Intervention de Vincenzo Salvetti

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Vincenzo Salvetti, directeur des applications militaires au Commissariat à l'énergie atomique :

La responsabilité de la Perle, à l'exception de la chaufferie nucléaire embarquée, relève de la Direction générale de l'armement et de Naval Group. Il y a néanmoins eu des interactions avec la DAM, dans la mesure où La Perle était en arrêt technique majeur et que son cœur avait été retiré. En revanche, la DAM est pleinement concernée par le projet d'installation nucléaire de base secrète à Toulon, sous le pilotage du service d'infrastructure de la défense (SID). La DAM sera maître d'ouvrage délégué du SID pour piloter la mise à niveau de cette installation destinée à accueillir les futurs SNA du programme Barracuda.

Le calendrier est très contraint. La première échéance, en 2027, correspond au troisième arrêt technique du Charles de Gaulle et la deuxième, en 2029, au premier arrêt technique majeur du SNA Suffren. Or recharger le cœur du Perle, qui a été envoyé à Cherbourg, où sa partie avant a été remplacée par celle du Saphir, avant de revenir à Toulon, nécessite les anciennes installations, ce qui bloque le démarrage du chantier. L'enjeu est de réussir à tenir le calendrier malgré cette perturbation.

Parmi les nombreux programmes de la DAM, l'un s'intitule « Études scientifiques et technologiques de base », en lien direct avec le programme « Simulation ». Il travaille sur la physique de base et n'est, la plupart du temps, pas classifié. Nous pourrions, au titre de collaborations avec des universités et des laboratoires français, faire des manipulations au CERN.

Les contre-mesures médicales ne concernent pas directement la DAM, mais la direction de la recherche fondamentale du CEA. La DAM est experte pour dire quels effets auront, du point de vue radiologique, tel ou tel type d'engins nucléaires sur les populations. L'objectif n'est pas de savoir ce qui va se passer dans le pays que nous cherchons à dissuader mais de nous prémunir contre une attaque chez nous.

Nous n'avons aucun problème à recruter. Depuis trois ans, nous recrutons trois cents voire quatre cents personnes par an – nous avons en effet un turn‑over assez important du fait de notre pyramide d'âge. Les gens viennent chez nous parce qu'ils souhaitent s'engager au service d'une mission régalienne, celle de la dissuasion nucléaire, ce qui n'est d'ailleurs pas contradictoire avec les sondages régulièrement menés auprès de la population française sur ce sujet, puisque le niveau de personnes satisfaites et très satisfaites tourne autour de 60 %. La dissuasion nucléaire est reconnue par la population, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, comme aux États-Unis ou en Angleterre, où la place de leur dissuasion n'est pas la même. En revanche, peut-être qu'à Valduc, tout comme à Gramat, il sera un peu plus difficile de recruter, du fait de l'isolement des centres. Nous sommes le premier employeur industriel de Côte-d'Or. Je n'ai aucun problème de recrutement au Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine (CESTA), en Île-de-France et en Touraine.

Concernant la sécurité, nous suivons de près le traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN). Un cinquantième pays l'ayant ratifié l'an dernier, il est entré en vigueur cette année. On commence à voir monter des menaces. Par exemple, l'Autriche ayant ratifié le traité, il serait logique que l'on ne puisse plus acquérir d'équipement auprès de cet État. La prochaine étape sera bancaire : les banques qui soutiennent les industries nucléaires subiront des pressions qui les contraindront à ne plus investir dans ces sociétés. En réalité, dans le domaine des armes nucléaires, nous allons chercher très peu de choses à l'étranger – à 99 % c'est du français. En revanche, dans le cycle de fabrication, nous pouvons avoir besoin d'une tête laser. Or le pays qui fait les meilleures têtes laser au monde, c'est l'Allemagne, qui est marquée « verte ». La directrice des affaires stratégiques de la DAM observe ce que deviennent les signaux faibles.

Il existe un programme de renforcement de la protection physique de nos centres DAM, de celui de Valduc en particulier, qui accueille depuis près de deux ans un peloton spécialisé de la gendarmerie nationale, pouvant intervenir aussi bien contre des menaces externes qu'internes. L'INBS de Cadarache abrite également un peloton de gendarmerie. Au‑delà de la protection physique, la question se pose aussi pour la cyberprotection.

La dissuasion n'a pas vocation à entrer dans le débat sur les menaces hybrides. La dissuasion, c'est, pour le dire en une phrase, l'assurance‑vie ultime face à une menace d'intérêts vitaux. Il faut une articulation forte entre le monde du conventionnel et celui du nucléaire, qui sont intrinsèquement différents.

Pour ce qui est du contexte international, les États‑Unis et la Russie ont, depuis le traité New Start, une sorte de statu quo autour de 1 550 têtes. Mais cela ne tient pas compte de la réalité de leurs arsenaux, puisqu'il ne s'agit que des têtes nucléaires stratégiques. Ils en ont d'autres sur étagère, certaines au cas où, d'autres en attente de démantèlement, ainsi que des têtes tactiques – les armes OTAN B61 – qui ne sont, de ce fait, pas comptées. En réalité, ces deux pays ont plutôt 5 000 à 7 000 armes nucléaires chacun.

La Chine a la prétention de gagner une place équivalente aux deux autres sur le plan stratégique. Jusqu'à récemment, elle avait plutôt de l'ordre de 200 têtes. Mais elle est dans une dynamique où elle fait ce qu'elle dit et dit ce qu'elle fait. En trois ans, elle construit l'équivalent en tonnage de la Marine nationale française. Ils agissent de même pour les porte-avions, les sous-marins, et ils ont des missiles avec lesquels ils vont même frapper les satellites, pour montrer leur précision. S'ils veulent aller aux 1 550 têtes, ils iront. La France est très prudente dans son export de matériels et d'usines en Chine, pour éviter tout transfert de technologie. Si les Américains, en tant que première puissance mondiale, peuvent se permettre de mener une politique agressive à l'encontre de la Chine, nous ne pouvons pas, je crois, agir de même. C'est pourquoi nous devons être plus prudents.

Les Anglais disent qu'ils vont augmenter leur stock d'armes. Il se pourrait que ce soit du déclaratoire. Dans leur Strategic Defence and Security Review de 2015, ils ont exprimé 180 têtes en tout, dont 120 embarquées, plus le nombre de missiles et le nombre de sous-marins. N'importe qui, en faisant quelques hypothèses, peut établir le plan de chargement des bateaux britanniques. J'ai été surpris, à l'époque, que les Britanniques donnent un réel niveau de précision. En France, on parle de moins de 300 têtes, et ce que l'on en fait ne regarde que le Président et un cercle restreint. En réalité, je pense qu'ils souhaitent faire comme nous, à l'occasion du renouvellement dans dix ans pour remonter leur arsenal de 80 têtes. Ils entretiennent ainsi une ambiguïté sur le nombre précis de têtes..

Je n'ai pas parlé du TDC pour une raison simple. Ce n'est pas un centre de développement technologique matériaux : TDC veut dire « technology development center ». Je ne suis pas certain que le TDC existait, à l'origine des négociations, dans le projet de traité Teutatès. Le projet était de partager à deux l'installation EPURE, installation expérimentale mettant en œuvre du plutonium. Le devis français en 2008 était proche de 900 millions d'euros. Au fil des discussions, les deux pays ont convergé vers le TDC, qui a principalement servi à réceptionner la machine radiographique achetée aux États-Unis par les Britanniques. Cette machine constitue le deuxième axe radiographique. Nous avons une équipe de quelques personnes au TDC pour réceptionner cette machine avec nos amis britanniques et faire du développement sur les détecteurs radio.

Par ailleurs, il me semble, monsieur Marilossian, que vous avez mélangé deux notions. La question de savoir ce que l'on faisait après Teutatès s'étant naturellement posée, nous avons mis des sujets sur la table, sans que les Britanniques ne réagissent. Leur priorité est de finir EPURE, ce qui nous va bien, puisque c'est aussi la nôtre. Mais il faudra aller au‑delà. La poursuite d'EPURE dans une phase 3 viendra naturellement, parce qu'il faudra assurer à un moment donné le remplacement des axes radiographiques et des détecteurs. A ma connaissance, les Britanniques ont contribué au financement du NIF américain, le national ignition facility, qui est le pendant du Laser Mégajoule (LMJ). Cela leur donne le droit de faire des essais. Nous faisons la même chose sans payer, dans le cadre de notre coopération franco-américaine.

Nous avons discuté de travaux communs sur Orion (Laser britannique de moindre puissance), sous l'angle des diagnostics expérimentaux.

Le Brexit va nous compliquer la vie pour les échanges de personnels et de matériels.

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