Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du 19 mai 2016 à 15h00
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Après l'article 45

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur :

Mon avis sera le même sur cet amendement, no 233 et sur le suivant, no 248. Comme vous, ma chère collègue, je pense que nous n’aurons jamais fini de combattre l’addiction, qu’il s’agisse de l’alcool ou du tabac. Mais nous devons nous demander si l’action de groupe est une arme juridique que nous pouvons utiliser en la matière.

Il n’est pas opportun de comparer l’action de groupe avec la class action américaine, car ces deux procédures ne sont pas de même nature : notre système juridique est différent du système anglo-américain – je n’y reviendrai pas. En droit français, l’article 1382 du code civil, qui s’applique en matière de responsabilité, est clair : pour que la responsabilité d’une personne puisse être engagée, un certain nombre de conditions doivent être réunies, au premier rang desquelles la possibilité d’identifier le responsable du préjudice. Je ne m’attarde pas sur les autres conditions, comme l’existence d’un préjudice direct : dans notre cas particulier, c’est la question du responsable qui nous préoccupe.

Dans le cadre des actions de groupe qui ont déjà été intentées, notamment en matière de consommation, on a pu identifier clairement les personnes morales visées. Il en est de même en matière de santé : nous savons qui a effectivement fabriqué et commercialisé certains produits qui ont porté gravement atteinte à la santé des patients, notamment des femmes. Or, lorsqu’on évoque le tabac ou même l’alcool – nous y reviendrons tout à l’heure –, on parle avant tout d’une calamité, si je peux me permettre cette expression, dont il sera difficile d’identifier le véritable responsable. Comment pourra-t-on mettre en jeu un régime de responsabilité, dans le cadre d’une action de groupe, si l’on ne connaît pas le responsable ? À moins d’avoir été vraiment « accro » à une marque de cigarettes ou de tabac déterminée, tous ceux qui ont goûté un jour à la cigarette ou au cigare auront du mal à intenter, demain, une action à l’encontre d’une personne qui leur aura causé un préjudice potentiel.

Je comprends bien qu’il ne s’agit pas que d’une pétition de principe : je sais l’importance des enjeux que comportent ces amendements. Cependant, très concrètement, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Michèle Delaunay, le fait d’engager une action de groupe dans ce domaine nous semble compliqué – en tout cas, une action de ce genre échouerait juridiquement. C’est pourquoi il vaut mieux ne pas instaurer aujourd’hui un dispositif qui ne permettrait pas d’atteindre l’objectif recherché, plutôt que de susciter des espoirs en une procédure qui serait vouée à l’échec.

Nous savons qu’il est possible d’engager une action de groupe en matière de santé : c’est peut-être cette solution qu’il conviendrait d’explorer, plutôt que de mettre en place une action de groupe ciblant spécifiquement le tabac ou l’alcool. Avis défavorable.

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