Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du 11 juillet 2016 à 21h30
Statut des magistrats et conseil supérieur de la magistrature - modernisation de la justice du xxie siècle — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes tous ici conscients des nombreux dysfonctionnements dont souffre notre organisation judiciaire : une justice lente et complexe, des procédures longues et onéreuses, difficilement lisibles pour nos concitoyens et souvent perçues comme inefficaces ; une justice qui manque de moyens et qui, de ce fait, ne peut remplir l’ensemble de ses missions ; une justice qui a besoin de se recentrer sur ses missions essentielles. Une évidence s’impose donc aux députés du groupe de l’Union des démocrates et indépendants depuis de nombreuses années : notre organisation judiciaire doit être réformée en profondeur.

Mais est-ce la priorité des priorités ? Ce ministère a avant tout besoin d’être dirigé. Comment se satisfaire de ce stock irréductible d’affaires en cours de jugement ? Quelles sont les vertus de sanctions prononcées aussi tardivement ? Comment expliquer cette incapacité, depuis tant de temps, à renforcer ponctuellement les moyens pour réduire ce stock ? On le fait pourtant pour des administrations qui connaissent des difficultés aussi importantes que celles du ministère de la justice : ainsi en est-il dans le domaine de la défense, où la réserve a permis de régler ponctuellement des problèmes de ce type. Il est pour nous incompréhensible qu’on n’ouvre pas ponctuellement des moyens supplémentaires pour rendre encore plus exemplaire la façon dont est rendue la justice dans notre pays.

Nous devons en outre cesser de légiférer à tout va, un des plus graves défauts du système judiciaire français. Faites fondre le stock des jugements en cours, réduisez l’instabilité juridique et nous aurons gagné.

Certes, le projet de loi entend améliorer cette situation en rendant la justice plus efficace, moins complexe et plus lisible. Dont acte : l’intention est louable. Cependant, monsieur le garde des sceaux, vous avez vous-même reconnu la modestie de ce texte. Le souci de cohérence imposait de ne pas conserver un titre aussi ambitieux et éloigné de la réalité que celui de « justice du XXIe siècle ». Reconnaissez que c’est quelque peu pompeux, monsieur le ministre !

Sur le fond, le texte issu de notre assemblée, que nous examinons en raison de l’échec de la CMP, est cohérent. Nous le concédons, ce projet de loi contient quelques avancées en matière d’accès au droit, d’action de groupe et de simplification des procédures. Certaines mesures, comme la création d’un service d’accueil unique du justiciable, sont susceptibles de faciliter l’accès à la justice. D’autres, en privilégiant des modes alternatifs de traitement des litiges, permettront de désengorger un peu – c’est déjà ça – les juridictions.

L’introduction d’un nouveau divorce par consentement mutuel aussi est une mesure qui peut sembler louable. Prenons cependant garde à ce que cette nouvelle procédure ne se fasse pas au détriment de l’intérêt de l’enfant ou de l’équilibre indispensable entre les deux futurs ex-époux. Nous craignons que les garde-fous que sont, d’une part, la présence des deux avocats et d’autre part l’écoute de l’enfant ne soient pas suffisants.

Le projet de loi entend en outre amorcer une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles en rapprochant, par exemple, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et ceux en charge du contentieux de l’incapacité. Cette réforme peut permettre de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant d’autres missions.

En revanche, comme l’a indiqué mon collègue Stéphane Demilly en première lecture, c’est une erreur de supprimer la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail, la CNITAAT, basée à Amiens, juridiction spécialisée parfaitement adaptée à un contentieux complexe. Nous craignons que cette réforme, qui n’engendre aucune économie et n’apporte aucune simplification, ne se fasse au détriment des professionnels du droit du département de la Somme.

Certes, le texte a évolué favorablement puisque celui que nous examinons aujourd’hui évoque « une cour d’appel spécialement désignée ». Nous espérons que la majeure partie du contentieux traité par la Cour sera bien transférée à la cour d’appel d’Amiens, comme vous vous y êtes engagé oralement, monsieur le garde des sceaux. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a donc déposé un amendement afin d’inscrire dans le texte le transfert du contentieux traité par la CNITAAT à la cour d’appel d’Amiens.

En outre, le projet de loi déshabille le tribunal d’instance en confiant au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police. Nous doutons de l’opportunité d’une telle réforme. Que restera-t-il au tribunal d’instance, hors la conciliation ?

Nous nous interrogeons par ailleurs sur le procédé qui a consisté à supprimer en commission, par voie d’amendement, les tribunaux correctionnels pour mineurs. Le fait qu’un système ait dysfonctionné ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d’un mauvais système.

L’autre grand axe du projet de loi est l’action de groupe qui permet à un individu de représenter en justice les intérêts d’un groupe de personnes qui ont été victimes d’un même comportement. Il donne à l’action de groupe un socle procédural commun en matière de discrimination, notamment au travail, mais également de santé, d’environnement et de données numériques. La création de ce bloc semble plus cohérente que l’éparpillement de ces dispositions dans des textes divers, notamment dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité ou le projet de loi pour une République numérique.

Cependant, ces procédures pourraient être davantage encadrées. Nous proposons donc, également par voie d’amendement, de réserver aux associations agréées la faculté d’exercer une action de groupe. Si les associations agréées ont, dans la majorité des cas, l’expertise nécessaire pour mener des actions de groupe, nous craignons que celles qui satisfont à la seule condition d’être régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins n’aient pas les mêmes capacités et ne soient pas nécessairement contrôlées.

En outre, ces procédures ne devraient s’appliquer qu’aux actions dont le fait générateur de la responsabilité ou le manquement est postérieur à l’entrée en vigueur de la loi. La rétroactivité pourrait avoir des conséquences directes et immédiates, notamment sur la couverture assurantielle des entreprises. Elle pourrait mettre en péril l’équilibre des contrats portant sur des périodes d’assurance échues.

Nous nous opposons également à l’ensemble des mesures qui auraient pour conséquence de transférer certaines compétences aux officiers de l’état civil. Dans le contexte actuel de baisse drastique des dotations de l’État à nos collectivités, nous devons nous abstenir de faire peser des charges supplémentaires sur les communes.

Monsieur le garde des sceaux, chers collègues, si le texte a le mérite d’ouvrir certaines pistes intéressantes pour l’avenir de notre droit, il comporte de nombreuses imperfections, que je viens de détailler. Il est loin d’annoncer le « Vendôme de la justice » que nous appelons de nos voeux depuis plusieurs années.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI s’abstiendra.

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