Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mercredi 7 avril 2021 à 15h00
Lutte contre le dérèglement climatique — Après l'article 19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Pour une fois qu'on peut parler forêt, je vais prendre un peu de temps pour présenter cet amendement.

Madame la ministre Barbara Pompili, beaucoup d'associations de citoyens et citoyennes vous avaient interpellée sur l'absence de mesures sur la forêt dans un projet de loi qui s'appelle pourtant « climat et résilience ». Nous avons réussi à sauver quelques amendements des fourches caudines de l'irrecevabilité. Je suis donc assez désappointée, déçue, de voir les sous-amendements qui ont été déposés à la fois par Mme la rapporteure et par le Gouvernement sur un amendement qui ne vise pourtant qu'à rééquilibrer les articles du code forestier en vue de mieux intégrer les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique, de résilience de la forêt face à ses effets et de préservation de la biodiversité. Voilà ce que je voulais dire ici pour que cela figure dans le compte rendu.

Sept amendements ont été déclarés irrecevables, à différents titres, sur la question de la forêt. Nous ne parlerons donc pas de la libre évolution des forêts, de l'encadrement strict des coupes rases, de l'inscription de la diversité des missions de l'Office national des forêts – ONF – , de la saignée de ses effectifs, ni du statut de contractuel de droit privé qui s'applique désormais à ses agents, alors qu'on privilégiait jusque-là le statut de fonctionnaire, qui les protégeait notamment des conflits d'intérêts et des pressions exercées sur eux par les marchands de bois.

Je me rappelle très bien vous avoir interpellée en commission sur la question des forêts. Vous m'aviez répondu ceci : la Convention citoyenne pour le climat n'a fait aucune proposition d'ordre législatif. C'est faux, et vous le savez très bien. En effet, l'encadrement des coupes rases, sur lequel la France est très en retard, dépend de la loi, tout comme l'ONF, dont nous discutons lors de l'examen du projet de loi de finances. Vous vous souvenez peut-être que nous avions décidé de geler les effectifs de l'ONF alors qu'ils avaient déjà fondu de 40 % sur les vingt ou trente dernières années, avant que le Gouvernement ne revienne sur ce vote en deuxième lecture.

Je vais faire une intervention générale sur la question de la forêt, mais j'interviendrai aussi sur chacun des sous-amendements, sur lesquels j'ai demandé un scrutin public parce qu'ils vident complètement notre amendement de son contenu.

La gestion forestière, telle qu'elle est pratiquée de nos jours, nous conduit vers une industrialisation des forêts françaises. L'industrialisation consiste à raser une parcelle, puis à replanter en monoculture, tout cela pour le plaisir de l'industrie du bois. Cette gestion a des effets désastreux : on abîme les sols, on dégrade leur fertilité, et par là, on compromet même la capacité de la station forestière à se régénérer. Avec les coupes rases, ont détruit les habitats naturels, on retire le bois mort pourtant indispensable à la préservation de la biodiversité. Ces plantations d'arbres qui ne sont pas des forêts sont pourtant plus vulnérables aux tempêtes, car moins bien enracinées dans le sol, plus vulnérables aux attaques d'insectes et aux maladies. Les études scientifiques s'accordent sur un fait : les forêts diversifiées avec des essences et des âges différents sont plus résilientes au changement climatique. Alors pourquoi ne pas intégrer dans le code forestier les avancées scientifiques en matière de gestion forestière ? Je ne le répéterai jamais assez : les forêts ne peuvent être qu'un simple gisement de bois, elles sont multifonctionnelles. Le botaniste Francis Hallé, que vous devez connaître, formule la chose ainsi : « À notre époque, n'est-il pas devenu anormal, voire insupportable, que l'industrie du bois tue et détruise le vivant sans tenir aucun compte des services qu'il nous rend ? »

Collègues, les forêts sont un patrimoine qui absorbe le CO2, fixe le carbone atmosphérique, régule le débit et la filtration des eaux, améliore la fertilité des sols, nous fournit de l'oxygène et maintient une biodiversité vitale pour l'espèce humaine. Beaucoup ont aussi une influence bénéfique sur la santé mentale.

Mais aujourd'hui, les forêts sont à une croisée des chemins et nous devons apprendre de ce qui s'est passé dans l'agriculture industrielle. L'industrie du bois accélère toujours plus les sites de production, tente de plier nos forêts à la cadence effrénée du capitalisme en coupant des arbres à quarante ans alors qu'ils peuvent vivre une centaine d'années. Les troncs sont ensuite envoyés en Chine, ou autre part, et nous reviennent sous forme de produit fini. Quand allons-nous arrêter cette absurdité ? De plus, cette gestion maltraite les hommes et les femmes qui travaillent en forêt. Je pourrais vous parler de ces travailleurs détachés qui restent dix heures par jour dans leur abatteuse, ou de ces agents de l'Office national des forêts à qui on a retiré tous les moyens humains et financiers et qui sont priés de couper toujours plus de bois pour absorber la dette de l'établissement. Comme dans l'agriculture industrielle, où les machines et les pesticides ont progressivement remplacé le savoir-faire des paysans, nous allons vers une forêt sans forestiers. Certains refusent de se plier à l'injonction du marché à tout va : ils se désignent eux-mêmes comme des forestiers résistants, ils pratiquent une sylviculture proche des cycles naturels et veulent redonner du sens à leur métier, ils sélectionnent les arbres, coupent celui qui permet de donner à l'autre davantage de lumière, laissent grandir et vieillir les arbres. Pour eux, les forêts sont un écosystème et ils oeuvrent au temps long.

L'urgence écologique et climatique exige de nous de mettre fin à cette industrialisation des forêts. Il n'y a pas les forêts de production d'un côté et les forêts de promenade de l'autre : toutes nos forêts doivent être gérées en préservant ces différentes fonctions. Je vous adjure, collègues, de ne pas écouter juste ce que disent les lobbies du bois, mais de bien écouter les associations, les citoyens qui sont au coeur de ces mobilisations,

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