Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du lundi 20 juillet 2020 à 17h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

Le temps pour rendre des décisions est un des griefs majeurs adressés à la justice, dont le budget n'est depuis longtemps pas à la hauteur des enjeux.

Le nombre de magistrats a augmenté. Mais il manque des greffiers. Je dois bientôt les recevoir après avoir consulté les chefs de juridiction, car plusieurs questions se posent. Les écoles de greffiers ne peuvent pourvoir au manque de greffiers ; nous devons envisager avec eux une réaffectation des tâches. Est-il utile qu'un greffier tape un jugement que personne n'ira chercher ? Notre budget doit nous permettre de recruter un certain nombre d'assistants qui pourront s'en charger. Ne pourrions-nous pas parfois dispenser le greffier de sa présence, comme c'est déjà le cas de manière totalement illégale dans certaines audiences ?

En matière de justice de proximité, l'administration fait parfois preuve de lourdeur. Les délais sont trop longs. Je veux fluidifier le fonctionnement en concertation avec les professionnels ; quelqu'un dans mon équipe sera chargé de faire remonter les bonnes pratiques de terrain.

Un délégué du juge susceptible de rendre très rapidement des décisions concernant les mineurs pourrait être instauré.

Monsieur Pradié, vous m'avez écrit d'une bien étrange façon, non pas par courrier mais par voie de presse, dans un article dévastateur à mon égard. J'ai dit qu'il fallait aider les plus « timorées » des femmes à libérer leur parole. Vous dites que je n'aurais pas dû les qualifier ainsi au regard de ce qu'elles ont vécu ; cependant, il n'était pas question pour moi d'évoquer le crime, mais bien la peur que ressentent certaines femmes. Vous me reprochez également d'avoir parlé d'hommes qui se sont « mal tenus », mais il y en a qui se tiennent mal et ne sont pas des violeurs. Accordez-moi le droit de choisir mes mots de manière nuancée ! Enfin, sur le fond, je vous certifie que le bracelet anti-rapprochement fonctionnera en septembre.

Madame Obono, la loi interdit au ministre d'intervenir dans le cours de la justice ; je ne peux vous rassurer davantage. La suspicion peut exister. Je recevrai des informations en tant que garde des Sceaux. Mais je ne donnerai aucune directive à qui que ce soit.

Il est en mon pouvoir d'encourager les procureurs à éviter autant que possible la détention provisoire, dont le recours systématique relève chez nous de l'habitude culturelle. Je ne me priverai pas de leur demander de requérir davantage le placement sous surveillance électronique, régulièrement utilisé dans d'autres pays. Le juge du siège prendra ensuite ses propres décisions.

À propos de la laïcité, je ne suis pas ministre des cultes mais je déplore la montée des communautarismes. L'hypermoralisation actuelle nous contraint au manichéisme et à choisir, hors de toute nuance et de toute intelligence, entre le blanc et le noir, d'où les polémiques, la guerre des sexes et le renforcement des communautarismes dévastateurs. La laïcité implique la neutralité de l'État et l'égalité des citoyens devant la loi, face à l'administration et aux services publics. Ces valeurs communes, essentielles, sont ce qui fonde notre pacte républicain.

En ce qui concerne la répression des incivilités, je suis absolument d'accord pour associer les acteurs locaux à l'action de la justice. Rien ne peut se faire sans eux.

Il y aura très prochainement à Mamoudzou un magistrat supplémentaire qui pourra aider à résorber les retards de retranscription d'état civil ; c'est essentiel pour la citoyenneté. Quant aux greffes, nous mettons en œuvre une politique qui doit permettre de tendre vers le plein effectif en outremer.

J'ai pris contact avec la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon. Nous avons une vision assez commune des choses. Néanmoins, les discriminations raciales sont une question que le testing ne règle pas totalement car nous sommes face à une difficulté probatoire : lorsque quelqu'un est refoulé, il est difficile de prouver que c'est à cause de sa couleur de peau. Tous les citoyens de ce pays doivent être égaux face à la loi. Quand les gens ont le sentiment de ne pas être traités comme des Français alors qu'ils le sont, ils se replient vers leur communauté, ce qui crée des déchirures irréparables dans le pacte républicain.

J'ai reçu chacun des membres de mon cabinet en les convoquant à des heures différentes, alors même qu'il n'y avait aucun enjeu dramatique. Que dire des audiences de divorce, pour lesquelles vingt-cinq couples sont convoqués à la même heure ? C'est indigne ! Des raisons sanitaires ont incité beaucoup de magistrats à échelonner les convocations récemment et ce mouvement doit être poursuivi, c'est une bonne pratique.

Je pourrais multiplier les exemples de ces bonnes pratiques : la présence, à la prison de Fresnes, d'un délégué des détenus qui remonte les doléances, ou l'habitude qu'a l'institut médico-légal d'Amiens de se déplacer sans attendre auprès des victimes. C'est de la justice de proximité comme j'entends la développer.

Pour ce qui est de la dématérialisation des procédures, je suis tout à fait d'accord : comment imaginer que des gens divorcent sans jamais avoir vu un juge ? Certes, ils s'expriment par la voix de leur avocat, mais le fait qu'une décision soit rendue en l'absence de tout contact humain est indigne et source de frustration. Les justiciables doivent avoir le sentiment que l'institution judiciaire est à leur service et non l'inverse ! Un divorce est déjà, en soi, une épreuve insupportable. Il n'est pas admissible qu'on traite les gens comme des criminels, qu'on leur inflige une attente interminable dans une salle bondée et que tout se règle par des échanges de conclusions. La justice s'est bunkérisée ces dernières années, au point que les avocats ont parfois du mal à obtenir un rendez-vous avec le juge d'instruction. Quand le justiciable tombe sur un panneau indiquant que le juge ne reçoit pas les avocats et qu'il constate que le bureau dudit juge est situé à côté de celui du procureur, il ne peut avoir une bonne image de la justice. Je suis preneur de toute proposition visant à améliorer les relations entre le justiciable et la justice car chacun a à y gagner. En matière pénale, un bon verdict est celui qui a permis à tout le monde d'être entendu, le condamné comme la victime, afin qu'une décision équilibrée soit prononcée.

J'étais contre la rétention de sûreté pour les actes de terrorisme car j'estimais qu'on n'avait pas à condamner un homme pour des actes qu'il était seulement susceptible de commettre. Cependant, j'ai pris conscience du fait que, même s'il est en liberté après avoir purgé sa peine, un terroriste sera suivi par les services de renseignement. Je soutiendrai donc la proposition de loi examinée demain par le Sénat. D'une part, la solution que vous défendez a le mérite de clarifier la situation ; d'autre part, le port d'un bracelet n'est pas l'enfermement.

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