Intervention de Françoise Bilancini

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 17h35
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Françoise Bilancini, directrice du renseignement de la préfecture de police de Paris :

Il est de tradition, lorsqu'un service ou une organisation est en cause, de commencer par présenter ce service ou cette organisation, ses structures et ses missions. Eu égard aux circonstances, je fais le choix de rompre avec cette tradition et de vous parler d'emblée des femmes et des hommes qui travaillent dans ce service, la DRPP, touché en son cœur par une attaque inédite, « bleu sur bleu », comme on dit dans notre jargon, qui est la hantise de tous les services de renseignement.

Vous parlez de ces femmes et de ces hommes, c'est évoquer la douleur, la blessure profonde qui mettra du temps à cicatriser. Pour certains, le 3 octobre, c'est déjà loin ; pour nous, c'est le présent, et pour longtemps. Chacun de nous, fonctionnaire de tout grade, technicien, contractuel, gardera en lui des éléments indélébiles de cette journée.

Des images : une scène de crime d'une violence indicible, des cercueils dans la cour du 19-août, des portraits souriants de nos disparus, accrochés dans nos locaux.

Des sons : des appels au secours, des coups de feu, la voix blanche de notre opératrice d'état-major nous annonçant le drame, les pleurs, les sanglots des familles, des enfants, des collègues.

Le goût amer des larmes refoulées, l'odeur du sang versé dans les bureaux, les fleurs, l'encens, le désinfectant.

Des étreintes, aussi, rassurantes, consolatrices, avec les épouses, les enfants, les sœurs, les amis, les collaborateurs. Et le froid du marbre gris où, pour toujours, le nom de nos quatre collègues a été gravé.

Et puis, ne nous le cachons pas, nous aurons également toujours en nous le visage de l'auteur, qui était aussi des nôtres.

Tout cela est désormais en nous, avec nous. Pourtant, dès le lendemain, les femmes, les hommes sont revenus ; hésitants, ils ont repris possession des lieux. Résilience, certes, mais aussi détermination à poursuivre leur mission au service de la République, chacun à sa place, toujours debout, présent, encore et encore, pour lutter sans relâche contre toutes les formes de menace.

Je le dis devant vous, du fond du cœur : je suis fière d'être leur chef, et nous leur devons le respect.

Après avoir évoqué ces éléments personnels, humains, je souhaite à présent revenir brièvement sur l'originalité de la DRPP au sein de la communauté française du renseignement. La compétence de la direction du renseignement de la préfecture de police couvre Paris et les trois départements de la petite couronne ainsi que les deux plateformes aéroportuaires – ce que je vous dis est couvert par le secret de la défense, mais je tiens tout de même à vous apporter cet éclairage. Pourquoi ce service est-il original ? En 2008, après la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – une partie des Renseignements généraux (RG) fusionnant avec cette direction, une autre partie étant affectée à la direction centrale de la sécurité publique –, la préfecture de police a créé une direction du renseignement dont le mode de fonctionnement est demeuré particulier, car très lié à la menace parisienne.

Ce service, dont je suis à présent la directrice, présente l'avantage d'être entièrement intégré dans la structure pyramidale de la préfecture de police, au même titre que les autres directions actives de la préfecture de police et d'avoir, en outre, un fonctionnement intégré qui lui confère en quelque sorte une double attribution : l'une est proche de celle du service central de renseignement territorial (SCRT), l'autre ressemble à celle de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), même si la DRPP ne couvre pas l'ensemble du spectre des compétences de ces deux services nationaux.

Au plan du management, et c'est très important, j'ai une autorité directe sur les services territoriaux de l'agglomération parisienne, des trois départements de la petite couronne et des aéroports. Ces services dépendent directement de moi, et non pas du préfet du département ou du directeur territorial de la sécurité de proximité (DTSP), en l'occurrence, à Paris, du directeur territorial de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DTSPAP). En ma qualité de directrice d'un service actif, j'ai un pouvoir en matière de management, de recrutement, donc de choix de mes effectifs – je ne dépends pas d'une autre direction.

En matière de renseignement territorial (RT), notre mission concerne ce que j'appellerai, pour le dire vite – je pourrai entrer dans le détail si cela vous intéresse –, le renseignement d'ordre public : nous prenons en compte et analysons, au plan social et sociétal, la menace que représente l'ensemble des mouvements sociaux et sociétaux dont les revendications viennent s'exprimer à Paris. Or, on l'a constaté pendant de nombreux week-ends au cours de cette année, la contestation sociale se manifeste principalement, dans sa dureté et sa récurrence, dans la ville capitale, ce qui est normal puisqu'elle est le siège de nos institutions.

J'ouvre une parenthèse. En tant qu'elle est intégrée dans l'ensemble que forment les directions actives de la préfecture de police, notre direction ne traite pas certaines matières. Tel est le cas, par exemple, des violences urbaines, qui relèvent du service de la préfecture qui a les capteurs les plus appropriés dans ce domaine, c'est-à-dire la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP). Ainsi, mon service ne reprend pas les éléments d'un autre service pour les analyser. C'est, du reste, un reproche qui nous était adressé à l'époque des renseignements généraux, car les statistiques de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), d'un côté, les notes d'analyse des RG, de l'autre, n'étaient pas toujours tout à fait « raccord ».

Quant à la sécurité intérieure (SI), elle relève, grosso modo, de deux pôles. Le premier, qu'on a voulu très proche du terrain de l'agglomération parisienne, est au plus près de la menace endogène, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme. Dans ce domaine, nous couvrons le spectre large : il existe un véritable continuum de renseignement, depuis notre travail sur le communautarisme jusqu'aux faits de prévention du terrorisme, en passant par la radicalisation. Nous couvrons ainsi à la fois le bas du spectre, comme le SCRT, et le haut du spectre, comme la DGSI – je pourrai, si vous le souhaitez, vous détailler la manière dont tout cela s'articule.

Ensuite, parce que Paris est la ville capitale, qu'elle est la ville des ingérences, des ambassades et des représentants des oppositions dans de nombreux pays, un second pôle est consacré aux agitations liées à la politique internationale. Nous ne nous occupons pas de contre-espionnage, comme la DGSI, mais nous avons des capteurs ouverts sur le travail, l'ordre public des oppositions, l'activité des ambassades et de certains de leurs personnels dans la capitale, les institutions… Nous sommes en quelque sorte des primo-capteurs : nous récoltons des éléments que nous transmettons à la DGSI.

Par ailleurs, nous effectuons un travail considérable, lié à notre compétence en matière d'ordre public, sur les mouvements politiques à risque ; je pense notamment aux mouvances de l'ultragauche et de l'ultradroite. En la matière, nous exerçons une compétence particulière dès lors que les groupes en question sont essentiellement parisiens.

Voilà, brossé à grands traits, le portrait de ma direction. Pour accomplir ces différentes missions, je travaille avec environ 780 fonctionnaires, de tout grade et de tout corps, des agents administratifs mais aussi des contractuels, que j'ai souhaité recruter depuis que je suis arrivée, en 2017, afin qu'ils nous aident à développer nos capacités d'analyse, le tout au service, évidemment, du préfet de police et du ministère de l'Intérieur.

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