Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 20 juillet 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice :

Je tiens d'abord à vous remercier, Madame la présidente, pour votre invitation à m'exprimer devant les membres de votre commission, c'est pour moi la première occasion – et si j'ai bien compris pas la dernière – d'exposer ce que sera l'action que je compte mener.

Lors de la passation de pouvoirs avec ma prédécesseure, que je salue également comme vous venez de le faire, j'ai confessé ne pas avoir de la justice une connaissance technocratique, je la connais humainement, intimement, charnellement, elle fait partie de mon ADN. J'ai décidé de m'engager auprès du Président de la République pour l'améliorer dans ce pays qui compte parmi les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme, souvent en raison de procès inéquitables.

Quelle est donc ma feuille de route pour les 600 jours à venir ?

Je veux agir pour que celles et ceux qui travaillent dans les juridictions, au sein de la protection judiciaire de la jeunesse et dans les services pénitentiaires, se sentent soutenus dans leur quotidien. Je veux agir, aussi, pour que les citoyens se sentent plus proches de leur justice et qu'ils comprennent mieux son fonctionnement.

Je suis tout d'abord favorable à ce qu'aboutisse enfin la réforme de l'article 65 de la Constitution. Elle permettra de soumettre les nominations des magistrats du parquet à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), et elle donnera à ce dernier un pouvoir de décision concernant leur discipline, comme c'est le cas pour les magistrats du siège. Un projet de loi constitutionnelle a été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat en 2016. La procédure requiert maintenant une adoption soit par référendum, soit par le Congrès. Ce choix appartient au Président de la République.

Je souhaite améliorer la justice de proximité. Il ne s'agit pas de rétablir les juges de proximité supprimés en 2017. À droit constant et dans les possibilités offertes par la loi de programmation et de réforme de la justice du 23 mars 2019, mon objectif est de faire en sorte que la justice soit rendue au plus près de nos concitoyens – par exemple par la tenue d'audiences foraines en plus grand nombre, mais aussi en utilisant les dispositions du nouvel article L. 212‑8 du code de l'organisation judiciaire autorisant la création de chambres de proximité. Je souhaite ainsi que les juges aux affaires familiales et les juges des enfants se déplacent dans les territoires, que les petits délits soient rapidement jugés au plus près du lieu de leur commission, et qu'un effort particulier soit fait pour entendre les victimes. Cela nécessitera des renforts en personnel ; la loi de programmation me permettra d'obtenir un budget conforme à mes ambitions.

Je souhaite aussi développer sur tout le territoire les bonnes pratiques émanant des agents, qui doivent bénéficier à tous, afin de changer leur quotidien et celui des justiciables.

Je veux faire évoluer l'enquête préliminaire qui devient trop souvent une enquête éternelle sans contradictoire. La détention provisoire, parfois nécessaire, doit rester exceptionnelle.

Je compte travailler sur la présomption d'innocence et le secret de l'enquête. Il faut associer les journalistes à cette réflexion. La justice ne se rend ni dans la rue, ni sur les réseaux sociaux, ni dans les médias. L'honneur des hommes ne doit pas être jeté aux chiens.

Je compte mener à terme ce qui a été commencé et qui va dans le bon sens : le projet de loi relatif à la bioéthique, le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée, l'ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

En matière civile, la réforme du divorce va entrer en vigueur le 1er janvier 2021 ; je serai attentif à sa bonne application.

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », s'est penchée sur la régulation économique des professions réglementées. Il faut aussi s'intéresser à la régulation professionnelle, notamment à la déontologie.

Je poursuivrai les efforts entamés grâce au plan immobilier pénitentiaire pour améliorer la condition des personnes dans les prisons : celle du personnel de l'administration pénitentiaire, qui peut être assuré de mon soutien indéfectible, et celle des prisonniers, souvent inhumaine et dégradante. La population carcérale n'a jamais affiché un taux aussi bas depuis des années, ce qui permet de mieux travailler ; il faut qu'il en demeure ainsi. Les surveillants doivent pouvoir accomplir un travail éducatif, de réinsertion, auprès des détenus. Les magistrats du siège envisageront différemment les peines à la suite de la loi du 23 mars 2019, mais les avocats doivent aussi s'emparer de cette évolution.

Au-delà de la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dont le Parlement aura à connaître prochainement de la ratification, je désire que les mineurs soient jugés dans les meilleurs délais, mais aussi que les peines infligées à ces jeunes, souvent fracassés par la vie, leur permettent de retrouver leur dignité et d'apprendre le vivre-ensemble.

Votre Commission aura bientôt à connaître, dans le cadre du développement de l'espace judiciaire européen, du projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée, adoptée en première lecture au Sénat le 3 mars dernier. Le ministère de la justice a intérêt à agir par-delà nos frontières, en coopération avec nos partenaires internationaux, au premier rang desquels les membres de l'Union européenne. Il prendra toute sa part dans la préparation et l'exercice de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, au premier semestre 2022, en travaillant notamment à la protection des victimes, à la défense de l'environnement et à la meilleure façon de répondre au défi numérique. Ce sera l'occasion de souligner les avancées que la justice française doit à l'Europe, particulièrement en matière de protection des libertés fondamentales. Au-delà des frontières européennes, la défense des droits de l'homme restera un axe fondamental de notre action internationale.

Enfin, je voudrais dire mon engagement contre le fléau des violences faites aux femmes. Je poursuivrai les travaux engagés dans le cadre du Grenelle des violences conjugales ; si nécessaire, j'ouvrirai de nouveaux chantiers. Les victimes doivent être entendues, mieux accueillies dans les commissariats et les gendarmeries, et bénéficier d'une prise en charge hospitalière au plus près de leur domicile. Ainsi, j'ai obtenu l'assurance d'un financement pour créer des unités de proximité dans les hôpitaux. Je veux aussi qu'une personne suspectée de telles violences fasse l'objet d'un rappel solennel adressé par le procureur de la République, indépendamment des poursuites engagées ultérieurement ou pas.

Enfin, la transformation numérique, tant attendue, se poursuivra.

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