Intervention de Charles de la Verpillière

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de la Verpillière, co-rapporteur :

Venons-en maintenant au troisième pilier des accords de Lancaster House : le pilier capacitaire. Ce volet suscite au moins autant d'enthousiasme que de déception, selon les interlocuteurs. De toute évidence, c'est celui dans lequel la coopération est la plus ardue mais aussi la plus indispensable, ce qui explique ces réactions diverses.

Le premier champ de la coopération concerne les missiles. MBDA – que l'on peut décrire comme l'Airbus des missiles – a été créé en 2001 par Airbus, BAE Systems et Leonardo. Bien que l'entreprise ait été créée avant les traités de Lancaster House, ceux-ci consacrent l'engagement de coordonner et d'intégrer le secteur de la conception et de la production de missiles. Le projet « One MBDA » a abouti à la création d'un seul maître d'œuvre européen et à la réalisation de gains d'efficience allant jusqu'à 30 % grâce à des centres d'excellence partagés entre les deux filiales française et britannique de MBDA.

La rénovation à mi-vie des systèmes de croisière conventionnel autonome à longue portée et d'emploi général (SCALP-EG) dits Storm Shadow en anglais, s'est concrétisée par la livraison des premiers missiles rénovés en mars 2019 pour le Royaume-Uni et à l'été 2020 pour la France. Le projet de missile antinavire léger (ANL) a lui aussi abouti, avec la notification du contrat à MBDA en 2014 et un premier tir de qualification réalisé tout récemment, avec succès, en février 2020. Un autre projet bilatéral structurant est le futur missile antinavire et futur missile de croisière (FMAN/FMC) auquel nous avons déjà consacré, durant cette législature, un rapport conjoint avec la Chambre des communes, le premier du genre. L'étude de concept est aujourd'hui terminée et la phase suivante devrait débuter en 2021. Les différents concepts d'emploi français et britannique laissent entrevoir une solution à deux missiles qui serait satisfaisante pour les états-majors mais pourrait remettre en cause les économies d'échelle escomptées.

Le deuxième champ de la coopération capacitaire concerne la lutte anti-mines sous-marines. C'est le projet de système de lutte anti-mines du futur (SLAMF) ou MMCM (Maritime Mine Countermeasures), en anglais. Ce projet de drones de surface et sous-marins, associés à des sonars, termine actuellement sa phase de développement / qualification, lancée en 2015. Un ensemble comprenant un drone de surface et un sonar de Thales devrait bientôt entrer en production, ce qui satisfait bien sûr l'industriel et la direction générale de l'armement (DGA). S'agissant du drone sous-marin censé détecter les mines à plus grande profondeur, la proposition d'ECA Group n'a pas convaincu. La direction générale de l'armement a proposé aux Britanniques de continuer à travailler sur ce deuxième drone, sans réponse positive jusqu'à présent.

Enfin, le bilan est plus mitigé dans le domaine aéronautique. Après l'abandon du projet commun de drone de moyenne altitude et longue autonomie (Medium Altitude and Long Endurance Remotely Piloted Aircraft System, MALE), la France et le Royaume-Uni ont lancé le projet d'un système de combat aérien du futur (SCAF) incluant un avion de chasse et des drones. Mais en décembre 2017, le Royaume-Uni a annoncé son retrait du projet, pour des raisons de coût. Les Britanniques n'ont en effet pas renoncé à la production du Typhoon et à l'achat de F‑35 aux États-Unis. Le Royaume-Uni a donc annoncé qu'il poursuivrait seul le projet Tempest quand, dans le même temps, la France a proposé le projet SCAF à Berlin. La coopération franco-britannique se poursuit néanmoins dans le domaine de la recherche et développement, au moins pour garantir l'interopérabilité des systèmes.

M. Jacques Marilossian, co-rapporteur. Alors quelles leçons tirer de ce bilan ? Nous nous sommes attachés à identifier les freins et les facteurs facilitateurs de notre coopération.

En 1995, le président Jacques Chirac et le Premier ministre John Major avaient déclaré, après le sommet de Chequers, qu'aucun des deux pays ne pouvait « imaginer une situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'un des deux pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre le soient également ». Il semble qu'en dépit du « Brexit », cela doive rester le cas. La géographie et l'histoire sont têtues et, comme l'a rappelé l'ambassadeur de Grande-Bretagne lors de notre entretien, les Britanniques ne se sont jamais désintéressés de la défense du continent européen avant la fondation de l'Union européenne et n'ont pas davantage l'intention de le faire à l'avenir.

Même si la France et le Royaume-Uni n'ont pas tout à fait les mêmes aires d'influence, ce sont les deux seules puissances comparables en Europe, qui partagent une vision mondiale et déploient des forces outre-mer pour préserver la liberté de navigation et les échanges de biens comme de données. Les deux pays ont été frappés par le terrorisme islamiste. Ils sont les deux premières nations européennes par leur nombre de ressortissants partis faire le djihad en Syrie. Enfin, les deux pays ont développé une analyse convergente de l'évolution des menaces, observant le développement de nouvelles formes de conflictualité sous le seuil du conflit armé. Tout cela transparaît clairement du nouveau concept d'emploi des forces présenté le 30 septembre dernier par le chef d'état-major des armées britanniques, le général Carter.

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