Intervention de Bernard Boucault

Réunion du mercredi 6 novembre 2019 à 15h05
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Bernard Boucault, préfet de police, préfet de la zone de défense de Paris du 31 mai 2012 au 9 juillet 2015 :

Avant de répondre à vos questions je voudrais vous dire quelques mots sur la préfecture de police de Paris que j'ai eu l'honneur de diriger pendant trois ans exactement, du 8 juin 2012 au 15 juillet 2015.

Comme sans doute beaucoup de mes prédécesseurs et successeurs, je suis très attaché à cette maison. Aussi ai-je été profondément touché par le terrible drame qui s'y est déroulé.

J'étais présent lors de l'hommage qui a été rendu aux victimes dans la cour du 19-Août, lieu très solennel de la préfecture de police. Et je me remémorais à ce moment-là une cérémonie de même nature de janvier 2015, qui s'était tenue dans le même lieu pour saluer la mémoire de trois policiers tombés sous les balles des terroristes.

Les personnels de la préfecture de police partagent tous un fort sentiment d'appartenance à leur maison. Celle-ci est une institution très originale, une création napoléonienne qui fait partie de ces « masses de granit » qui ont été « jetées sur le sol de la France ».

Une réelle cohésion les unit, au-delà de la variété des métiers qu'ils exercent. Il existe une réelle solidarité entre ces femmes et ces hommes. Et, je dois le dire aussi, au-delà des épreuves que nous pouvons traverser, nous trouvons parfois une véritable ambiance familiale dans les services.

Il est important de prendre en compte ce contexte pour analyser ce qui a pu se passer.

Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions qui m'ont été posées en amont de la présente audition, car j'ai quitté la préfecture de police et le service actif il y a un peu plus de quatre ans. Je n'ai pas emporté de dossier. Mes supérieurs hiérarchiques m'ont appris que les archives appartenaient à l'État et qu'il fallait les déposer.

J'ai fait appel à ma mémoire et aux quelques notes que j'avais pu prendre sur quelques cahiers de réunion pour m'efforcer d'y répondre.

La première question qui m'a été posée était la suivante : « Avez-vous eu connaissance de comportements inappropriés de l'auteur de l'attentat lorsque vous étiez préfet de police ? » Non, je n'ai pas eu connaissance de tels comportements. La préfecture de police de Paris employait alors environ 45 000 personnes. C'est un véritable commandement, mais il est impossible, bien évidemment, de connaître chaque personne.

Néanmoins, si des faits étaient survenus, ils m'auraient été signalés. Or je n'ai pas eu connaissance de tels comportements.

La deuxième question était la suivante : « Comment expliquez-vous que le signalement des propos de l'auteur de l'attentat relatifs à Charlie Hebdo n'ait pas été transmis au niveau hiérarchique adéquat et n'ait laissé aucune trace ? »

Vous me permettrez de ne pas répondre à cette question. Seule l'enquête, en effet, aidera à y répondre. Seule l'enquête dira s'il s'agissait d'un acte terroriste ou d'une crise aiguë de démence.

Ayant quitté, de plus, la préfecture de police depuis longtemps, je ne pourrai pas vous donner d'informations particulières.

La troisième question était la suivante : « Quelles mesures avez-vous prises au sein de la préfecture de police pour détecter des agents présentant des signes de radicalisation ? »

La préfecture de police est organisée pour faire face à ce risque de radicalisation. Mais il est important de se replacer dans le contexte de l'époque. J'ai pris mes fonctions en 2012. Or c'est à partir de 2014 que des dispositifs se sont mis en place et ont été développés, améliorés et enrichis au fil des années.

Je ne vous raconterai pas toute l'histoire de cette mise en situation et des actions mises en œuvre pour gérer ce risque. Toutefois, un certain nombre de mesures ont été prises pendant ma période de commandement.

Tout d'abord, au niveau national, il faut citer la création du Centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation violente (CNAPR) qui a conduit au lancement de plusieurs procédures qui se sont développées dans le temps en fonction des événements et des instructions ministérielles.

Il se trouve que j'avais créé au sein de mon cabinet un service de prévention de la délinquance, que j'avais confié à une conseillère technique, Élise Lavielle, qui avait choisi ce poste à la sortie de l'École nationale d'administration (ENA). C'était d'ailleurs la première fois que l'ENA offrait un poste à la préfecture de police.

Elle a fait un très bon travail, en liaison avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

Tout naturellement, lorsque les premiers attentats sont survenus et une fois le CNAPR mis en place, elle a été chargée de la gestion des appels. Il s'agissait de donner des conseils et d'être en relation avec les familles. De nombreuses questions avaient trait à des départs en Syrie, ou plus généralement à la situation d'enfants radicalisés.

Cette cellule qui faisait partie de mon cabinet et dont j'ai suivi les travaux de près s'est donc beaucoup occupée de cette question, mais plutôt sur le plan de la sensibilisation et du conseil à l'égard des familles dont les cas nous étaient présentés.

Pour répondre plus directement à la question qui m'a été posée, dès mon arrivée, j'ai animé personnellement une autre institution de la préfecture de police que l'on appelle le « groupe terro », qui doit être toujours active aujourd'hui. Ce groupe se réunissait chaque vendredi matin.

Au sein de la préfecture de police, se tiennent des réunions dites « réunions du rapport » les lundis, mercredis et vendredis. Ces réunions rassemblent tous les services actifs de police. La réunion « terro » réunissait quant à elle la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (DPJ) et la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) pour faire le point sur les dossiers en cours.

Il s'agissait là du haut du spectre, en quelque sorte. Cette réunion traitait en effet de cas de personnes ayant fait l'objet de signalements suffisamment consistants, dont nous suivions très étroitement le parcours et les procédures engagées à leur égard.

Un deuxième organisme s'est créé lorsque j'étais préfet de police. Il s'agit des groupes d'évaluation départementaux (GED), qui existent dans tous les départements. Un GED a été mis en place au sein de la préfecture de police en vertu d'une décision interministérielle. Il se réunissait chaque semaine, le plus souvent sous la présidence du directeur de cabinet du préfet de police. Il associait la DRPP, la DPJ et la DSPAP. Le Parquet a pu également participer à ces réunions.

Dans le cadre de ces deux instances a pu être évoqué à quelques reprises le cas de fonctionnaires de police dont les fréquentations ou les comportements apparaissaient inappropriés. Ces cas étaient très peu nombreux et étaient signalés par la DRPP aux deux plus grandes directions, par les effectifs, de la préfecture de police : la DSPAP – 23 000 personnes – et la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) – 5 000 personnes.

Après examen, ces cas ont motivé des procédures disciplinaires engagées par le secrétariat général pour l'administration de la police (SGAP) en lien avec le directeur des ressources humaines (DRH).

Je précise que je n'ai pas connu la suite de ces procédures. Des statistiques pourront vous être données à ce sujet, mais pour ma part je n'en ai pas.

À titre d'exemple, le directeur de la DRPP avait repéré un gendarme qui avait de mauvaises fréquentations et était à ce titre considéré comme susceptible d'être radicalisé. Le jour de la réunion où ce cas a été mentionné, j'ai appelé personnellement le directeur de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) pour lui donner les informations dont je disposais. Cette affaire a ensuite été réglée extrêmement rapidement.

Pour mémoire, une autre instance a été mise en place avant même les instructions interministérielles, car j'avais été sollicité par les entreprises de transport et par des bailleurs sociaux confrontés à des phénomènes de radicalisation dans leurs locaux et résidences. Cette instance avait pour but de favoriser les échanges d'expériences et de donner des conseils utiles à des organismes chargés d'un service public – comme la SNCF, notamment, et la Ville de Paris.

Au-delà des réunions du rapport qui portent sur les missions fondamentales de la préfecture de police se tenait également chaque mois une réunion de l'ensemble des directeurs de la préfecture de police, y compris le général commandant la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), où la question de la radicalisation des personnels de la maison a aussi été évoquée.

La quatrième question qui m'a été posée était la suivante : « Pourquoi ne pas avoir mis en place un référent radicalisation ? »

Ma conviction est qu'en cette matière le bon échelon est celui du niveau hiérarchique le plus proche – celui qui vit avec les agents et qui est en mesure d'effectuer une première évaluation d'une éventuelle radicalisation et de la transmettre à sa hiérarchie.

Je vois bien l'intérêt d'un référent. Mais je crains que, telle que je connais la préfecture de police – je ne sais pas si elle est toujours ainsi aujourd'hui, mais sans doute est-ce le cas – il ne soit pas très sollicité. Dans le cas précis qui nous occupe, même si nous ne pouvons pas en avoir la certitude, je ne suis pas sûr qu'un tel référent aurait pu changer les choses. L'échelon de proximité, c'est le premier échelon de la hiérarchie.

La cinquième question qui m'a été posée était la suivante : « Pensez-vous que le risque d'avoir des agents radicalisés possiblement dangereux au sein de la préfecture de police a été suffisamment pris en compte ? »

Il m'est difficile de répondre à cette question au vu du cas qui nous occupe, tant que nous ne savons pas quel est le processus qui a conduit l'auteur de l'attaque à ce terrible acte criminel. Radicalisation ou crise aiguë de démence – l'enquête tranchera cette question.

S'agissant du nombre de cas de radicalisation détectés lorsque j'étais en fonction au sein de la préfecture de police de Paris, je n'en ai pas un souvenir exact. Mais ils étaient très peu nombreux – trois, quatre ou cinq. Comme je l'ai signalé plus haut, nous étions au début de la mobilisation portant sur cette question. Nous étions d'ailleurs surtout concentrés sur ce qu'il se passait à l'extérieur de la maison.

La septième question qui m'a été posée était la suivante : « Quelles mesures avez-vous demandées à l'égard des agents présentant des signes de radicalisation ? »

Je n'ai pas le souvenir de décisions prises. Ces cas ont été réglés après mon départ de la préfecture de police le 15 juillet 2015.

De même, la question « La préfecture a-t-elle dû procéder à des réintégrations à la suite d'annulations ? » est pour moi sans objet. Aucune décision n'avait encore été prise par les instances, quelles qu'elles soient – instances disciplinaires ou autres – au moment de mon départ.

Concernant la mesure prévue par l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure, elle me semble tout à fait pertinente. Peut-être n'est-elle pas suffisamment utilisée. Mais il est vrai que les spécificités de la procédure disciplinaire ne sont pas toujours adaptées à des situations où il faut agir rapidement, sur la base d'évaluations établies dans un domaine bien précis par les services spécialisés. Des contentieux sont en outre toujours susceptibles de survenir. Je pense néanmoins que la mesure prévue par cet article pourrait être davantage utilisée, si tant est qu'elle ne le soit pas suffisamment aujourd'hui.

La dixième question qui m'a été posée était la suivante : « Les vérifications et enquêtes conduites au moment de l'entrée dans la police paraissent-elles suffisantes ? » Je ne suis plus assez « dans le coup », si vous me permettez cette expression, pour répondre de façon utile à cette question.

S'agissant de la question de savoir si les agents de la préfecture de police sont suffisamment sensibilisés et formés à la détection et à la prévention de la radicalisation, des formations ont commencé à être organisées en 2015 mais elles sont intervenues pour l'essentiel après mon départ. Il est vrai que nous pouvons toujours faire mieux dans ce domaine.

Parmi les réformes que j'ai effectuées au sein de la préfecture de police figurait d'ailleurs la réforme de la formation. La formation était répartie auparavant dans les directions. Chaque direction de service actif disposait donc de son propre service de formation. À mon arrivée, après plusieurs années passées à la tête de l'ENA, j'ai été surpris par l'absence de plan de formation horizontal, interdirectionnel, concernant l'ensemble de la préfecture. Les formations étaient essentiellement des formations « métiers » rattachées aux directions.

J'ai donc entrepris de rapatrier les personnels dispersés dans les directions au sein d'une sous-direction de la formation, afin de mettre en œuvre une véritable politique de formation faisant l'objet d'un programme annuel adopté par les instances compétentes.

Cette réforme a très bien fonctionné, grâce d'ailleurs aux formateurs eux-mêmes qui regrettaient d'être cantonnés chacun dans une direction et se félicitaient de pouvoir identifier et mettre en œuvre des politiques de formation communes à l'ensemble de la préfecture de police.

Cette réforme rend possible un effort conséquent de formation sur la question de la radicalisation au sein de la préfecture de police.

Quant à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), je dois dire qu'elle était assez peu présente sur le sujet à l'époque où j'étais préfet de police. Mais je crois que les choses ont changé aujourd'hui. En tout cas, il est certain que l'IGPN est bien placée pour faire des retours d'expérience et établir des référentiels dont les services pourront tirer le plus grand profit.

Je suis très content par ailleurs de pouvoir répondre à la question portant sur le partage de l'information dans le domaine du renseignement. En effet, je lis parfois sur ce sujet des articles qui ne me paraissent pas correspondre du tout à la réalité.

Le partage de l'information, j'ose le dire, est exemplaire au sein de la préfecture de police. Et je vais dire pourquoi. Une excellente coopération existe entre les deux directions de service actif les plus concernées, la DPJ et la DRPP – notamment sur le problème de la radicalisation. Cette coopération implique également la DSPAP, qui peut recueillir des signaux faibles. Les 23 000 policiers qui travaillent dans les commissariats peuvent en effet collecter de nombreuses informations méritant d'être exploitées.

Ces trois services qui se réunissent au moins trois fois par semaine, si ce n'est pas tous les jours dans le bureau du préfet de police, ont l'habitude de travailler ensemble. Et les informations circulent. Cela tient au commandement unique intégré de la préfecture de police, qui constitue une véritable force pour notre pays.

J'ai d'ailleurs reçu de nombreuses visites de délégations étrangères impressionnées par ce modèle d'organisation, et par l'existence d'un commandement unique intégré de 45 000 personnes dans la capitale.

J'en viens à présent aux relations de la DRPP avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

L'organisation que j'ai connue en la matière me semble également exemplaire. En effet, la DRPP transmet toutes les notes d'information en temps réel à la DGSI. De plus, un officier de liaison de la DRPP était installé de mon temps – je pense que c'est toujours le cas – dans les locaux de la DGSI. Il n'y était pas pour faire de la figuration ! Son rôle était de transmettre des éléments au-delà des notes d'information. Or ces éléments pouvaient porter sur la détection de radicalisations djihadistes.

La DGSI à son tour a envoyé un officier de liaison à la DRPP. Or cet officier ne peut pas être plus près du sous-directeur chargé du renseignement intérieur (RI) à la préfecture de police puisque son bureau jouxte le sien.

Avec la transmission constante des documents et des informations et l'entretien de contacts humains facilité par la présence d'un officier de liaison dans chacune des deux directions, nous disposions à mon sens d'un maximum de garanties. À cela s'ajoutait un échange d'informations ponctuel avec le directeur de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Cet échange pouvait être effectué à mon niveau personnel ou par le directeur du renseignement si cela s'avérait utile, afin de comparer les informations portant sur les théâtres d'opérations avec celles que nous pouvions avoir sur ce qu'il se passait en France du côté des gens que nous surveillions.

Je dois dire à ce propos que la DRPP constitue à mon sens le seul exemple de direction du renseignement qui traite à la fois le RI et le renseignement territorial (RT).

Je ne reviens pas sur les conséquences de la réforme de 2008 qui a séparé ces deux dimensions et affaibli surtout le renseignement territorial. Je crois qu'il y a un certain consensus sur ce point.

Au sein de la préfecture de police de Paris nous bénéficions donc de la fertilisation croisée, si je puis dire, du renseignement territorial et du renseignement intérieur. Je pense qu'il s'agit d'une force.

Concernant les liens avec les services de la grande couronne, comme vous le savez le préfet de police a une responsabilité en tant que préfet de zone. Le dispositif zonal a commencé à s'installer avant mon départ. Mais il n'était pas encore opérationnel lorsque j'ai quitté mes fonctions. La question, importante, de l'identification du référent zonal n'était en effet pas encore réglée. Le DSPAP pouvait-il être le référent zonal de toutes les directions départementales de la sécurité publique (DDSP) de la région Île-de-France ? Cela soulevait des problèmes culturels difficiles à résoudre. De même, le directeur du renseignement pouvait-il être le référent zonal auprès du préfet de police des services du renseignement intérieur de la petite comme de la grande couronne ?

Je ne sais pas comment tout cela a été réglé. Mais ce sujet a pu compliquer les choses. J'espère en tout cas que cette question a été réglée depuis lors.

La question quatorze portait pour sa part sur la durée des habilitations. Ce sujet mérite sans doute d'être approfondi, mais je ne suis pas convaincu par l'efficacité d'un changement de cette durée, qui alourdira d'une certaine façon la charge administrative correspondante. En revanche, l'augmentation des contrôles inopinés me semble nécessaire. Cette solution pourrait contribuer au renforcement de notre efficacité.

Enfin, la dernière question était la suivante : « Quelles pourraient être les pistes de réforme pour mieux lutter contre la radicalisation chez certains fonctionnaires de police ? » Dans le prolongement de ce que j'ai indiqué plus haut, je répondrai : la formation, encore la formation, toujours la formation.

Je crois que nous avons les moyens de répondre à cette nécessité. Sur cette question, nous n'avons sans doute pas assez fait lorsque j'étais à la préfecture de police. Mais, comme je l'ai dit, les circonstances n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. Je pense néanmoins que nous avons les outils nécessaires pour développer des formations à partir des référentiels disponibles actuellement sur les critères de radicalisation, et mettre les échelons hiérarchiques de tous les niveaux en mesure d'exercer pleinement leurs responsabilités.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.