Intervention de Marc Le Fur

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur, rapporteur pour avis :

Effectivement, monsieur le président, j'ai été désigné rapporteur pour avis il y a déjà un certain temps ; j'ai donc pu travailler durant l'été. Nous allons employer des mots qui peuvent prêter à confusion : pour que chacun comprenne bien de quoi il s'agit ici, je m'appuierai donc sur la carte suivante.

L'accord dont il s'agit concerne les huit pays qui sont en bistre, à savoir les États membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui constituent donc une zone monétaire. Les pays hachurés – parmi lesquels figurent aussi les huit pays que j'évoquais – appartiennent à la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui est une union commerciale. Certes, la comparaison avec l'Europe n'a pas beaucoup de sens, mais il y a là aussi, d'un côté, une union monétaire – celle dont nous allons parler – et, de l'autre, une union commerciale, dont sont membres également les États membres de l'union monétaire. Plus à l'est, en vert, vous voyez une autre union monétaire, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), qui n'est pas concernée par l'accord, mais qui est, à bien des égards, très comparable à l'UEMOA.

Telles sont les quelques précisions géographiques que je voulais donner, afin que notre échange soit aussi renseigné que possible.

La commission des finances est saisie pour avis d'un projet de loi autorisant l'approbation d'un accord de coopération entre la France et les États membres de l'Union économique et monétaire ouest-africaine.

Comme je le disais, il existe plusieurs zones monétaires différentes liées à la France et à l'euro. La zone de la CEMAC n'est pas concernée par l'accord, même si elle utilise elle aussi un franc de la communauté financière africaine, le franc CFA d'Afrique de l'Est. Des accords de même nature existent également avec l'Union des Comores.

Ces zones fonctionnent selon des logiques très comparables : un taux de change fixe avec l'euro ; une garantie de convertibilité du franc CFA avec l'euro accordée par le Trésor français ; en contrepartie de cette garantie, l'obligation pour les banques centrales – chaque zone en a une et elles disposent de filiales dans les pays membres – de centraliser une partie de leurs réserves en France ; la présence de la France au sein des institutions de gouvernance. Notre pays joue donc un rôle de garant financier de la valeur du franc CFA.

Un accord est intervenu, sur l'initiative, en particulier, du président de la Côte d'Ivoire – M. Ouattara – et du Président de la République française. Il prévoit un certain nombre d'évolutions qu'il nous est demandé d'approuver – ce que je vous proposerai d'ailleurs de faire. La réforme supprime l'obligation de dépôt des réserves de change, acte le départ de la France des organes de gouvernance de la zone et modifie le nom de la monnaie, qui devient l'eco.

L'approbation de l'accord est le préalable à la diffusion de la nouvelle monnaie, pour laquelle aucune date précise n'a d'ailleurs été avancée. C'est un exercice compliqué, car il va falloir procéder à des échanges pour les titulaires de francs CFA.

La suppression de l'obligation de dépôt des réserves de change est une des grandes affaires de la réforme. La banque centrale de l'UEMOA dispose d'un compte d'opérations ouvert auprès du Trésor français. L'obligation de dépôt était conçue comme une contrepartie de la garantie apportée par la France. En cas de déséquilibre, le compte d'opérations de la banque centrale peut être débiteur ou à découvert. Dans ce cas, la France prête des euros afin que cette banque puisse faire face à ses engagements externes et continuer d'assurer la parité du change avec l'euro. L'accord supprime donc le compte d'opérations mais pas la garantie française.

Le niveau des dépôts est très variable – il change au jour le jour. En 2019, il était en moyenne de 7,5 milliards d'euros. Les dépôts sont rémunérés au taux de 0,75 %, ce qui a occasionné pour le Trésor français une dépense de l'ordre de 40 millions d'euros en 2019. Les banques centrales des trois zones ont donc plutôt intérêt à placer cet argent auprès du Trésor français. Bien entendu, la fin des dépôts met également un terme à la rémunération ; c'est un petit effet d'économie.

L'obligation de dépôt est critiquée par certains, mais ce n'est en rien une clause léonine, précisément du fait de la rémunération. D'aucuns disent aussi que ce mécanisme permet à la France de supporter une partie de sa dette ; en réalité, les sommes en jeu sont très peu importantes par rapport au montant de la dette française, et même en comparaison des dépôts des collectivités territoriales françaises – car celles-ci ont elles aussi l'obligation de déposer leurs disponibilités auprès du Trésor. Quoi qu'il en soit, le dispositif pouvait effectivement, à certains égards, apparaître comme anachronique.

L'accord, je le disais, prévoit également le retrait de la France des instances de gouvernance, où elle était très minoritaire et ne possédait en aucun cas de droit de veto.

Le débat autour de l'accord et des évolutions qu'il prévoit est aussi l'occasion d'examiner les effets économiques du franc CFA : quel est, au fond, l'intérêt de cette zone monétaire ?

D'abord, tout le monde ne le sait peut-être pas, mais les huit pays de la zone franc d'Afrique de l'Ouest ont connu depuis 2012 un taux de croissance important – 6 % en moyenne –, de la même manière qu'ils avaient déjà, globalement, échappé à la crise de 2008, et ce en dépit des effets très importants des crises militaires, voire des guerres civiles qui affectent un certain nombre d'entre eux – par exemple le Mali, même si c'est l'un des moins importants en termes économiques.

Ensuite, l'inflation est très faible dans cette zone, ce qui rend possibles les transactions.

Enfin, la valeur de la monnaie est protégée. C'est un peu le contraire de ce qui se passe au Liban, où la valeur de la monnaie s'est effondrée et où prospère un marché noir des devises. Ce n'est pas du tout le cas en Afrique de l'Ouest : s'il y existe aussi un marché noir des devises, celui-ci est assez réduit et le différentiel est très faible, précisément du fait du contrôle des changes. La monnaie conserve sa valeur, ce qui est objectivement intéressant, en particulier pour les gens relativement modestes : quand ils ont quelques billets en poche, ils ont la garantie que ces derniers auront toujours la même valeur les jours suivants.

Ce constat peut être dressé alors même que, dans la plupart des pays d'Afrique, il existe un taux de change fixe, comme dans la zone franc d'Afrique de l'Ouest : de ce point de vue, celle-ci ne présente pas de singularité.

Les pays ont plutôt trouvé leur compte dans le système car ils auraient très bien pu quitter le franc CFA, à l'image de ce qu'avaient fait, au moment des indépendances, la Guinée et le Mali – ce dernier étant revenu par la suite – et la Mauritanie en 1972. La Guinée-Bissau, quant à elle, est dans une situation très particulière, car cette ancienne colonie portugaise a rejoint la zone franc CFA.

La réforme vise donc à conserver l'essentiel, c'est-à-dire une monnaie commune aux huit pays, ce qui est une occasion de commerce intéressante, et la garantie de la France, élément de stabilité jugé très précieux.

Si l'on se projette au-delà de l'accord qui nous occupe, il faut aussi avoir présent à l'esprit le fait que, comme je vous l'expliquais, les huit pays concernés font partie d'une zone commerciale plus large, la CEDEAO. Or, non seulement les pays membres de cette organisation sont dans une logique d'union commerciale – même s'il y a des droits de douane –, mais ils ont officiellement, et depuis longtemps, la volonté de se diriger vers une monnaie commune. Il faut donc se poser dès à présent la question suivante : que deviendra l'ancien franc CFA d'Afrique de l'Ouest, devenu eco, dans cette logique plus générale ? Cela peut poser des problèmes assez importants, notamment dans la mesure où l'un des pays de la CEDEAO est particulièrement important : le Nigeria compte la moitié de la population et représente plus de la moitié de l'activité économique de la zone et, à la différence des autres, il est très lié au pétrole, dont les cours sont extrêmement erratiques. Comment, à l'avenir, sera-t-il possible de concilier une monnaie issue du franc CFA, qui s'appellera l'eco, et une monnaie plus générale, qui d'ailleurs avait vocation à porter le même nom ? C'est une petite difficulté qui n'a pas été tranchée. Globalement, les huit pays de la zone monétaire ne se précipitent pas vers une union monétaire générale, du fait essentiellement du poids relatif du Nigeria. Mais, en tout état de cause, il faut avoir présent à l'esprit cette préoccupation, comme c'est le cas des responsables africains dans leur ensemble.

Pour conclure, je considère que l'essentiel est conservé par l'accord, c'est-à-dire la crédibilité de la garantie de la France ; l'existence d'une zone monétaire qui fédère ces pays et leur permet d'avoir une activité commerciale, en dépit des difficultés multiples qu'ils rencontrent ; la stabilité et l'absence d'inflation, ce qui est un avantage certain pour leurs ressortissants. En outre, les évolutions que l'accord prévoit sont souhaitées par les pays africains, tout au moins certains d'entre eux – plus spécialement la Côte d'Ivoire, qui a été très allante. Notre commission émet seulement un avis sur ce projet de loi de ratification : je m'autorise à dire que le mien est favorable. Je rappelle également que, comme pour tout accord international, le texte n'est pas susceptible de faire l'objet d'amendements autres que de suppression.

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