Intervention de Jean-Pierre Clamadieu

Réunion du mardi 29 septembre 2020 à 9h00
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administration d'Engie :

Messieurs les présidents, mesdames et messieurs les députés, je vais essayer de vous expliquer pourquoi nous avons pris la décision, il y a maintenant deux mois, de recentrer nos activités sur deux métiers essentiels, ce qui nous a conduits à indiquer que, notre participation chez Suez n'étant plus que financière, nous étions prêts à écouter ceux qui souhaiteraient nous faire des propositions, et je ferai bien sûr quelques commentaires sur les événements qui ont suivi.

Je commencerai par me présenter. Je suis depuis deux ans président du conseil d'administration d'Engie, après avoir fait carrière dans la chimie pendant une quinzaine d'années. J'ai été successivement dirigeant de deux sociétés de chimie, Rhodia et Solvay. Je note d'ailleurs que Solvay ayant lancé en 2011 une offre publique d'achat sur Rhodia, je me suis trouvé alors dans la situation de M. Bertrand Camus aujourd'hui – quoique la dynamique fût assez différente : après un dialogue constructif, les deux sociétés se sont rapprochées et j'ai pris la tête de l'ensemble, ce qui m'a valu de vivre quelques années en Belgique, pays dans lequel Solvay a son siège.

Engie est l'un des grands acteurs français de l'énergie – je devrais plutôt dire un acteur mondial, mais le groupe a son siège en France et des racines françaises très fortes. Nous employons 80 000 personnes en France, nous y avons investi plus de 3 milliards d'euros et sommes le gestionnaire de l'essentiel des infrastructures gazières françaises, incluant tant le réseau de transport que celui de distribution, qui amène le gaz jusqu'à chacun des points de consommation. Nous sommes, en outre, un grand producteur d'électricité, même si cette activité concerne essentiellement le Benelux et l'Amérique latine ; nous avons bien quelques centrales en France, mais il y a dans ce pays, vous le savez, un acteur dominant. Nous comptons aussi, et cela se sait moins, parmi les grands acteurs du développement d'énergies renouvelables dans le monde, le premier en France : énergie solaire, énergie éolienne, avec une priorité donnée à l'éolien en mer, et pas forcément à proximité des côtes, ce qui pose un certain nombre de problèmes – mais nous pensons que cette forme d'énergie est promise à un grand avenir.

Engie résulte de la fusion en 2008 de deux entreprises aux histoires très longues et très différentes : Suez, qui tire ses origines du canal de Suez mais a beaucoup évolué par la suite jusqu'à devenir un acteur important de l'électricité, et Gaz de France. Au moment de la fusion, les pouvoirs publics ont décidé, pour assurer l'équilibre de l'opération, de mettre sur le marché les activités de services à l'environnement, qui constituent le groupe Suez aujourd'hui, le nouvel ensemble Suez-Gaz de France, devenu Engie, gardant le contrôle de ces activités à travers un pacte d'actionnaires regroupant un peu moins de 40 % du capital. Il a été mis un terme à ce pacte d'actionnaires en 2013 ; depuis lors, Engie détient une participation financière dans Suez, à savoir 32 % du capital, non consolidée. Nous sommes représentés au conseil d'administration de Suez, mais très faiblement : auparavant trois, désormais deux administrateurs. Nous n'avons, en définitive, que très peu de relations opérationnelles avec Suez : selon les dernières évaluations, les projets dans lesquels nous intervenons en commun représentent un peu moins de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui, à l'échelle de groupes réalisant 10 à 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires, est une tête d'épingle. Il arrive même que nous nous retrouvions en concurrence.

Depuis la fin du pacte d'actionnaires, la question de l'avenir de cette participation est régulièrement posée. On est passé successivement par des phases où l'on pensait qu'il fallait la céder et par des moments de doute, où l'on s'interrogeait sur la possibilité de reprendre le contrôle de Suez. Quand je suis arrivé à la présidence du conseil d'administration, ma première réaction fut de considérer qu'une participation de 30 % dans une société industrielle avec laquelle on a peu de synergies opérationnelles, c'était soit trop, soit pas assez, et qu'il convenait de sortir le plus rapidement possible de cette ambiguïté.

Suez était alors en train de renouveler sa gouvernance – MM. Gérard Mestrallet et Jean-Louis Chaussade étaient encore, respectivement, président et directeur général. Pour faciliter la mise en place de la nouvelle gouvernance, nous avons annoncé en décembre 2018 que notre participation de 30 % nous satisfaisait et que nous n'avions pas l'intention, à court terme, de la modifier. Néanmoins, Engie a poursuivi sa réflexion stratégique, ce qui nous a amenés en juillet dernier à nous fixer des orientations très claires et à choisir deux métiers dans lesquels nous souhaitons nous développer. Ces deux métiers, ce sont les énergies renouvelables et les infrastructures, ce qui n'est pas une surprise, puisqu'il s'agit de secteurs dans lesquels le groupe est un acteur mondial reconnu. S'agissant des énergies renouvelables, nous avons affiché notre ambition d'accroître – pardon d'entrer dans les détails techniques – de 3 à 4 gigawatts nos nouvelles installations connectées, soit une augmentation d'un tiers, et d'inclure dans notre bilan un nombre beaucoup plus important de ces projets dès lors qu'ils ont été développés. Quant aux infrastructures, notre ambition porte essentiellement sur ce qu'on appelle les infrastructures urbaines, en France et hors de France : réseaux de chaleur, réseaux de froid, réseaux d'éclairage et demain, je l'espère, réseaux de points de charge pour véhicules électriques. La volonté d'investir plus fortement dans ces métiers nous a conduits à examiner les différentes possibilités de dégager de nouvelles ressources financières qui s'offraient à nous. Nous avons annoncé, d'une part, une simplification de nos positions dans les activités de service, d'autre part, la cession de certaines participations, dont celle que nous détenons dans Suez. Voilà pourquoi, à la question « Qu'allez-vous faire de votre participation dans Suez ? », j'ai répondu, le 30 juillet dernier : « Tout est ouvert. » C'est apparemment ce qui a tout déclenché.

Permettez-moi un petit retour en arrière. Lorsque M. Bertrand Camus a été nommé directeur général de Suez, en mai 2019, je l'ai reçu et lui ai dit : « Bertrand, un industriel détient un tiers du capital de ton groupe, ce n'est pas une situation stable, un jour ou l'autre il va se passer quelque chose, il faut que tu t'y prépares ». De même, en janvier dernier, lorsque M. Philippe Varin – que je connais bien – a été pressenti comme futur président du conseil d'administration de Suez, je lui ai dit : « Philippe, la situation actionnariale de Suez va évoluer, il faut que tu t'y prépares » ; j'ai même ajouté que j'étais content qu'un industriel ayant son expérience prenne la présidence du conseil d'administration, parce que nous aurions besoin d'un interlocuteur solide et qui tienne les manettes si un tel scénario se présentait. Lorsque, dans le courant du mois de juillet, j'ai perçu que la nouvelle orientation stratégique d'Engie allait être confirmée, je le lui ai redit. Quand il m'a demandé si c'était urgent, je lui ai répondu – il me le reproche aujourd'hui – qu'Engie n'était pas pressé, parce que nous avions un bilan solide et plein de choses à faire. Ce que je ne savais pas, c'est que Veolia viendrait le 30 août avec une offre qui, du point de vue d'Engie, a le mérite d'être extrêmement simple, puisque Veolia propose de nous racheter un peu moins de 30 % du capital de Suez dans le cadre d'une transaction immédiate qui ne serait soumise à aucune contrainte au titre du droit de la concurrence, soit une opération absolument sans risque, puis de lancer une offre publique d'achat, qui lui permettrait de prendre le contrôle de Suez et de l'intégrer.

Je précise que les orientations stratégiques que nous avons présentées à la fin du mois de juillet ont été approuvées à l'unanimité par le conseil d'administration d'Engie, représentants de l'État et des salariés inclus. Il existe donc un fort consensus sur la décision – qui, de fait, est très logique – de nous recentrer sur les métiers dans lesquels nous disposons de savoir-faire reconnus et de céder des participations héritées de l'histoire mais qui, du point de vue industriel, n'ont aujourd'hui plus beaucoup de sens.

Nous avons examiné l'offre de Veolia sous trois angles. Premièrement, le prix, c'est‑à‑dire la valeur patrimoniale de l'entreprise ; c'est pour nous un point important et, je le souligne, cela doit l'être pour vous aussi, dans la mesure où l'État détient presqu'un quart du capital d'Engie. Deuxièmement, la qualité du projet industriel ; il ne s'agit pas de dire qu'il doit être meilleur comparativement à d'autres, mais il faut qu'il montre une certaine cohérence et qu'il nous paraisse solide. Troisièmement, ce que nous avons appelé le respect des parties prenantes et qui touche tant aux conséquences sociales de l'opération qu'à la capacité d'intégrer le management et de soumettre un projet inclusif. À l'issue de nos discussions avec Veolia, nous sommes aujourd'hui convaincus que le projet industriel est solide, que Veolia apportera des garanties en matière d'emploi susceptibles de nous satisfaire au regard des responsabilités qui sont les nôtres et que, s'agissant de la gouvernance de l'ensemble, des ouvertures seront faites en vue de constituer une équipe de direction mixte. En revanche, nous n'avons pas reçu de nouvelle offre concernant le prix, même si M. Antoine Frérot a promis de nous en faire une avant la réunion de notre conseil d'administration demain.

Sitôt après avoir reçu l'offre de Veolia, j'ai dit à M. Philippe Varin – et je l'ai répété publiquement – qu'il fallait une autre offre, que non seulement nous serions prêts à l'examiner, mais que nous pourrions aider à la construire, parce que, quand on veut vendre quelque chose, il vaut mieux avoir deux acheteurs potentiels qu'un seul. Et je dois dire que j'ai été très déçu de ne voir s'élaborer aucune autre offre au cours des quatre dernières semaines. Les dirigeants de Suez ont été très actifs sur le front médiatique, et peut-être aussi à l'Assemblée nationale, mais ils ne sont pas venus nous faire d'autre proposition – ni même discuter avec nous, alors que nous avions dit et répété que nous étions prêts à aider les fonds d'investissement potentiellement intéressés à émettre une offre. Rien de concret n'a été fait. Lors de notre dernier échange avec lui, jeudi dernier, M. Philippe Varin a confirmé qu'il n'avait rien à proposer – entre autres raisons parce qu'il juge que l'environnement actuel ne lui permet pas de construire une offre sereinement. En revanche, il a sorti de son chapeau, ou plutôt de celui de ses avocats, une « pilule empoisonnée », ce qui nous a, je dois dire, beaucoup surpris car on enfreint là les règles de l'OPA en pays civilisé : mettre des actifs dont on dit qu'ils sont absolument stratégiques pour le pays sous clé au sein d'une fondation de droit néerlandais opaque dirigée par on ne sait qui – il est question d'un avocat néerlandais, d'un ancien salarié… – ne nous paraît pas conforme à une relation normale entre une entreprise et ses actionnaires. En agissant ainsi, Suez s'est coupé de sa base d'actionnaires – d'Engie bien sûr, mais aussi des autres. Nous recevons d'ailleurs de leur part un abondant courrier nous appelant à remettre de l'ordre dans tout cela. Les dirigeants d'une entreprise ne peuvent pas s'opposer durablement à leurs actionnaires.

Voilà où nous en sommes. Nous nous trouvons à la croisée des chemins, puisque l'offre de Veolia expire demain. J'attends de sa part une nouvelle offre. Concernant les aspects sociaux et industriels ainsi que les questions de gouvernance, des améliorations ont été apportées. Reste la question du prix ; j'attends de voir ce que M. Antoine Frérot nous proposera. Quoi qu'il en soit, il faudra que le conseil d'administration d'Engie arrête, demain, sa position à l'égard de l'offre de Veolia.

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