Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 17h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, comme je vous l'avais annoncé cet été, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui ce projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui traduit l'un des engagements pris par le Président de la République dès le début de son quinquennat devant le Congrès.

Créé en 1925, consacré dans la Constitution depuis la IVe République, le CESE n'a pourtant jamais réussi à trouver au sein de nos institutions la place qu'il mériterait. Ce projet de loi entend remédier à cette situation et par la même occasion répondre à une aspiration forte de nos concitoyens : renforcer la démocratie participative.

La crise des « gilets jaunes » et le Grand débat national ont, tout autant que la Convention citoyenne pour le climat, montré que les Français aspirent à être mieux associés et à participer plus directement aux décisions publiques. Nos institutions doivent répondre à cette attente : tel est le sens du projet de loi organique soumis à votre examen.

Le CESE doit affermir sa fonction d'assemblée consultative composée de représentants des forces économiques et sociales du pays chargée d'éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre temps. Il s'agit de le doter de nouveaux outils, notamment en ayant recours à la participation du public en s'adjoignant des citoyens tirés au sort en vue de l'aider dans la préparation de ses avis.

La première ambition de cette réforme est de renforcer la démocratie participative. Deux points méritent dans cette perspective d'être soulignés : le recours aux pétitions et l'organisation de consultations publiques incluant, le cas échéant, la participation directe de citoyens tirés au sort.

S'agissant du premier, le projet de loi favorise le recours aux pétitions. La révision constitutionnelle de 2008 a certes introduit dans notre droit la possibilité pour nos concitoyens de saisir le CESE par voie de pétition. Toutefois, cet outil de démocratie directe, encadré par des conditions trop strictes, n'a jamais pu être mis en œuvre : nous entendons donc les assouplir afin de le rendre désormais effectif. Les citoyens pourront ainsi saisir le CESE par voie électronique et non plus seulement par écrit.

Pour répondre à leurs attentes légitimes, il faut aller plus loin : nous avons, en concertation étroite avec votre rapporteur, Erwan Balanant, réfléchi à d'autres évolutions et allons conjointement vous en proposer deux.

La première consiste à abaisser le seuil des signatures, puisque celui en vigueur actuellement n'a été atteint qu'une seule fois en dix ans : il convient par conséquent de le réduire au moins de moitié. Il est en revanche nécessaire de fixer des garanties afin de s'assurer que les questions soulevées concernent la Nation tout entière.

La seconde consiste à permettre à la jeunesse de s'exprimer, pour éviter qu'elle ne s'éloigne davantage encore, c'est un sujet de préoccupation partagée auquel je suis très sensible. Nous proposons donc d'abaisser à seize ans l'âge requis pour pouvoir pétitionner. Si l'on n'est pas encore, à cet âge, citoyen et électeur, cela ne signifie pour autant pas que l'on n'a rien à dire, d'autant que notre jeunesse veut – et doit – s'engager sur les questions environnementales sur lesquelles elle est particulièrement mobilisée. Il faut donc lui donner la parole et surtout la préparer au plein exercice de la citoyenneté : ce droit de pétition le permettra.

La seconde ambition de ce projet de loi est de pérenniser l'expérience de la Convention citoyenne pour le climat qui a montré que le CESE pouvait devenir la chambre de la participation citoyenne. Le texte consacre ainsi l'organisation de consultations publiques pour lesquelles il pourra désormais organiser une procédure de tirage au sort. Le CESE a toujours été présenté et conçu comme l'assemblée représentant les forces vives de la Nation : dorénavant, les citoyens tirés au sort pourront participer directement à ses travaux.

Je veux rassurer ceux qui éprouvent des craintes à cet égard : elles ne sont pas fondées. Il n'existe pas de confusion, et encore moins de concurrence, entre, d'une part, l'intérêt de recueillir l'avis de citoyens tirés au sort et, d'autre part, l'exercice de la souveraineté nationale par les représentants de la Nation élus au suffrage universel, seuls détenteurs de la légitimité démocratique. Renforcer la démocratie participative n'affaiblit pas la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens sont intégrés au débat public, plus la légitimité de ceux qu'ils éliront sera renforcée.

Ce projet de loi organique entend également redonner davantage de visibilité au CESE et renforcer son rôle d'assemblée consultative. Le Grand débat national nous l'a appris : nos concitoyens connaissent mal cette institution et peinent à en comprendre l'utilité. Il est temps de lui redonner la place qui lui revient. Ainsi, pour remédier à cet état de fait, le projet qui vous est soumis développe principalement deux outils.

Il renforce d'abord les liens avec les conseils consultatifs locaux. Force est de constater qu'actuellement il n'existe pas véritablement de lien entre le CESE et les instances consultatives locales, en particulier avec les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). Il faut mettre fin à ce cloisonnement et organiser des échanges entre l'échelon national et les organes locaux afin que le CESE puisse se nourrir des expériences et des connaissances territoriales.

L'article premier du projet de loi organique prévoit ainsi la possibilité pour le Conseil de saisir pour l'exercice de ses attributions des conseils consultatifs créés auprès des collectivités.

Le texte entend également faire du CESE le carrefour des consultations publiques. Il existe aujourd'hui une multitude d'organismes consultatifs : s'ils constituent une richesse, ils peuvent également être source de complexité, voire de lourdeur. Pour redonner de l'attractivité au CESE, le Gouvernement entend lui accorder une place prépondérante, à la hauteur du rôle que lui confie la Constitution.

Ainsi, l'article 6-1 que nous proposons d'introduire dans l'ordonnance de 1958 prévoit que lorsque le Conseil sera saisi, le Gouvernement ne procédera pas aux autres consultations exigées par notre législation, certaines exceptions étant cependant prévues pour les autorités administratives indépendantes ou pour les collectivités territoriales d'outre-mer.

Je vous proposerai d'y inclure les instances nationales consultatives au sein desquelles les collectivités territoriales sont représentées afin de préserver le dialogue indispensable avec ces dernières, en particulier dans le cadre du Conseil national d'évaluation des normes et du Comité des finances locales.

Je tiens également à souligner que n'entrent pas dans le champ de cet article les concertations prévues à l'article L.1 du code du travail. Pour plus de clarté, le Gouvernement vous proposera de le mentionner explicitement dans le texte.

Enfin, le projet de loi réforme, conformément à un engagement du Président de la République, la composition du CESE. Il vous propose ainsi de faire passer le nombre de ses membres de 233 à 175, ce qui représente une réduction de 25 % qui correspond pour partie à la suppression des 40 sièges réservés aux personnalités qualifiées.

Cette composition est refondue en quatre grandes catégories qui permettent de conserver pour l'essentiel l'équilibre des représentations. La proposition qui vous est faite est le résultat d'un compromis entre tous les intérêts représentés. C'est pourquoi le Gouvernement n'entend pas y revenir.

Toutefois, la composition de ces quatre grandes catégories n'est plus figée dans le marbre afin de permettre une constante adaptation aux évolutions de notre société. Pour s'en assurer, le Gouvernement soutiendra l'amendement de votre rapporteur visant à instituer à chaque renouvellement un comité indépendant qui proposera au pouvoir exécutif une répartition détaillée au sein de celles-ci.

Je tiens enfin à remercier particulièrement votre rapporteur ainsi que Mme Nicole Dubré-Chirat pour l'excellent travail qu'ils ont réalisé et l'esprit constructif qui a présidé à nos échanges.

Comme vous pouvez le constater, ce projet de loi organique traduit l'ambition de moderniser en profondeur le CESE, tant dans sa composition que dans son fonctionnement, et permet plus largement le renforcement de la participation citoyenne.

J'espère que nos débats permettront de mettre en œuvre et de parfaire cette ambition.

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