant le report du point de départ de la prescription de l’action publique pour les infractions occultes ou dissimulées. Dans ce cas, la prescription court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. L’article précise ensuite qu’« est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » et qu’« est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».

Si le principe actuel de la prescription de l’action publique fixe le point de départ au jour où l’infraction a été commise, le juge a déjà pu décider de reporter ce point de départ au jour où elle apparaît ou peut être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Ce report existe en cas d’infraction dite « astucieuse », notamment dans le cas des infractions économiques et financières, en cas d’abus de confiance ou d’abus de bien social.

En effet, les infractions économiques et financières étant par nature clandestines, complexes et difficiles à démontrer, la Cour de cassation a considéré dès 1935 qu’en matière d’abus de confiance et lorsque l’auteur a dissimulé ses détournements, le point de départ du délai de prescription devait être reporté. En matière d’abus de bien social, la Cour de cassation a précisé en 1967 que le point de départ de la prescription de cette infraction devait être reporté au jour où le délit est apparu ou a pu être constaté.

Or, les impacts pécuniaires étant importants en matière d’infractions économiques et financières, la Cour de cassation a créé deux catégories d’infractions : les infractions occultes ou clandestines par nature – élément constitutif essentiel de l’infraction, la clandestinité retarde l’exercice de l’action publique – et les infractions dissimulées, commises à l’aide de manoeuvres de dissimulation qui visent à empêcher la découverte de leur commission. Cette construction prétorienne consistant à retarder le point de départ de la prescription au jour de leur révélation conduisait le juge à décider, comme cela a été rappelé, contra legem.

Cet enchevêtrement des conditions et règles relatives au point de départ du délai de prescription de l’action pénale était, de l’avis de nombreux experts, de nature à affecter la sécurité juridique et l’exigence d’accessibilité au droit et de confiance légitime, constitutionnellement ou conventionnellement protégés. Il fallait donc changer la loi, puisqu’il est impossible d’enjoindre aux magistrats du siège de juger conformément à une prescription, quelle qu’elle soit, en vertu du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Permettez-moi de terminer sur une note plus personnelle. Dans une vie antérieure à celle qui est la mienne depuis 2002 dans cette assemblée, lorsque je travaillais au service du traitement du renseignement et de l’action contre les circuits clandestins, plus connu sous l’acronyme de Tracfin, j’ai eu à connaître d’infractions complexes, occultes et dissimulées, liées parfois à des actions terroristes, souvent à des opérations mafieuses incluant le commerce d’enfants à des fins prostitutionnelles ou le commerce d’armes, et, en majorité, à des opérations complexes de délinquance en col blanc. Même si l’arme de l’article 40 du code de procédure pénale, à savoir la déclaration de soupçon, permettait effectivement la saisine du parquet, la suite était plus délicate, pour le moins, dès lors qu’elle révélait des faits prescrits. Cela devenait même très frustrant.

Je me félicite donc des précisions apportées par ce texte pour ce qui concerne tant le point de départ des délais que la définition des éléments constitutifs de ces infractions. Les impacts financiers étant colossaux dans le cadre de certaines infractions d’abus de confiance ou d’abus de bien social, une harmonisation et un renforcement des règles applicables est plus que souhaitable.

Aussi, vous l’aurez compris, groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, fruit d’un travail de concertation et de simplification attendu et nécessaire.

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