Intervention de le général Marc Conruyt

Réunion du mercredi 25 novembre 2020 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane :

La semaine dernière, nous avons assisté à une reprise encourageante lors de la 41e session du comité de suivi de l'accord d'Alger (CSA). Après de longues années de blocage et d'immobilisme, cette reprise doit se concrétiser. Du point de vue militaire, elle doit s'incarner dans le cadre des unités reconstituées, suivant le principe de l'inclusivité. Il faut espérer que la reprise du CSA débouche sur le déblocage de la reconstitution de ces unités, car les Forces armées maliennes en ont bien besoin.

Pour ce qui est des négociations, le Président de la République a été extrêmement clair. Je peux affirmer que ce facteur n'a jamais pesé sur nos opérations. Il ne m'a d'ailleurs pas semblé que les soldats maliens qui nous accompagnent lors des opérations se posent la question. N'oublions pas que l'argument du dialogue fait dans une certaine mesure partie du modus operandi d'Al-Qaïda : c'est pour eux un moyen de peser sur les processus en cours et d'avancer leurs pions. Il ne faut pas être naïf.

Vous m'avez interrogé sur l'évolution de Barkhane. Dans toute la BSS, notre dispositif représente un peu plus de 5 000 hommes, c'est-à-dire autant que ce que nous avions engagé dans la seule Côte-d'Ivoire en 2005 : c'est dire l'importance du défi qui est le nôtre. Depuis de longues années, ce dispositif a prouvé, et prouve encore quotidiennement son efficacité. Ses effets opérationnels sont reconnus. Mais l'ennemi reste fort et structuré. Dans plusieurs zones du Sahel, il n'est pas encore à la portée des forces sahéliennes. La semaine dernière, nous avons engagé de durs combats au sol dans le Gourma contre plusieurs dizaines de combattants djihadistes qui n'avaient pas peur de monter à l'assaut des troupes françaises, ce qui donne une idée de leur détermination. Par conséquent, nous ne devons pas relâcher l'effort, notamment dans la perspective d'accompagner la transition malienne qui doit conduire, au début de l'année 2022, à des élections générales et au retour d'un fonctionnement gouvernemental plus normal. C'est, à mon sens, davantage à cet horizon de 18 mois que pourra se poser la question de l'avenir de Barkhane.

Les forces partenaires de l'EUTM et de la MINUSMA font incontestablement partie de la solution. Leur principe est bon. Elles peinent parfois à réaliser l'effort qui leur est assigné : cela peut s'expliquer par des expériences opérationnelles différentes ou des contraintes juridiques, techniques ou administratives particulières, mais nous avons impérativement besoin d'elles, à des degrés divers. Je travaille étroitement avec le commandant de la force de la MINUSMA, le général suédois Gyllensporre, et avec le général tchèque Ridzak qui commande l'EUTM. Nous nous voyons régulièrement, nous conduisons des projets en étroite coordination. Nous sommes tous convaincus que la victoire ne peut être que collective. Je peux vous assurer que le général Ridzak relance résolument l'action de l'EUTM qui avait été bloquée pour différentes raisons et que l'EUTM est désormais pleinement engagée envers les FAMa. Son cahier des charges, bien rempli pour les mois de novembre et de décembre, a été élaboré en parfaite coordination avec Barkhane. Il en est de même pour la MINUSMA.

Je ne suis pas inquiet pour les suites des élections qui ont eu lieu au Burkina Faso et dont nous attendons les résultats. Celles qui se profilent au Niger pour la fin de l'année ne devraient pas entraîner d'inflexions majeures du partenariat que nous entretenons avec les forces militaires de ces deux pays.

Les Danois, les Britanniques, les Estoniens, les Tchèques qui commencent à arriver, les quelques éléments précurseurs suédois qui sont parmi nous font tous un travail admirable et dans le meilleur état d'esprit. Ils ont des caveats, ou restrictions nationales, comme chaque contingent national, mais vraiment mineurs, et qui ne perturbent pas leur emploi opérationnel. Je salue de nouveau l'engagement de ces contingents à nos côtés, qui agissent en véritables frères d'armes. D'autres grands pays européens pourraient probablement faire davantage au profit direct de Barkhane. Certains s'engagent plutôt au sein de l'EUTM, d'autres au sein de la MINUSMA, et j'espère toujours, bien entendu, avoir la surprise d'un engagement plus direct au profit de Barkhane. Mais n'oublions pas que la Task Force Takuba est sous mon commandement direct et fait partie intégrante de Barkhane. Je note que la montée en puissance des Task groups se poursuit et que leur action devrait s'intensifier dans les mois à venir.

Je peux confirmer que l'engagement américain à nos côtés est considérable. Ces derniers mois, il a augmenté et son apport est vraiment primordial, notamment en matière de renseignement et de ravitaillement en vol.

Vous dites que l'on pourrait croire que les succès récents de Barkhane sont plus médiatisés que les précédents. Je peux vous assurer que mes opérations, quelles qu'elles soient et quel que soit l'ennemi visé, ne sont aucunement dictées par une quelconque ligne médiatique ou de communication. Les opérations que nous menons sont décidées au regard des renseignements que nous obtenons, puis que nous exploitons. Les résultats obtenus, produisent à leur tour du renseignement, et ainsi de suite. On trouve que Barkhane communique davantage sur les résultats obtenus contre le RVIM : je peux vous assurer que ces deux groupes, l'État islamique et le RVIM (filiale d'Al-Qaïda), sont l'objet de la même attention en termes de renseignement, de ciblage et d'opérations. Enfin, le fait qu'un grand nombre d'emprises de Barkhane se trouvent dans des zones directement menacées par le RVIM explique que je conduise des opérations contre lui.

La Mauritanie est un pays que je connais bien. Il est toujours délicat d'établir des comparaisons d'un pays à un autre, car les histoires, les populations, les répartitions ethniques, voire les cultures militaires sont parfois très différentes : ce n'est pas parce que ces Etats sont tous dans le G5 Sahel que les méthodes de l'un sont forcément transposables à l'identique à un autre. Cela étant, le G5 est un excellent forum de discussion, d'échange et de partage des bonnes pratiques, dont nos partenaires profitent assez régulièrement, lors des rencontres de chefs d'état-major ou de niveau inférieur.

Nos partenaires mauritaniens ont été confrontés à la menace que connaissent nos amis maliens et nigériens dès le début des années 2000 : il a fallu une mobilisation générale de l'appareil d'État, avec notre aide entre autres, pour y répondre. Ils ont notamment restructuré leurs forces militaires selon des principes et des dispositifs efficaces contre l'ennemi qui les menaçait. D'ailleurs, les groupements spéciaux d'intervention (GSI) mauritaniens servent plus ou moins de référence aux compagnies spéciales d'intervention que les Nigériens sont en train de déployer ou aux unités légères de reconnaissance et d'intervention (ULRI) que les FAMa ont commencé à mettre en œuvre.

L'effet des discours anti-français et des opérations de désinformation, évoqué récemment par le Président de la République, reste limité. Il touche surtout, et de façon restreinte, le cercle bamakois, mais nous veillons à ce que ces manœuvres ne prennent pas d'ampleur. Même si quelques tentatives de désinformation, malheureusement relayées par certains médias locaux, peuvent laisser à penser que nos forces armées sont mal employées ou agissent mal, leur impact reste marginal. De notre côté, nous veillons à conduire une politique de communication pour expliquer et mettre en valeur auprès des populations locales des pays sahéliens ce que fait Barkhane, notamment avec les forces partenaires sahéliennes, et dans quel cadre. À chaque fois que des opérations de désinformation sont menées à notre encontre, nous veillons à tenir un discours à même de rétablir la vérité.

Comment s'assurer que lors d'une opération, l'ennemi ciblé ne s'échappe pas pour porter le fer dans un pays frontalier ? C'est un vrai défi compte tenu de l'étendue de la zone d'opérations et des tactiques utilisées par les groupes terroristes. Lors de l'opération Bourrasque, le mode d'action privilégié de l'État islamique consistait à se fondre dans la population, à cacher ses armes et ses motos pour rejoindre le plus rapidement possible un campement abritant femmes et enfants, sachant pertinemment qu'en pareil cas, nous ne pourrions pas le frapper. Les opérations sont toujours menées en coordination étroite avec les forces partenaires sahéliennes : en l'occurrence, nous agissions avec les Nigériens et les Maliens. Nous avons planifié l'opération en partant du principe que ceux que nous traquions au Mali pouvaient aller au Niger et que ceux que nous poursuivions au Niger pouvaient aller au Mali. Nous veillons toujours à ce qu'une solution trouvée à un endroit ne vienne pas créer un problème ailleurs. Ce n'est pas toujours facile, mais c'est une préoccupation constante dans notre réflexion tactique.

Les règles d'engagement des drones, qui ne sont pas des systèmes autonomes, sont exactement les mêmes que celles qui prévalent pour tous les autres moyens, c'est-à-dire nos avions et nos forces terrestres : il n'y a aucune différence entre les règles d'engagement du drone armé et de nos autres moyens de combat. Ces règles d'engagement respectent strictement le droit international et le droit des conflits armés. Elles sont validées à l'échelon stratégique au niveau parisien, et toute une chaîne de conseillers juridiques s'assure en permanence du respect du cadre fixé pour mener nos opérations.

Je suis toujours très prudent en matière d'arithmétique. Les chiffres des pertes sont à chaque fois vérifiés : je n'annonce jamais que des dizaines de combattants ont été neutralisés si ce n'est pas le cas. En fait, votre question porte surtout sur la capacité de régénération de ces groupes terroristes combattants, malgré l'attrition que nous leur imposons. Chacun d'entre eux s'articule autour d'un noyau composé des combattants les plus aguerris ou les plus anciens, dont le nombre n'augmente pas. C'est ce noyau que nous visons et c'est le plus difficile à atteindre. L'important est de savoir comment, autour de ce noyau, ils sont capables d'agréger une masse combattante plus importante. Comment s'assurer que des jeunes sans perspective, vivant parfois au sein de populations qui s'estiment peu écoutées, ne cèdent pas aux sirènes de groupes armés islamiques quand ils leur proposent une moto, une kalachnikov, quelques dizaines de milliers de francs CFA et les font rêver à un meilleur avenir ? Nos partenaires sahéliens sont parfaitement conscients du problème : il suffit de regarder certaines initiatives menées dans le cadre du processus de désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR), pour comprendre que nos amis maliens s'attachent à éviter que ces populations basculent du mauvais côté et à les inciter à rejoindre les forces de sécurité gouvernementales. Le président nigérien, lui aussi très sensible à cette question, a pris des décisions courageuses pour offrir, dans certaines régions où des populations se sentent marginalisées, des possibilités de recrutement supplémentaires dans les forces de sécurité. Cela dépasse le cadre de Barkhane mais nous y sommes attentifs aux côtés de tous les partenaires sahéliens, de la MINUSMA et de tous les autres acteurs du théâtre.

Vous avez raison de souligner que les relations humaines sont essentielles dans le partenariat que nous conduisons avec nos partenaires africains. La question de la durée et de la stabilité du commandement peut se poser. Pour ma part, c'est ma deuxième mission d'un an au sein de Barkhane. Dans mon parcours professionnel, je me suis occupé de questions sahéliennes et de problèmes de sécurité et de défense au Sahel, depuis près de quinze ans, à différents postes, sur le terrain ou en état-major. Je connais quasiment tous les chefs militaires maliens, burkinabés, nigériens, mauritaniens et tchadiens, dont certains, depuis de longues années. Quant aux conseillers, les officiers servant au sein de la coopération structurelle, placés auprès des forces armées maliennes, nigériennes ou burkinabé, font généralement des mandats de trois ans. C'est de première importance dans le travail que nous faisons tous les jours et notre dispositif est suffisamment solide en ce domaine. Dans la sélection des principaux chefs appelés à servir à Barkhane, nous veillons à désigner des officiers dotés d'une longue expérience et capables d'allier connaissance de terrain et réflexion stratégique. La capacité de régénération de Barkhane repose aussi sur l'apport de nouvelles idées et l'inspiration de nouveaux chefs.

J'ai évoqué les négociations dans mon propos liminaire. Je les ai découvertes quasiment en même temps que tout le monde. Je n'y ai pas été mêlé, ni de près ni de loin.

À leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités politiques maliennes ont remplacé tous les chefs militaires. Il y a aujourd'hui à la tête des armées maliennes des gens compétents, qui ont longtemps servi sur le terrain, qui sont conscients de la situation actuelle et qui travaillent très bien avec Barkhane. Je leur fais une grande confiance et j'attends beaucoup du partenariat qui s'est instauré avec eux. J'ai aussi rencontré les nouveaux chefs politiques de façon plus épisodique, parce que ce n'est pas le rôle du commandant de Barkhane. Ils m'ont affirmé que la coopération avec Barkhane restait centrale et indispensable pour le sort du Mali, qu'ils en espéraient beaucoup et qu'ils souhaitaient la poursuivre dans le cadre des objectifs définis en commun.

Sur le point de savoir si je ne pensais pas que la France était un peu seule, j'ai répondu en évoquant la position des alliés européens ou américains.

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