Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 20 juillet 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

L'opinion publique et la presse regardent toujours les enquêtes préliminaires avec une certaine suspicion. On se dit parfois que le temps s'étire pour permettre à un ami politique de ne pas connaître les affres de la justice ou à des journalistes de feuilletonner sur le sort d'un opposant. Je voudrais limiter dans le temps ces enquêtes, sous réserve peut-être d'exceptions liées à la technicité, et introduire du contradictoire à terme. Cela irait dans le sens de l'histoire, notamment celle qui s'écrit à Strasbourg.

Je voudrais aussi que l'on regarde, avec les journalistes, comment préserver au maximum la présomption d'innocence. S'agissant d'affaires en cours, certaines émissions télévisées déchiquettent des gens avant de rappeler, à la dernière seconde, qu'ils sont présumés innocents ! Cette règle, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, ne peut être méprisée en permanence. Le droit d'informer trouve sa limite dans la protection de la présomption d'innocence : il faut un compromis. Je respecte infiniment la liberté de la presse, mais y réfléchir s'impose.

J'ai dit, en des termes très durs – j'étais alors avocat –, ce que je pensais de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans l'affaire Herzog-Sarkozy. On a considéré que le secret professionnel ne s'appliquait pas au motif que M. Sarkozy n'avait été ni placé en garde à vue, ni mis en examen. C'est hérétique ! Si l'un d'entre vous consulte un avocat pour un divorce, il ne risque pas d'être placé en garde à vue ou mis en examen : l'avocat pourrait alors raconter sur la place publique les raisons pour lesquelles vous l'avez saisi ? Le secret des sources des journalistes est protégé ; le secret de l'avocat ne l'est pas. Or, le secret protège le justiciable. Si l'avocat est suspecté d'une infraction, il n'est pas au-dessus des lois naturellement. Aujourd'hui, la police écoute, sur commission rogatoire ou dans un autre cadre, et se pose ensuite seulement la question de la retranscription. Mais un cabinet d'avocat n'est pas l'annexe d'un commissariat de police ! Aux États-Unis, le conseil donne aux policiers ou au juge les numéros de téléphone qu'il est susceptible d'utiliser. S'il n'est pas suspecté, il y a un secret total lorsque ces numéros sont utilisés. Le Président François Hollande avait promis une loi sur le secret professionnel. Elle n'existe toujours pas. Il faut travailler sur cette question.

Je suis totalement favorable à la séparation du parquet et du siège, comme certains magistrats d'ailleurs – le président de la cour d'assises de Paris Dominique Coujard disait que c'est le seul sport dans lequel un des arbitres, le président, porte le même maillot que l'un des joueurs, l'avocat général. Mais je n'aurai pas le temps de mener cette réforme.

Vous savez que l'on suit – c'est une pratique – le Conseil supérieur de la magistrature dans ses avis sur la nomination des parquetiers. Afin de rassurer pleinement les magistrats, je souhaite que cela soit inscrit dans le marbre de la Constitution. Il y a eu dans le passé certaines entorses qui seraient ainsi évitées.

Ce n'est pas parce qu'un gamin commet un acte grave qu'il n'est plus un gamin. L'ordonnance du 2 février 1945 vise à préserver l'enfance. Cela ne veut pas dire s'interdire de sanctionner, mais je sais ce que sont les jeunes de treize ans. Je suis un père de famille. Dire qu'ils raisonnent comme des adultes est faux. Je suis tout à fait d'accord pour aller dans le sens humaniste – et non laxiste – que vous préconisez, madame Louis. Je n'entends pas revenir sur le travail réalisé. J'ajoute que la question est laissée à l'appréciation du juge dans certaines hypothèses – rien n'est automatique.

Monsieur Diard, les juges ont estimé, en toute indépendance, que la peine prononcée dans l'affaire que vous avez citée était celle qui était méritée. Attendez-vous des magistrats et du garde des Sceaux qu'ils aient le don de clairvoyance et la capacité d'endiguer les velléités de nouvelles infractions ? La sécurité absolue serait l'enfermement à vie de tout le monde. Le juge doit tenir compte de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu. Nous sommes tous extrêmement touchés par le cas que vous avez évoqué, mais était-ce prévisible ? Par ailleurs, on ne peut pas éviter que les uns contaminent les autres en prison. On pourrait même dire que c'est parfois l'école du crime. Ce n'est pas par l'exploitation émotionnelle, compassionnelle, que l'on aboutira à une justice pénale efficace, qui ne s'inscrit pas dans l'excès.

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