Intervention de Maina Sage

Séance en hémicycle du 23 mars 2016 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaina Sage :

Non puisque la disposition en question a été abandonnée, monsieur le rapporteur. Mais, malgré les améliorations apportées, preuve que nos remarques de l’an dernier ont été écoutées, le texte que nous examinons aujourd’hui peut-il être considéré comme acceptable en l’état ? Je ne vous cache que cette question fait encore débat au sein de mon groupe. En effet, autant l’objectif est tout à fait louable et nous sommes les premiers à défendre le type de mesures nécessaires pour l’atteindre, notre groupe étant fondamentalement attaché le droit sur ces sujets, autant nous souhaitons que les moyens proposés soient réalistes et constructifs en permettant à toutes les entreprises d’aller dans le bon sens. Certains d’entre nous pensent que ce texte est encore en décalage avec les réalités économiques, qu’il tombe toujours dans le même travers : celui qui consiste à s’orienter vers une réponse franco-française en pensant que la France, à elle seule, pourra montrer la voie. Ce serait faire preuve d’un irréalisme qui risquerait d’être contre-productif à terme en plaçant nos entreprises dans une situation de concurrence déloyale par rapport aux autres entreprises européennes.

Nous reprochons également à cette proposition de loi son imprécision et son champ trop large. En droit français, les textes qui traitent de tels sujets sont ponctuels, ils visent l’hébergement contraire à la dignité ou encore l’emploi de travailleurs détachés. À l’étranger, ils ciblent la corruption, l’esclavage, la traite des êtres humains. Or cette proposition de loi nous invite à changer de logique en imposant une vision très large qui nous contraindrait, par la suite, à bien préciser les normes en question. Il en est de même de l’appellation « mesures de vigilance raisonnables » : quels types de mesures sont visés par ces termes ? Comme l’a dit M. Hetzel, ce texte soulève encore davantage d’interrogations qu’il n’y répond.

En outre, nous craignons que cette proposition de loi ne trahisse l’esprit de la RSE, fondé sur la prise de responsabilité, l’initiative et la démarche volontaire, lesquelles ont déjà fait leurs preuves, La plupart des entreprises françaises se sont ainsi dotées de chartes éthiques ou adhèrent volontairement à des initiatives publiques ou privées en vertu desquelles elles s’engagent à mettre en oeuvre des principes extra-financiers. Ne contraignons pas les entreprises à mettre en place un plan de vigilance ; encourageons plutôt les démarches volontaires. Ainsi que l’avaient indiqué Arnaud Richard en première lecture, et Bertrand Pancher lors de l’examen de la proposition de loi du groupe écologiste, nous pourrions nous inspirer de la norme ISO 26 000 qui, je le rappelle, vise à limiter le dumping sur la base de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Nous pourrions également expérimenter l’idée d’un bonus-malus, pour encourager les bonnes pratiques.

Enfin, un autre pont faible de ce texte est qu’il ne vise que des entreprises françaises – où des entreprises d’au moins 10 000 salariés ayant une filiale en France. Nous doutons qu’il soit possible d’améliorer la situation actuelle en tenant compte des seules entreprises françaises. Certes, il enverrait un message positif, mais il faut aussi qu’il satisfasse clairement à ses objectifs. Or, en l’adoptant, nous placerions la France dans une situation inédite en Europe puisque aucun pays ne prévoit aujourd’hui une législation aussi étendue en matière de responsabilité des entreprises. Il faut choisir : devons-nous être leader dans ce domaine en amorçant cette réforme, au risque de faire supporter à nos entreprises une contrainte supplémentaire et de les placer ainsi en position de forte inégalité par rapport à leurs concurrentes sur le marché européen, et ce dans un contexte de crise ?

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