Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 20 juillet 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

Le grand écrivain Umberto Eco a dit des réseaux sociaux qu'ils avaient permis de donner la parole à des milliers d'imbéciles qui autrefois ne s'exprimaient qu'au bar devant un verre de vin, qu'on faisait taire tout de suite et qui ne faisaient aucun tort à la collectivité. Peut-on intervenir technologiquement pour prévenir l'anonymat ? Cela pose bien sûr la question essentielle de la liberté d'expression. Si vous pouvez m'aider à résoudre le problème, je suis à votre écoute.

Monsieur Houbron, l'application de l'arrêt récent de la cour de cassation en matière pénitentiaire, rendu sur les instances de la Cour européenne des droits de l'homme, n'ira pas sans poser quelques problèmes. Nous en sommes tous conscients. Mais je veux rompre avec cette fatalité selon laquelle la France, pays des droits de l'homme, est régulièrement condamnée à Strasbourg. J'entends maintenir un taux de détention le plus bas possible. Mais ce n'est pas du laxisme. Nous connaissons, depuis le déconfinement, une reprise de l'activité délictuelle et, à ce stade, je ne sais pas de combien peut augmenter le nombre des détenus. Ce qui va être construit servira-t-il à transférer des détenus, aujourd'hui incarcérés dans des conditions inhumaines et dégradantes, ou ces prisons vont-elles, selon les vœux de certains, se remplir de nouveaux condamnés ? En tout cas, la prison de demain ne peut pas être celle que nous avons connue. Rappelons-le : la prison, c'est punir, c'est protéger la société d'un individu dangereux et c'est réinsérer. C'est un tout. Un garde des Sceaux du général de Gaulle avait jadis reçu les procureurs généraux en leur disant qu'il serait toujours du côté de ceux qui ont les menottes aux poignets. Ces propos ne pourraient plus être tenus aujourd'hui. Dans l'opinion publique, on a le sentiment parfois que la prison est un hôtel luxueux et que la rémission des crimes consiste à enfermer les gens. Mais c'est plus subtil. Je suis un « droit-de-l'hommiste » et je ne suis pas laxiste. Le sort des prisons, des détenus, leur retour parmi nous, me préoccupent beaucoup. Si les gens sortent de prison pires qu'ils y sont entrés, alors nous avons tous failli.

Pour ce qui est du stock de dossiers à résorber, les juridictions ont fait l'objet d'un état des lieux. Après l'événement de force majeure qu'a été la crise sanitaire, un plan d'urgence de 8 millions d'euros permettra de recruter un millier de vacataires.

Si je n'ai pas évoqué tous les sujets à la suite de mon entrée en fonction, comme c'est le cas pour les lanceurs d'alerte sur la situation desquels j'ai été interpelé, c'est que je n'ai pas encore eu le temps de tous les étudier.

J'ai beaucoup consulté au sujet de la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, déjà reportée bien que très attendue. Le débat démocratique qui va s'ouvrir permettra à chacun de faire entendre sa voix.

Je me suis rendu au tribunal judiciaire de Bobigny il y a peu. Si la justice française dans son ensemble est mal lotie, je connais les problèmes particuliers de la Seine-Saint-Denis et je partage votre préoccupation : la disparité, c'est-à-dire l'inégalité, est insupportable.

Si j'ai dit qu'on se moquait du monde en profitant cyniquement du contexte sanitaire pour remplacer les cours d'assises par des cours criminelles, c'est que rien ne me semblait empêcher les jurés de délibérer dès lors qu'on pouvait à nouveau circuler en train dans tout le pays. Je ne m'opposerai pas à la poursuite de l'expérimentation en cours, mais je me battrai comme un forcené pour que la juridiction des assises, que j'aime et à laquelle j'ai consacré ma vie, ne meure pas. Le jury populaire est une bouffée d'oxygène face au corporatisme des juges. Puisque la justice est rendue au nom du peuple français, je ne vois pas pourquoi celui-ci devrait en être exclu. Enfin, les jurés ayant participé à une session d'assises savent comment fonctionne la justice – bien mieux que ceux qui, au café du commerce, pensent qu'il est facile de faire tomber des têtes. Je créerai une commission de réflexion sur ce thème, à laquelle j'associerai des avocats pénalistes et des anciens présidents de cour d'assises.

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