Intervention de Antoine Frérot

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 11h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Antoine Frérot, président-directeur général de Veolia :

Où en sont nos relations avec Engie ? Nous lui avons fait une offre il y a maintenant plus de trois semaines, à la suite de l'annonce qu'elle avait faite un mois auparavant. Cette offre est valable jusqu'au 30 septembre. Engie l'étudie, puisqu'elle a publié, la semaine dernière, un communiqué de presse indiquant que cette offre l'intéressait mais devait être améliorée, et qu'elle attendait d'éventuelles autres offres pour prendre sa décision.

Pourrions-nous repousser la date de validité de notre offre ? Est-il impératif que nous obtenions une décision d'Engie avant le 30 septembre ? Je réponds clairement : je ne repousserai pas la date de validité de mon offre car, oui, il est urgent de décider.

Tout d'abord, les deux mois qui, fin septembre, se seront écoulés depuis l'annonce d'Engie me semblent suffisants pour évaluer l'offre qui lui est faite de racheter 29,9 % des actions de Suez. Surtout, il y a urgence. Chaque jour qui passe, Suez vend une nouvelle activité : hier, en Suède ; la veille, en Allemagne ; au mois d'août, une activité en France, que nous avons rachetée en urgence et qui emploie 3 750 personnes, soit 20 % des salariés de Suez Eau France. Et elle a annoncé, hier, aux marchés financiers que ces cessions allaient se poursuivre. Sur les 90 000 salariés de Suez, 13 000 ont été vendus depuis un mois et demi. Combien en restera-t-il à Noël ? Qui plus est, Suez a annoncé que l'argent de ses ventes lui permettrait de verser à ses actionnaires un dividende exceptionnel d'un milliard d'euros, et ce en pleine crise de la covid-19, alors que les entreprises se serrent les coudes pour tenir bon. Il y a urgence à arrêter cette hémorragie, cette politique de la terre brûlée !

Ensuite, cette opération concerne beaucoup de salariés : 170 000 chez Veolia, 77 000 désormais chez Suez, soit environ 250 000 personnes. L'incertitude de l'issue du projet que je défends ne peut pas être trop longue. J'aurais pu tenter de négocier avec Engie le rachat de ses 29,9 % ; j'ai souhaité mettre sur la place publique, dès le premier jour, le 31 août, le projet dans son entier, c'est-à-dire l'acquisition de 100 % de Suez, pour que le débat public puisse avoir lieu pendant tout un mois. Surtout, les 250 000 personnes concernées doivent pouvoir travailler dans un cadre moins incertain. C'est pourquoi il convient, me semble-t-il, de ne pas repousser ce délai.

Un employé de Suez pourrait-il se sentir bien chez Veolia ? Tout d'abord, les cultures professionnelles respectives des deux entreprises ne sont pas très éloignées. Nous nous faisons concurrence depuis des années, mais nous nous côtoyons, nous nous copions, nous avons même inventé ensemble le modèle, pour ce qui est des entreprises, de la délégation de service public. La pratique du métier n'est donc pas très différente, loin s'en faut. Du reste, lorsque nous affrontons d'autres entreprises non françaises, nous constatons que les différences de culture sont bien plus importantes entre Veolia et ces entreprises qu'entre Veolia et Suez.

J'en veux pour preuve deux types de situation, au moins. Premièrement, lorsque nous perdons, par exemple, un contrat d'eau au profit de Suez, ou inversement, les équipes de l'une rejoignent immédiatement l'autre. Ce fut le cas, l'année dernière, pour l'assainissement de Bordeaux, dans un sens, et pour l'assainissement de Toulouse, dans l'autre sens. Les salariés ont-ils rencontré le moindre problème pour s'acclimater à l'autre entreprise ? Non.

Deuxième exemple. Je vous ai dit qu'au mois d'août, Suez avait vendu 20 % de son activité eau en France. Si elle craignait tant que les cultures des deux entreprises ne puissent pas se mélanger, non seulement elle ne les aurait pas vendus à Veolia, mais elle ne se serait pas efforcée de convaincre les salariés de cette société de maintenance des réseaux d'assainissement, Osis, qu'ils seraient bien dans notre entreprise. J'ajoute que lorsque la direction de Suez, a demandé, il y a une dizaine de jours, aux salariés d'Osis de débrayer pendant deux heures dans toute la France pour protester contre le projet de Veolia, leurs délégués syndicaux ont publié un communiqué de presse et un tract dans lequel ils déclarent la chose suivante : il y a un mois, la direction de Suez nous demandait d'accepter de partir chez Veolia en nous assurant que nous y serions très bien. Nous avons posé nos conditions. Depuis, nous avons reçu des réponses ; Veolia tient ses engagements, ses conditions nous conviennent très bien. Aujourd'hui, la direction de Suez voudrait que nous débrayions pour ne pas rejoindre cette entreprise ? Nous ne mangeons pas de ce pain-là !

Veolia a l'habitude d'accueillir d'autres activités, et celles de Suez sont certainement, du point de vue de la culture, les moins éloignées.

Amicale ou hostile ? Il faut bien comprendre que le statu quo chez Suez n'est plus possible. Il y aura un nouveau projet, quel qu'il soit, puisqu'Engie va céder ses actions. Ce sera donc un projet – le mien est connu – contre un autre, que l'on ne connaît peut-être pas encore. En tout état de cause, il est illusoire de croire qu'on a le choix entre ne rien changer et continuer comme avant. Mon projet est ambitieux. Certes, il suscite des inquiétudes, puisqu'il prévoit de grands changements, mais je m'efforce d'y répondre.

Pourquoi un champion plutôt que deux ? Aujourd'hui, nous en avons deux mais, si nous ne les regroupons pas, dans vingt ans, nous en aurons zéro, mesdames, messieurs, car nous serons dépassés ; nous n'aurons pas eu le temps de regrouper nos forces et nos moyens. Face à nos concurrents étrangers, notamment chinois, l'amplitude de nos marchés intérieurs ne nous permettra pas de résister et de faire la course en tête. Si nous voulons avoir un champion dans vingt ans, c'est maintenant qu'il faut le constituer.

Tout à l'heure, j'ai évoqué l'urgence écologique. Elle n'est certes pas d'aujourd'hui, mais chaque jour, chaque année, elle se fait plus pressante et les populations y sont plus sensibilisées qu'elles ne l'étaient il y a quelques années. Par ailleurs, le plan de relance, qui fait une large place à l'écologie, constitue une opportunité pour proposer, là encore dans l'urgence, des solutions. Ce projet n'est donc pas à contretemps, ni à contre-emploi car c'est une bonne nouvelle pour les collectivités territoriales. Certes, elles peuvent être inquiètes de ne plus avoir le même choix qu'auparavant. Mais je suis persuadé que Suez Eau France aura, avec Meridiam, davantage de moyens qu'elle n'en a actuellement et que la concurrence sera au moins aussi vive. Le groupe réuni, Veolia-Suez, ce grand champion, proposera d'abord à toutes les collectivités locales françaises des solutions nouvelles de transformation écologique, des solutions françaises. Que ce soit en matière de recyclage, de diminution de la consommation d'énergie et d'efficacité énergétique, de qualité de l'air, d'agriculture et d'alimentation – lorsqu'il faudra nourrir 10 milliards de personnes avec moins d'eau, moins d'énergie et moins de sols si l'on ne veut pas déforester –, les collectivités françaises auront des solutions grâce au regroupement de nos forces.

Si je suis là aujourd'hui, c'est aussi pour m'engager devant vous et apaiser les craintes concernant l'emploi. Et je suis disposé, messieurs les présidents, à témoigner, dans quelques mois ou quelques années, de la tenue de ces engagements, que je suis prêt à écrire et à signer. Ils n'engagent que ceux qui les écoutent, me dites-vous. Mais, en matière sociale, le track record de Veolia est, je crois, reconnu. J'ai pour habitude de tenir mes engagements. Pendant le confinement, Veolia fut la seule entreprise à proposer à ceux de ses salariés qui étaient sur le terrain au titre des services essentiels de se faire tester, pour leur épargner la crainte de contaminer leur famille quand ils rentraient le soir chez eux. Je défends personnellement depuis des années une vision de l'entreprise proche de l'intérêt social introduit par la loi PACTE. J'étais isolé il y a quelques années mais, je suis heureux de le constater, j'ai réussi à convaincre.

Quid des salariés qui ne seront pas repris par Veolia ? Nous avons demandé à ceux qui reprendraient les activités que les autorités de concurrence nous obligeraient à céder de prendre les mêmes engagements que nous. Meridiam les a pris et vient de le confirmer. Ces engagements seront une condition sine qua non de la reprise des activités de déchets que nous devrons vendre. Le prix de cession, je l'ai expliqué, sera le dernier critère pris en compte, après les garanties sociales, le projet industriel et l'acceptabilité par les clients.

Martin Vial ne siège pas dans mon conseil d'administration, et je ne peux pas vous dire quel a été son vote au sein de celui d'Engie.

S'agissant des activités de traitement des déchets que nous devrons céder, nous sélectionnerons des repreneurs français, aux conditions que je viens d'évoquer. À ce propos, je rappelle que le projet que je propose dans le cadre de la vente par Engie de ses actions est 100 % français : Suez Eau France restera français, de même que Suez avec Veolia. Pour la souveraineté de notre pays, c'est un élément important, face à un début de dépeçage du groupe Suez.

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