Intervention de Charles de la Verpillière

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de la Verpillière, co-rapporteur :

Reste qu'en dépit de cette convergence de vues, d'intérêts et d'analyse stratégique, nous avons identifié plusieurs freins à notre coopération.

Tout d'abord, la désynchronisation de nos calendriers stratégiques et politiques. Entre la signature des accords de Lancaster House et aujourd'hui, des élections nationales ont eu lieu de part et d'autre de la Manche à peu près tous les deux ans. La France a adopté une nouvelle loi de programmation militaire en 2018 quand le Royaume-Uni vient seulement de publier l'équivalent de notre revue stratégique, l' Integrated Operating Concept du Chief of Defence Staff General Carter. Une revue plus large des programmes est toujours en cours et n'aboutira vraisemblablement pas à des perspectives financières claires avant le premier semestre 2021.

Ensuite, il faut évidemment citer les contraintes budgétaires qui sont appréciées et gérées différemment de part et d'autre de la Manche. Quand la France privilégie la continuité, le Royaume-Uni est coutumier des mesures drastiques et des coups de barre soudains.

Nous notons aussi que le calendrier de renouvellement des matériels majeurs n'est pas le même dans les deux pays. Pour envisager la suite des accords de Lancaster House, il ne suffit pas de lister les domaines dans lesquels France et Royaume-Uni ont intérêt à coopérer. Il faut avant tout identifier les besoins capacitaires des deux pays qui s'inscrivent dans des calendriers identiques.

Comme le montre bien le programme FMAN/FMC, il ne faut pas non plus mésestimer les écarts de doctrines d'emploi qui sont intrinsèquement liées à nos situations géographiques différentes.

Au-delà de ces difficultés, disons, habituelles, le « Brexit » a amené son lot d'incertitudes dont la plupart sont très prégnantes. Quel budget le Royaume-Uni consacrera-t-il à son effort de défense dans les années à venir ? Le financement de ses nouvelles priorités l'amènera-t-il à renoncer à des capacités conventionnelles ? Ces besoins de financement l'amèneront-ils à davantage de projets en coopération ou d'achats sur étagère, auprès des États-Unis ? Y a-t-il un risque de dilution de la relation bilatérale franco-britannique avec la démarche de diversification des partenariats impliquée par le Global Britain ?

Les acteurs industriels de la relation de défense franco-britannique sont aussi légitimement inquiets des conséquences du « Brexit ». MBDA craint par exemple que certains des avantages d'un secteur intégré des missiles, en particulier les avantages économiques et en matière d'emploi, ne soient dilués par des tarifs douaniers, des restrictions sur les droits de propriété, la libre circulation et les exportations d'armes.

Bien que le Royaume-Uni dispose d'un statut d'État-tiers à l'égard de la coopération structurée permanente (CSP) lui permettant d'être associé à des projets capacitaires européens ou à des opérations européennes, les industriels français et britanniques craignent que le Royaume-Uni ne reste éloigné de ces coopérations et que la France, précisément parce que c'est l'objectif de la CSP, ne favorise ses autres partenaires européens. Cela pourrait limiter la convergence des choix des deux pays en termes d'acquisitions et in fine réduire la portée de la coopération bilatérale en matière industrielle.

Ainsi, il ne vous a pas échappé qu'une des premières conséquences du « Brexit » a été la sortie du Royaume-Uni du programme spatial de GPS ( Global Positioning System ) européen Galileo.

Jacques Marilossian, co-rapporteur. Dans ce contexte, comment préparer l'avenir ? Nous livrons quelques pistes dans notre rapport, qui devront être affinées dans les prochains mois, après la publication de la revue intégrée des programmes britannique, attendue pour fin novembre, à la suite de laquelle le gouvernement Johnson devra nécessairement annoncer des priorités, notamment budgétaires.

Il va de soi que nous devons insister pour que soient poursuivis les programmes en cours, notamment le programme de guerre des mines et le programme de missiles antinavires et de croisière. L'interdépendance consentie dans le domaine de l'industrie missilière doit nous inciter à nous assurer que les centres d'excellence partagés dans le cadre de l'initiative One MBDA restent, bel et bien, des centres d'excellence et qu'on y investit suffisamment.

Nous devons maintenir les acquis de la CJEF en termes d'interopérabilité et, pour cela, limiter l'effet « désintégrateur » du F‑35, compte tenu des règles très strictes imposées aux utilisateurs en termes de partage de données et d'informations, pour lesquels il reste à déterminer avec la partie américaine s'il est envisageable de les lever à moyen terme. C'est à cette condition que nous pourrons envisager de rationaliser certaines de nos projections de forces.

Pour la poursuite de nos coopérations industrielles, il nous semble qu'il serait judicieux que la France et le Royaume-Uni s'accordent, comme la France et l'Allemagne l'ont fait avec le traité d'Aix-la-Chapelle, sur les règles relatives aux exportations d'armement.

Une fois que nous aurons obtenu des assurances sur ces aspects déterminants de notre coopération, le champ des possibles est largement ouvert. Le DGA estime par exemple qu'une coopération dans le domaine spatial serait bienvenue. La France et le Royaume-Uni sont les seules nations à avoir des capacités de ce type depuis de nombreuses années (1986). Syracuse IV sera lancé en 2023. On pourrait imaginer une coopération avec les Britanniques.

La lutte cyber, les menaces hybrides sont aussi des domaines dans lesquels le Royaume-Uni a beaucoup investi, comme la France. Il a été à l'initiative des doctrines de l'Otan dans ces domaines. En mars 2019, la 6e division de l'armée de Terre britannique a été recréée et chargée des menaces hybrides ainsi que de la guerre électronique.

Il y a d'autres pistes, bien évidemment, Madame la présidente : je pourrais citer le partage de centres d'entraînement, la rationalisation de déploiements outre-mer, la production en commun d'hélicoptères lourds, la police du ciel et la lutte anti-drone dans la perspective des Jeux olympiques de 2024, la prochaine génération de sonars sous-marins, le développement de l'interopérabilité avec les porte-avions, les drones sous-marins… Toutes ne sont pas de la même importance et certaines ne peuvent être évoquées en l'état actuel des discussions. Je pense que nous aurons l'occasion de les évoquer plus avant au travers des questions qui nous seront posées aujourd'hui, en attendant un nécessaire approfondissement, une fois levées les incertitudes côté britannique.

Nous vous remercions pour votre attention.

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