Intervention de Vincenzo Salvetti

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Vincenzo Salvetti, directeur des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique :

La course n'est plus à la puissance, en effet. Le système de dissuasion initial de la France, comme celui des autres pays, était anti-démographique. Dissuader un pays tel que l'URSS d'atteindre nos intérêts vitaux consistait – cela n'a rien de moral, je me place sur un plan technique – à pouvoir causer plusieurs millions de morts dans les plaines soviétiques. Ce discours n'est plus porteur de nos jours. Une inflexion forte, qui remonte au président Chirac, a été d'évoquer les centres de pouvoir, la destruction d'installations « durcies », voire enterrées, ce qui n'implique pas du tout le même type d'armes.

Pour un effet anti-démographique, on a besoin d'armes mégatonniques, peu importe, ou presque, leur précision : ce qui compte, c'est d'atteindre la superficie la plus grande possible, en produisant des effets terrifiants. Détruire un centre de pouvoir implique plutôt de la précision mais pas nécessairement beaucoup de puissance – quelques centaines de kilotonnes peuvent suffire, à condition d'avoir une bonne précision. Ce sont les deux extrêmes. Mais cela ne veut pas dire que les armes développées pour viser les centres de pouvoir n'auront pas aussi un effet anti-démographique. Une arme nucléaire ne se prête pas aux discours sur l'absence de victimes collatérales : si on vise un centre de pouvoir, il y en aura autour. On ne peut pas assurer une frappe chirurgicale avec une arme nucléaire. Par ailleurs, une arme plus précise peut devenir une arme d'emploi, ce qui est une ligne rouge.

La DAM ne développe de nouvelles armes nucléaires ou de nouveaux concepts que s'il y a un besoin politique. Elle ne s'embarque pas toute seule dans le développement de tel ou tel système d'armes.

On peut réaliser une impulsion électromagnétique nucléaire (IEMN) avec une explosion nucléaire dans l'atmosphère, l'idéal étant d'aller très haut. Il s'agit de projeter au sol une impulsion électromagnétique de plusieurs dizaines de kilovolts par mètre, afin de perturber et de casser des équipements électroniques. Le problème est que si on monte trop haut, on arrose aussi les satellites. Par ailleurs, on projette le champ électromagnétique au sol, mais c'est un peu comme le nuage de Tchernobyl : il ne s'arrête pas à la frontière, à la limite précise de la zone que l'on veut perturber. Nous avons également travaillé sur la probabilité de destruction des équipements situés à l'intérieur de la zone. L'électronique ancienne est beaucoup plus robuste : nous l'avons démontré en laboratoire. La probabilité de dysfonctionnement est de 40 ou 50 %, et celle de destruction de 10 %, ce qui peut sembler faible. De plus, on arrosera plusieurs centaines de kilomètres carrés à côté de la zone visée.

La DAM travaillait déjà sur des objets manoeuvrants il y a vingt ans : on sentait l'intérêt d'arriver à une meilleure précision de cette manière.

Je vous renvoie à la présentation faite par Vladimir Poutine le 1er mars 2018, mais aussi aux présentations chinoises et américaines. Toutes parlent d'emploi conventionnel, mais pas tellement de nucléaire. À partir du moment où on dote l'arme d'une capacité de mouvement, de manœuvre, on peut atteindre plus précisément l'objectif, mais on revient à la question de l'arme d'emploi. C'est pourquoi les autres puissances, à mon avis, parlent d'emploi conventionnel.

J'en viens à la pénétration. Pour avoir une arme nucléaire manœuvrant à très haute altitude, exo-atmosphérique, il faut des systèmes du type moteurs de fusée parce qu'il n'y a pas d'air, et on se retrouve avec un objet pesant plusieurs centaines de kilogrammes. On revient alors à l'époque où il y avait une tête par missile, ce qui posera la question du nombre d'armes disponibles. Il est alors préférable d'utiliser des armes manoeuvrantes en endo-atmosphérique, en dessous de 40 ou 45 kilomètres d'altitude pour fixer les idées, en s'appuyant sur l'air – avec des volets mais pas des moteurs. Seulement, dès que l'arme commencera à manœuvrer, elle « cassera sa vitesse », ce qui fait qu'elle pourrait devenir visible par un radar. Une arme nucléaire classique arrive à 60 kilomètres d'altitude à une vitesse supérieure à Mach 20, avant de décélérer. Sa vitesse se compte encore à plusieurs fois le nombre de Mach quand elle atteint l'objectif. Je ne suis pas convaincu qu'une arme manoeuvrante arrivera aussi vite sur l'objectif …

Par conséquent, améliorer la précision de l'arme, oui, avec les limites que j'ai indiquées, mais améliorer la performance de pénétration, j'ai plutôt tendance à dire non. Néanmoins, toutes ces questions sont sur la table et il faut les étudier.

Tout cela fait rêver, mais ce qui compte, c'est l'efficacité de l'arme, compte tenu de l'effet recherché par celle-ci décidé au niveau du Président de la République. Il ne s'agit pas de produire un « joujou » qui ferait des manœuvres dans le ciel.

La France n'a jamais testé d'armes nucléaires miniaturisées, comme l'ont fait les États-Unis à un moment donné – ils sont même allés jusqu'à des obus nucléaires. Nous ne l'avons jamais fait. C'est la limite du programme Simulation. On est à l'aise dans le cadre correspondant aux 210 essais nucléaires réalisés, mais aller complètement en dehors de cette zone est plus compliqué. Je ne dis pas que nous n'aurons pas suffisamment progressé un jour pour le faire, mais nous n'en sommes pas là.

J'ai déjà parlé des performances classiques que nous cherchons à améliorer : la portée – c'est fait –, la précision et la pénétration, donc la furtivité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.