Intervention de Véronique Louwagie

Séance en hémicycle du lundi 4 décembre 2017 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie :

La réforme se veut un facteur de simplification ; or elle ne fait, en réalité, qu'ajouter des complexités et des difficultés. L'administration fiscale et les services de Bercy l'ont eux-mêmes reconnu à demi-mot. La procédure retenue ne doit pas être négligée ; car c'est tout le système de consentement à l'impôt qui est ici touché. Il est question d'un principe directeur de la République et de la confiance des citoyens en elle. Le curseur de la relation entre l'État et les citoyens change complètement de position, en venant se placer sur l'entreprise qui devient, de ce fait, le collecteur de l'impôt sur le revenu. Le salarié percevra ainsi une rémunération nette non seulement de cotisations sociales, comme c'est le cas actuellement, mais également de l'impôt sur le revenu.

La retenue à la source rend le prélèvement presque invisible, inexistant. C'est là le problème : c'est bien parce que les citoyens peuvent mesurer le niveau de l'impôt qu'ils l'acceptent ou le contestent. Nous y voyons un changement inquiétant dans la prise en compte de l'imposition. Le secteur entier se voit remis en question, dans son fonctionnement comme dans ses objectifs. Pour assurer ces nouvelles charges, les employeurs vont en devenir, sous la contrainte, de nouveaux acteurs. Et quels acteurs, alors qu'on leur attribue un rôle qui n'est absolument pas le leur !

De pareils changements ont d'importantes conséquences. De l'aveu même de l'Inspection générale des finances, en comparaison avec un grand groupe, il en coûtera trois fois plus par salarié à une TPE. Le coût de la mise en place du prélèvement à la source est estimé entre 103 et 137 millions d'euros pour l'ensemble des TPE et entre 101 et 152 millions d'euros pour les PME. Ce coût est d'autant plus exorbitant pour la petite et moyenne entreprise qu'aucune compensation financière de la part de l'État n'est prévue. Ce sont les entreprises qui vont supporter le coût de la réforme.

Cette situation m'interpelle. Lorsque le recouvrement de l'impôt est opéré par l'État au profit des autres personnes publiques que sont les collectivités territoriales ou encore les établissements publics de coopération intercommunale, des frais de gestion sont bien prévus et perçus. Pourquoi n'en est-il pas de même à l'égard de l'employeur ? Si l'on ajoute à tout cela les frais que devront engager les entreprises pour se former, obtenir les logiciels adéquats et prévoir les risques financiers de sanction en cas d'erreur, nous ne simplifions pas la vie de nos petites et moyennes entreprises, puisque nous imputons à leur charge certaines obligations et contraintes.

Faire des entreprises une extension de l'administration est possible ; mais ce projet, tel que le Gouvernement l'annonce, est inconcevable. Il vient totalement dénaturer le coeur de l'objet de l'entreprise. Comment ne peut-on pas penser une seconde à l'impact que ces nouvelles obligations auront sur leur activité ? L'impôt est un élément essentiel au bon fonctionnement de l'État, et il ne saurait être viable sans une bonne exécution dans la procédure de recouvrement. Il faut se demander ce que nous voulons pour l'État et pour l'entreprise. À tous égards, il me semble que nous souhaitons tous un recouvrement correct de l'impôt, ainsi que la pérennité et le profit de l'entreprise.

C'est être aveugle de ne pas constater que ces deux ambitions ne peuvent être contenues en un seul et même acteur : l'une des missions empiétera nécessairement sur l'autre. Le Gouvernement le sait, puisqu'il a déjà prévu de sanctionner les entreprises qui ne procéderont pas correctement au recouvrement de l'impôt sur le revenu. Elles devront alors obligatoirement consacrer plus de temps à cette mission de recouvrement de l'impôt, au détriment des celles qui sont au coeur de leur métier et auxquelles elles s'étaient originellement consacrées.

Ce transfert de compétences est presque inéluctable ; car les sanctions qu'encourent les entreprises s'entendent jusqu'à la répression pénale. Bien que des allégements aient été consentis en commission des finances par M. le rapporteur général, que nous remercions, il n'en demeure pas moins que les entreprises sont traquées de bout en bout du processus. Cela va de l'amende minimale de 250 euros, en cas de défaillance déclarative, à des peines d'emprisonnement assorties de 15 000 euros d'amendes. Il est impensable de faire peser une si lourde charge sur les entreprises, et encore plus sur les TPE et les PME. Une telle position d'équilibriste ne peut être maintenue.

Pour les indépendants, le mécanisme retenu correspond à la mise en place d'acomptes avec des régularisations, une fois le résultat connu. De janvier à août, ils paieront les acomptes calculés sur l'année n– 2 ; et, de septembre à décembre, des acomptes calculés sur les revenus de l'année n– 1. Ce système, hélas, n'est pas sans rappeler celui du RSI, dont les régularisations en année n– 1 ou n– 2 ont été dramatiques pour les chefs d'entreprise. Nous ne devons pas retourner vers un système équivalent pour les artisans, les commerçants et les professions libérales, ni le développer pour les agriculteurs. Finalement, vous proposez, pour l'impôt sur le revenu, un système similaire aux anciennes procédures appliquées au RSI, lesquelles ont pourtant été si décriées pour le paiement des cotisations sociales. C'est aberrant.

Et que dire des relations que les employeurs auront avec leurs salariés ? Voire des relations entre salariés d'une même entreprise ? Quand bien même on imaginerait que le mécanisme de retenue à la source par les entreprises ne pose aucune difficulté technique et financière, c'est bien au niveau des relations au sein de l'entreprise que le bât blesse de nouveau, à deux égards. Dans une entreprise où deux salariés occupent le même poste et touchent le même salaire brut, le salaire net risque de ne pas être le même en raison de l'application d'un taux d'imposition différent.

Nous pouvons être certains que cela entraînera des difficultés d'appréhension et de compréhension, qui auront des conséquences sur la pérennité de l'entreprise et de l'emploi. Il me semble que le marché de l'emploi se trouve déjà en assez grande difficulté pour qu'on évite de lui enfoncer une nouvelle épine dans le pied. Bercy a certes envisagé la possibilité d'appliquer un taux neutre, qui soit forfaitaire. J'y vois là une autre faiblesse du mécanisme que le Gouvernement veut imposer. Si l'intention y est, l'utilisation de ce taux forfaitaire risque de créer des problèmes et semble vouée à l'échec.

En prenant pour référence une personne célibataire, sans enfant à charge, le taux forfaitaire se trouve bien loin de la réalité de beaucoup de contribuables. L'utilisation de ce taux sera presque toujours défavorable aux contribuables et ne revêtira aucun intérêt, puisqu'il revient à renoncer à la demi-part fiscale des enfants. En conséquence, le salarié se voit quasiment dans l'obligation de transmettre ses informations personnelles et familiales à son entreprise. Visiblement, le Gouvernement ne s'émeut pas de la protection de la vie privée, ni des impacts possibles sur la vie professionnelle. L'entière connaissance des informations du salarié, de sa situation familiale, risque d'influer sur sa carrière, son avancement et sa rémunération.

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