Intervention de Françoise Dumas

Réunion du mardi 3 novembre 2020 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente, co-rapporteure :

La modestie de la place accordée à la défense dans le plan de relance européen trouve sa justification dans l'annonce préalable d'un plan de soutien à la filière aéronautique et dans le projet de loi de finances pour 2021, qui reste conforme aux ambitions de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.

Si ces arguments sont recevables, il n'est pas inutile de faire observer que peu de secteurs économiques présentent autant d'avantages que celui de la défense du point de vue de l'efficacité de la relance. D'abord, les entreprises du secteur de la défense sont immédiatement disponibles ; certes, le soutien aux filières industrielles d'avenir est pertinent à long terme, mais l'industrie de défense a sur elles l'avantage d'exister. Si on lui passe des commandes, elle pourra les honorer immédiatement, et créera ce faisant des emplois et de l'activité, donc de la valeur ajoutée, dans des délais compatibles avec les nécessités de la politique contracyclique. Ensuite, l'effet multiplicateur keynésien est bien plus élevé dans l'industrie de défense que dans les autres secteurs, car elle repose sur des investissements bénéficiant à des entreprises dont la production et les chaînes d'approvisionnement sont presque exclusivement européennes et fortement exportatrices. Enfin, l'industrie de défense, notamment en France, irrigue et innerve les territoires, jusque dans des zones délaissées par les autres industries à la faveur des délocalisations des dernières décennies. L'industrie de défense est une industrie tant de main-d'œuvre que de haute technologie, qui alimente l'emploi et la croissance potentielle. À ce titre, elle constitue aussi une industrie d'avenir, car les avancées qu'elle permet grâce à son effort de recherche ont des retombées significatives dans le domaine civil.

La justification d'une relance du secteur de la défense n'est pas uniquement économique : elle découle aussi de son caractère stratégique, de sa contribution à la nécessaire souveraineté européenne et des risques que fait peser l'affirmation désinhibée de logiques de puissance sur les pourtours mêmes de l'Europe, devenus beaucoup moins amis.

La crise déclenchée par la pandémie de covid-19 a durement frappé les entreprises de ce secteur, en particulier les PME et les ETI ; en dépit des mesures d'urgence adoptées par certains États membres, notamment la France, elles demeurent très fragiles, d'autant que l'épidémie, loin de disparaître, connaît une seconde vague. Le plan de relance européen doit donc être une opportunité pour conforter ces entreprises essentielles à l'autonomie stratégique de l'Europe, à l'heure où les menaces se renforcent.

Il s'agit de conjurer trois risques principaux. Le premier est celui d'une crise aiguë de trésorerie de certaines entreprises, susceptible de provoquer leur faillite pure et simple, ce qui désorganiserait durablement les filières de production de la BITD européenne, dans un contexte où les compétences nécessaires sont souvent rares et doivent être entretenues dans la durée, sous peine de les perdre définitivement. Il convient aussi d'éviter que la fragilisation de certaines entreprises de défense ne les rende plus vulnérables encore à des prises de participation étrangères inamicales. Au demeurant, la politique européenne de la concurrence, arc-boutée sur un marché pertinent réduit au seul marché européen alors qu'il est désormais mondial, facilite de telles prises de contrôle en empêchant la création de géants européens de la défense. Il va de soi qu'une telle évolution ne pourrait qu'affaiblir l'autonomie stratégique de l'Europe, en transférant hors de l'Union européenne les technologies critiques et le pouvoir de décision. Enfin, il s'agit de faire en sorte que les difficultés engendrées par la crise sanitaire ne pèsent pas sur la capacité d'innovation des entreprises de défense européennes, ni sur l'investissement dans les technologies de rupture, qui sont toutes deux les garanties de l'adaptation de la BITD européenne aux enjeux de souveraineté de l'Europe, ainsi qu'aux enjeux des menaces futures, de plus en plus nombreuses et aux portes de nos frontières.

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