Intervention de Florence Parly

Réunion du vendredi 18 septembre 2020 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des armées :

L'exercice dit de boussole stratégique lancé par l'Union européenne, au cœur des priorités de la présidence allemande, a vocation à identifier les menaces et à en produire une analyse commune. Ce travail doit être terminé d'ici la fin de l'année 2020, mais au-delà, nous souhaitons l'élaboration de nouveaux moyens. Cet exercice doit être l'occasion de redonner un nouvel élan à la construction de l'Europe de la défense. Nous travaillons activement à ce projet aux côtés de nos autres partenaires, en appui de la présidence allemande.

Concernant les outils déjà mobilisés pour l'Europe, je me réjouis au contraire de la création du fonds européen de la défense. J'ai beaucoup lu, comme vous sans doute, que ce fonds européen aurait vu ses ambitions rabattues. Mais il faut remettre les choses en perspective. Pas un euro n'était mis par l'Union européenne à la disposition des États membres pour financer le moindre projet de recherche et de développement dans le domaine de l'industrie de la défense ; c'est maintenant chose faite. Par conséquent, nous ne passons pas de 13 à 7 milliards d'euros, mais bien de zéro à 7 milliards. Il est important de le rappeler. Certes, une ambition a été fixée par les États membres lors de la discussion, mais vous connaissez les difficultés qu'il y a toujours à se mettre d'accord sur la totalité d'un cadrage pluriannuel pour l'Union européenne. Je suis heureuse que le fonds européen de la défense voie le jour et soit doté de moyens pas du tout minimaux qui nous permettront non pas de financer 100 % des efforts de recherche et de développement dans les États membres, mais d'exercer un effet de levier pour 20 à 30 % d'entre eux, selon les configurations.

La France est impliquée dans le projet majeur du système de combat aérien du futur, révolutionnaire par sa conception et son ampleur : il s'agit de faire évoluer un avion de combat de nouvelle génération dans un système comprenant beaucoup d'autres effecteurs, en particulier des drones, grâce à l'existence d'un cloud de combat permettant de partager en temps réel une très grande quantité de données. C'est un projet dont nous sommes à l'origine avec l'Allemagne, puisqu'en juillet 2017, le Président de la République et la chancelière Merkel ont décidé de lancer ce programme qui nous occupera pendant au moins quarante ou cinquante ans.

Nous avons déjà fait beaucoup. Nous avons investi 65 millions d'euros dans des études d'architecture dont le contrat a été notifié au début de l'année 2019. En 2020, nous avons débloqué 150 millions d'euros pour conduire les études de recherche et de technologie, convaincus de l'importance que la France détienne un véritable leadership dans ce programme. Ces études visent à la mise au point d'un avion démonstrateur capable de voler en 2026. Dans ce rétro-planning, nous devons nous assurer mois après mois que les contrats répondent aux objectifs fixés et au principal qui est la conception d'un démonstrateur capable de voler en 2026.

C'est un programme à l'origine franco-allemand, mais l'Espagne nous a rejoints : à partir du mois d'octobre, elle commencera à collaborer aux différents contrats, le principe de sa participation ayant été acté au début de l'année 2020. La France est totalement mobilisée dans le programme SCAF, que nous considérons comme crucial pour la supériorité de nos armées, pour nos technologies et pour les emplois de demain.

Je n'ai rien à retrancher à ce qui a été dit : l'armée malienne souffre de nombreux défauts d'organisation. L'un des objectifs de l'EUTM est de s'atteler à la solution de ce problème. Cette mission dispose d'une équipe de conseillers dédiés aux questions organiques. C'est un chantier colossal mais prioritaire. À titre bilatéral, nous apportons une expertise grâce à des coopérants qui, insérés au sein des états-majors maliens, forment des cadres maliens soit sur place, soit dans nos écoles militaires. Je partage le constat qu'il s'agit d'un travail de longue haleine.

Je compléterai ma réponse au sujet de la vente des Rafale. C'est une très bonne nouvelle et pour la politique européenne de défense et pour nos industries, mais je préciserai un point. Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'une audition sur les exportations d'armement, notre industrie de défense marche sur deux jambes : les commandes nationales et les exportations. Sans les exportations d'armement, nous ne pourrions pas, à nous seuls, assumer l'entretien et la pérennité des chaînes industrielles et l'ensemble des compétences de nos industries de défense. Les activités d'exportation assurent cette continuité et réduisent le coût d'acquisition des capacités dont nous avons besoin. Ce point est crucial.

Le dosage entre avions neufs et d'occasion doit être examiné avec beaucoup d'attention. C'est bien ce que nous faisons.

Je répondrai avec retard au sujet des missiles qui peuvent être vendus en complément des avions Rafale. Il est probable que la Grèce voudra également se doter de missiles pour équiper ses avions. Les discussions ne sont pas encore engagées ; je rappelle que les Mirage 2000-5 dont les Grecs disposent sont déjà dotés de missiles MICA, qui pourront être utilisés sur les Rafale.

Concernant l'opération Amitié, la France a été la première sur le terrain après l'explosion qui a ravagé le port de Beyrouth, le 4 août. À partir du 5 août, soit moins de vingt-quatre heures, un pont aérien a été organisé, nourri par huit vols d'avions militaires qui ont transporté plus de cent tonnes de fret humanitaire et les premiers personnels déployés sur place. Dans un second temps, nous avons pris très rapidement la décision d'envoyer le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, qui est arrivé le 17 août. Il a été complété par un cargo affrété le ministère des armées pour transporter la totalité des équipements du régiment du génie du groupement Ventoux, comprenant 400 personnels disposant de capacités lourdes. Ce groupement du génie a été complété par des hélicoptères, des plongeurs de la marine qui ont localisé les obstacles susceptibles de bloquer l'accès des navires aux quais.

Ce travail a été mené avec grande célérité. Nos forces n'ont pas attendu pour agir que le port de Beyrouth soit entièrement accessible aux opérations – une enquête judiciaire ayant lieu, il fallait préserver un certain nombre de sites. Durant nos premiers jours de présence, nous avons consacré nos forces à aider au déblaiement de quatre écoles, l'école du Sacré-Cœur, l'école des Trois Docteurs, l'école de la Sagesse et l'école des Saints-Cœurs, ainsi que de la gare routière, qui joue un rôle important dans l'économie du Liban.

Au-delà de l'implication des forces armées dans l'opération Amitié, je ne peux pas ne pas mentionner que toute la France s'est mobilisée en faveur du Liban, par des élans de générosité traduits par de multiples associations ou des entreprises ont fait parvenir des matériaux de reconstruction, des denrées alimentaires et du matériel pour les soignants.

Le porte-hélicoptères est rentré à sa base de Toulon, le groupement Ventoux vient de rentrer, mais nous nous tenons toujours aux côtés du Liban par les voies militaires, si nécessaire, ou par la voie civile. C'est un pays cher à notre cœur et que nous n'abandonnerons pas plus dans le futur que nous ne l'avons fait au cours de ces semaines si tragiques pour le peuple libanais.

La zone Indo-Pacifique est fondamentale pour les intérêts de la France, puisque nous y avons 1,6 million de résidents français et que s'y trouvent 90 % de notre zone économique exclusive et la majorité de nos importations y transitent. C'est une raison pour s'y intéresser en temps de paix et c'est une raison supplémentaire pour s'y intéresser lorsque des tensions s'y exercent de façon croissante. Dans ce contexte, le groupe aéronaval, c'est-à-dire le porte-avions et l'ensemble des navires qui gravitent autour, est un outil particulièrement adapté pour mettre en œuvre la stratégie Indo-Pacifique. Son déploiement est un message politique, diplomatique et militaire. C'est un outil technologique au service de la totalité de ce que nous voulons décliner dans le cadre de cette stratégie.

La coopération maritime avec l'Inde est ancienne, remontant au début des années 1980, et intense. En 2019, nous avons réalisé l'exercice Varuna. Réunissant des bateaux de surface, des forces sous-marines et le groupe aéronaval, il a permis un entraînement intense entre les forces indiennes et les forces françaises pour s'aguerrir au combat maritime. La marine indienne est devenue un partenaire majeur au sein de l'océan Indien. Cet exercice est complété régulièrement, comme ce fut le cas en 2020, juste avant que la crise sanitaire ne stoppe les exercices que nous avions programmés. En février, nous avons réalisé avec la marine indienne et des avions indiens des exercices de surveillance maritime autour de La Réunion et de Mayotte : une frégate française a pu interagir avec un avion de surveillance indien pour conduire ces missions. Je me suis rendue récemment en Inde pour célébrer l'arrivée dans l'armée de l'air indienne de ses cinq premiers Rafale. J'ai constaté le désir et la volonté de l'Inde de poursuivre notre coopération entre nos marines et nos armées de l'air. De ce point de vue, l'arrivée des Rafale au sein de l'armée de l'air indienne est une opportunité extraordinaire pour développer cette coopération. Cela s'inscrit pleinement dans la stratégie Indo-Pacifique.

Vous avez repris, Monsieur Corbière, les conclusions d'une ONG qui compare la situation actuelle et celle qui prévalait en 2012. Permettez-moi de ne pas partager ce constat. La situation n'est pas du tout le même qu'en 2012, puisque l'État malien est toujours présent, même si je pourrai le dire avec beaucoup plus de force lorsque la transition politique vers les autorités civiles aura été réalisée. Contrairement à 2012, l'armée malienne ne s'est pas dissoute, elle n'a fui ni ses garnisons ni les opérations dans lesquelles elle est engagée. Les forces armées maliennes sont toujours en opération, afin de lutter contre le terrorisme, stabiliser la situation sécuritaire et conforter les forces locales. Enfin, à la grande différence de la situation de 2012, les pays européens ou les partenaires non européens présents au Sahel sont toujours engagés et bon nombre d'entre eux ont confirmé le maintien de leur engagement actuel ou leur désir de l'accroître.

Vous avez appelé l'attention sur la nécessité d'un dialogue entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif sur ces questions. Il ne m'appartient pas de définir comment ces débats doivent être organisés : c'est le rôle de la conférence des présidents. J'ai toujours voulu, avec Mme la présidente de votre commission, maintenir un dialogue permanent sur ce sujet comme sur l'ensemble des opérations dans lesquelles nos armées sont engagées. Il est essentiel que le contrôle parlementaire puisse s'exercer. Pour l'instant, celui-ci prend la forme des auditions auxquelles vous voulez bien m'inviter. Il y en a eu un certain nombre depuis le début de l'année, en janvier, en avril, en juin ; elles sont complétées par les auditions qui ont lieu au Sénat. Il est essentiel que nous ayons un dialogue régulier, sinon permanent, sur ces questions.

Je comprends que vous accordiez une attention particulière à l'opération Barkhane, puisqu'elle mobilise plus de 5 000 militaires. Je reste à votre entière disposition pour essayer de satisfaire votre curiosité bien légitime et répondre à vos questions. Je suis totalement disponible pour le faire sous quelque forme que ce soit.

Pour ce qui est de l'incidence du covid sur nos opérations, le ministère applique la totalité des directives gouvernementales au fur et à mesure qu'elles sont prises. Elles ne souffrent que de très rares exceptions, qui se comptent sur les doigts de la main, liées à notre activité opérationnelle. Depuis le début de la pandémie, le covid n'a pas affecté le bon déroulement de nos opérations, précisément parce que nous appliquons toutes les directives sanitaires destinées à la prévenir et à la cantonner lorsque des cas positifs sont déclarés. Au fil du développement de la pandémie, nous avons durci nos mesures sanitaires. Lorsque nous déployons des forces à l'extérieur ou lorsque nous rapatrions des éléments projetés, nous appliquons toutes les mesures de précaution possibles, notamment les quatorzaines devenues des septaines, et nous testons nos militaires. En opérations extérieures, nous avons déployé tous les moyens utiles pour réaliser des tests en cas de doute sur l'émergence de cas dans les forces projetées ou à bord des bâtiments de la marine nationale. Il s'agit de moyens nouveaux, dont nous ne disposions pas au début de la pandémie. Dans le cadre du service de santé des armées, nous avons développé une capacité de 2 000 tests par jour. Nous avons décliné l'ensemble des moyens nécessaires, conformément aux directives gouvernementales, afin d'éviter le développement de l'épidémie au sein des forces armées.

Enfin, concernant le domaine spatial, je ne reviens pas sur le constat qui nous a conduits à définir une stratégie militaire spatiale, liée à l'émergence de tensions dans l'espace exo-atmosphérique, susceptible de devenir un espace de confrontation. Les opérations spatiales militaires doivent être menées par l'État lui-même dans un cadre juridique déterminé ; il est donc nécessaire de faire évoluer le dispositif juridique issu d'une loi de 2008 sur les opérations spatiales. Cette révision doit pouvoir se faire rapidement ; je crois pouvoir dire qu'elle est en cours, puisque le Gouvernement a proposé au Parlement de l'habiliter à procéder par voie d'ordonnances, afin de permettre à l'État de devenir opérateur spatial pour les satellites militaires : un amendement au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche a été adopté à cette fin en commission cette semaine. Lorsqu'elle aura été au terme du processus d'adoption, cette habilitation nous permettra de tenir les engagements que nous avons pris, d'ici la fin du quinquennat.

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