Intervention de Olivier Youinou

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de coronavirus-covid 19 en france

Olivier Youinou, co-secrétaire du syndicat SUD santé solidaires de l'AP-HP :

Je suis infirmier anesthésiste dans cette grande institution qu'est l'Assistance publique-hôpitaux de Paris. Malheureusement, nous pourrions tous donner des témoignages de contaminations et de décès parmi nos collègues. La crise nous a fortement touchés ; elle n'est pas sans laisser de traces et je vous remercie de bien vouloir nous entendre à ce sujet.

Pour ce qui me concerne, j'ai abandonné mes délégations syndicales durant la crise pour renforcer les équipes de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, parce que mon métier était essentiel à ce moment-là.

Les soignants ont traversé cette crise comme toute la population. À cet égard, le choix politique du confinement, qui recouvre des aspects sécuritaires et liberticides, ne peut pas être une réponse à un problème de santé publique, fût-ce une pandémie. L'homme est un animal social ; se confiner chez soi n'est pas propice à l'état de bien-être, qui est la définition même de la santé.

Dans ce contexte, l'essentiel est de savoir s'il était possible de faire mieux que ce qui a été fait : à l'évidence, oui. La crise du covid-19 a mis en lumière, sinon la faillite, du moins la défaillance du système de santé français et de l'hôpital public en particulier. La transformation d'un TGV de la SNCF en chambre de réanimation a beau avoir été présentée comme un exploit, ce n'est que le reflet d'un échec du système qui n'a pas permis de trouver de solution d'hospitalisation dans les bassins de vie de ces patients. Cette situation est l'effet d'une politique d'austérité menée depuis trop longtemps, à coups de restrictions budgétaires et de fermetures de lits massives sur l'ensemble du territoire. C'est ainsi que, dans les régions les plus touchées, notamment le Grand Est, le Nord et l'Île-de-France, des patients qui le nécessitaient n'ont pas pu être hospitalisés.

Nous avons également été frappés par l'état de dépendance de la cinquième puissance économique mondiale sur des points aussi cruciaux que sont le bien-être commun et l'accès de chacun à la santé, quelle que soit sa situation financière et sociale, et son lieu de vie. C'est le message fort que nous devons retenir de cette crise : nous n'oublierons rien, nous ne voulons plus connaître ce que nous avons traversé.

Je vais vous livrer librement les résultats d'un brainstorming que nous avons mené dans nos équipes de soin. Cette liste de mots, positifs et négatifs, est révélatrice de ce que chacun a pu traverser.

Parmi les mots positifs, on trouve la mobilité et l'adaptation de l'hôpital et de ses personnels ; les dons de matériels et de masques émanant d'entreprises à l'arrêt, qui sont venus compléter l'offre disponible ou pallier le manque institutionnel ; la communication de la part des directeurs de l'AP-HP, qui ont informé quotidiennement, par visio-conférence, les soignants sur la situation de leurs établissements, le nombre de patients hospitalisés en médecine et en réanimation, le nombre d'agents contaminés ; le rapprochement des équipes ; l'attachement au service comme une unité fonctionnelle de l'hôpital, plutôt que ces grands vaisseaux, supragroupes hospitaliers ou départements médico-universitaires dont on ne sait plus qui les dirige, vers lesquels les politiques veulent nous emmener. La crise a remis les choses au clair, confirmant ce que les enquêtes sociales avaient démontré, à savoir l'attachement des hospitaliers, médecins ou soignants, au service et à la notion d'établissement.

Enfin, la reconnaissance de la covid-19 comme une maladie professionnelle a été vécue positivement.

Comme vous l'imaginez, du négatif ressort également, avec des mots très forts : insécurité, sentiment d'abandon, absence de préparation et de formation, manque de moyens de protection, de médicaments et de matériel médical, stress, angoisse.

La mobilité possible des agents, même vécue comme positive, n'a pas été de tout confort pour les infirmiers ou aides-soignants des services hospitaliers qui ont été transférés vers la réanimation. Les différences dans la prise en charge des patients et les soins ont également été un facteur de stress et d'angoisse importants.

Les personnels parlent aussi d'absence d'intégration et d'encadrement, et de protocoles à géométrie variable. Comme la communication gouvernementale, les recommandations des équipes opérationnelles d'hygiène ont varié, adaptant les bonnes pratiques en fonction des stocks disponibles. Cela a été particulièrement vrai pour les masques et les surblouses.

Parmi les remontées négatives, on trouve aussi la remise en cause des bonnes pratiques professionnelles – a ainsi été particulièrement dure à vivre l'obligation de faire des choix entre les patients à cause du manque de lits de réanimation –, et les relations avec les familles. Certains collègues sur le front, qui pouvaient être contaminés tous les jours, prenaient trois à quatre douches d'affilée en rentrant chez eux ou se changeaient dans leur garage avant de regagner leur foyer.

Nous n'adhérons pas du tout au champ lexical du Gouvernement faisant de nous des héros, des guerriers. Nous sommes simplement des professionnels de santé et aimerions être reconnus comme tels. Des héros ou des guerriers, on ne retient que le dévouement et l'engagement ; cela évite d'évoquer les conditions de travail. Or il est grand temps d'en parler, comme de la reconnaissance de nos métiers, qui sont d'utilité commune, d'utilité sociale, au cœur du pacte républicain.

Mais il faudra aussi aborder les comptes épargne-temps qui représentent, pour la seule AP-HP, 1,1 million de jours épargnés. Ces heures supplémentaires, qui n'ont été ni récupérées ni rémunérées, sont la véritable dette de l'hôpital aujourd'hui, une dette sociale, vis-à-vis de ses salariés. Si la crise permet de remédier à tout cela, elle aura au moins eu cela de positif.

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