Intervention de le capitaine de vaisseau Pierre

Réunion du mercredi 15 janvier 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le capitaine de vaisseau Pierre :

Mesdames et Messieurs les députés, il me revient l'honneur de débuter cette audition sur l'Afrique. Le golfe de Guinée est un espace géopolitique menacé par de nombreuses activités illégales et criminelles. La pêche illégale, tout d'abord, qui représente un tiers des prises. Souvent synonyme de surpêche, elle fait courir le risque d'un effondrement des stocks halieutiques, avec des répercussions néfastes pour les populations riveraines, dont l'alimentation en protéines provient à 40 % de la pêche. Cela a également un impact économique négatif, tant pour les pays côtiers, avec un manque à gagner estimé à 1,5 milliard d'euros par an, que pour les pêcheurs traditionnels, confrontés à des difficultés croissantes dans l'exercice de leur activité.

Vient ensuite la piraterie, dont le golfe de Guinée reste l'épicentre selon le dernier compte rendu du Maritime information cooperation and awareness center (MICA Center), le centre français à vocation mondiale qui évalue le niveau de menace en mer et relaie les alertes en cas d'attaques. En 2019, 111 actes de piraterie ou de brigandage ont été recensés contre 90 en 2018 dans le golfe de Guinée, avec des actions de plus en plus violentes : 146 personnes kidnappées en 2019, contre 99 en 2018.

Pour la piraterie, il convient de noter que le golfe de Guinée présente un contexte très différent de celui de l'océan Indien. Les bâtiments de commerce stationnent dans le golfe de Guinée pour y travailler ou charger des cargaisons, alors qu'ils transitent sans s'arrêter au large des côtes somaliennes. Par ailleurs, les États côtiers du golfe de Guinée sont faibles, mais pas faillis, contrairement à la Somalie, et restent très attachés au respect de leur souveraineté. Pour cette raison, les pirates dans le golfe de Guinée cherchent non pas à détourner des navires, comme le font leurs homologues somaliens, mais plutôt à voler une partie de la cargaison et surtout à kidnapper des membres d'équipage. Ce mode d'action est rapide et très lucratif : le montant moyen des rançons est de 50 000 euros par prisonnier. C'est également la raison pour laquelle la réponse internationale face aux pirates ne peut être identique : opération Atalante destinée à se substituer à l'État failli somalien dans l'océan Indien, mais soutien à l'architecture de Yaoundé créée par les États côtiers dans le golfe de Guinée.

Le trafic de migrants est une autre des activités illicites qui touche la région ; il risque d'être favorisé par le doublement de la population d'ici à 2050.

Quant au terrorisme, il touche plutôt la bande sahélo-saharienne mais des signes de son expansion vers les frontières nord des États côtiers sont de plus en plus apparents, comme l'atteste l'enlèvement de nos deux compatriotes au Bénin, en mai dernier. Le risque de terrorisme maritime est quant à lui modéré, voire faible, mais il reste un point d'attention particulier ; l'une de ses cibles pourrait être l'industrie pétrolière offshore.

Enfin, le trafic de drogues : profitant de conditions favorables, les mafias ont transformé le golfe de Guinée en plaque tournante du trafic en provenance d'Amérique du Sud et dont une grande partie est destinée à l'Europe.

Ces activités illicites et criminelles sont souvent interdépendantes : un patron pêcheur qui ne peut plus pêcher faute de poissons risque de louer ses services à des trafiquants. Elles ne connaissent pas de frontières, ce qui explique la grande difficulté à assurer la continuité d'une poursuite, du flagrant délit jusqu'au jugement. Elles contribuent ainsi à placer les populations dans des situations de détresse, facteur de déstabilisation et d'émigration illégale, avec des répercussions jusqu'en Europe.

Pour améliorer la situation sécuritaire dans le golfe de Guinée, les dix-neuf pays africains riverains ont défini, en 2013, une architecture de sécurité maritime, dite architecture de Yaoundé, destinée à améliorer la coopération entre tous ces pays. À cette occasion, des accords ont été signés pour en fixer le cadre et décision a été prise de mettre en place vingt-six centres de commandement pour lui donner corps. Le maillage de ces centres est prévu pour couvrir l'ensemble du golfe, avec une organisation hiérarchique par pays, zones et sous-régions. Les résultats obtenus, même s'ils sont perfectibles, sont déjà positifs, comme l'atteste l'exemple de différentes opérations communes entre pays voisins. Cependant, pour entretenir la dynamique locale positive, le soutien coordonné de la communauté internationale est indispensable.

La France soutient l'architecture de Yaoundé : par des mesures très concrètes, elle aide les pays africains à devenir autonomes, à agir avec leurs propres moyens et en s'adaptant à leur environnement. Elle s'appuie pour cela, en grande partie, sur les bâtiments de la marine nationale déployés dans le golfe de Guinée depuis trente ans, dans le cadre de l'opération Corymbe, visant à garantir la sécurité de nos 100000 ressortissants présents sur zone et à préserver les intérêts français, sachant que 20 % du pétrole importé par la France provient du golfe du Guinée et que 30 % de notre uranium est exporté du Niger via le Bénin.

La présence quasi permanente de nos bâtiments est mise à profit pour répondre aux attentes des marines des pays côtiers. Nos équipages programment des séances de formation : 1 000 marins africains sont formés chaque année, soit l'équivalent de la marine sénégalaise. Ils organisent également des entraînements, dont le plus significatif est le Grand African NEMONavy's exercise for maritime operations –, qui vise à faire travailler ensemble le plus grand nombre possible d'acteurs de la région et bénéficie du concours de partenaires extérieurs – européens, brésiliens et américains – au cours d'un rendez-vous majeur qui a lieu chaque année. Enfin, nos bâtiments mènent des opérations communes avec les marines locales, l'idée étant toujours de les soutenir et non pas de les remplacer ; 55 patrouilles conjointes de ce type sont menées par an.

Mais l'aide française ne s'arrête pas là. Les éléments français stationnés au Sénégal et au Gabon assurent des actions ponctuelles de soutien et de formation. Un Falcon 50 déployé à Dakar conduit des vols de surveillance maritime au profit de nos partenaires. Enfin, dix-sept coopérants militaires dépendant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), insérés directement dans les forces africaines, les accompagnent et les conseillent au quotidien.

Si la stratégie française est vertueuse, elle ne suffit cependant plus pour répondre aux attentes des pays du golfe de Guinée. Pour être plus efficace, la marine française s'est entendue avec ses homologues du Portugal, de l'Espagne et du Danemark, pays européens parmi les plus actifs en mer sur zone, pour signer en 2015 un accord quadripartite destiné à mieux coopérer. Sur le plan du partage de l'information, elle a signé un accord en 2016 avec la marine britannique pour partager l'information maritime avec les armateurs civils et diffuser plus efficacement les alertes en cas d'attaques de piraterie. De même, à travers la présidence du G7++ groupe des amis du golfe de Guinée, qui vient de s'achever, la France a poussé la communauté internationale, les acteurs économiques et les organisations non gouvernementales à agir ensemble dans une approche globale liant étroitement développement économique, respect de l'environnement et sécurité des espaces maritimes.

L'Europe est également présente dans la zone à travers ses programmes ou ses agences. C'est en particulier le cas avec ses programmes de développement tels que GoGIN – Gulf of Guinea inter-regional network –, SWAIMS – Support to West Africa integrated maritime security –, PASSMAR – Programme d'appui à la stratégie de sûreté et de sécurité maritimes –, PESCAO – Programme régional pour l'amélioration de la gouvernance régionale des pêches en Afrique de l'Ouest – et bien d'autres encore. Il s'agit de programmes à vocation maritime qui couvrent un spectre très large de domaines : économique, sécuritaire, juridique, capacitaire, etc.

L'Europe fournit aussi un appui opérationnel direct au travers de certaines agences : ainsi, Frontex, dans le cadre de la mission Hera, surveille la frontière de l'Union européenne entre l'Espagne et l'Afrique.

Ces multiples actions pilotées par la task force Union européenne gagneraient cependant à être mieux coordonnées avec celles des États membres, ainsi qu'avec les États-Unis et le Brésil, déjà présents dans la région et qui partagent notre vision des choses.

Cette coordination est d'autant plus importante que d'autres acteurs montrent un intérêt grandissant pour le golfe de Guinée, notamment la Chine et la Russie, qui n'ont pas nécessairement la même approche que la nôtre. Face à ces nouveaux arrivants, l'influence européenne pourrait perdre du terrain et les progrès enregistrés être remis en cause. C'est dans cette optique que les ministres de la Défense de l'Union européenne ont décidé, le 28 août dernier, de retenir le golfe de Guinée comme première zone d'expérimentation du concept de « présence maritime coordonnée ». Ce concept ambitionne de confier, sur la base du volontariat, des tâches supplémentaires aux navires militaires européens déployés sur place à titre national, et de synchroniser leurs différentes missions au moyen d'une cellule de coordination. Cette première initiative, d'ambition mesurée, pourrait servir de modèle en cas de succès et être étendue à d'autres actions de coordination plus ambitieuses, tout en préservant la visibilité et l'autonomie d'action de la France.

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