Intervention de Olivier Marcé

Réunion du jeudi 30 novembre 2017 à 9h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Olivier Marcé, délégué syndical pour la Confédération française de l'encadrement-Confédération générale de l'encadrement (CFE-CGC) :

Depuis dix ans, la concurrence dans le monde des télécom s'est faite entre des acteurs européens soumis aux règles de la transparence actionnariale, et des acteurs chinois non cotés appliquant des règles sociales différentes. Conséquence : les acteurs en difficultés sont européens, ceux en pleine croissance sont chinois.

À la même époque, les États-Unis ont interdit les équipements chinois de leur marché télécom.

Avant de devenir le numéro un, l'équipementier Huawei a utilisé tous les moyens possibles pour gagner en compétence et gagner des parts de marchés ; la perspective de profiter de l'eldorado du marché chinois a limité la volonté des concurrents européens de contester ses méthodes.

Il ne faut pas oublier que le moteur des décisions d'une société commerciale est la recherche du profit pour ses actionnaires, jamais l'équité ou le développement d'un territoire ou d'un pays. Dans le modèle Nokia, le marché qui est rapporté à la France est le seul marché domestique. Vu du siège, la France devient un centre de coûts. Jusqu'à présent, les contributions en R&D ne sont pas valorisées en tant que telles dans un bilan comptable, en particulier le crédit impôt recherche.

Notons également que l'intégralité de la propriété intellectuelle est valorisée par le groupe et jamais dans la structure nationale où les brevets ont été créés. L'absence de brevets communs avec les acteurs des écosystèmes locaux empêche également tout ancrage local. Les brevets sont comptabilisés en Finlande ; c'est pour nous une problématique européenne.

Il nous est souvent avancé que les lois européennes, au nom de la concurrence libre et non faussée, ne permettent plus aux États d'intervenir dans les orientations stratégiques des groupes privés. Pourtant, des sociétés telles que Cisco aux États-Unis ou Huawei et ZTE en Chine bénéficient d'un soutien étatique important et d'une protection de leur marché intérieur.

Aujourd'hui Huawei nous concurrence fortement sur tous les marchés, y compris français. En France, nous constatons que le crédit impôt recherche et les diverses aides publiques dont bénéficie notre groupe n'influent pas assez sur le maintien de nos industries dans le pays. Ces fonds publics mal contrôlés, insuffisamment orientés sur des projets précis, n'assurent pas le retour sur investissement que l'on est en droit d'attendre pour nos emplois industriels.

Dans ce PSE, nous faisons face à une délocalisation des emplois en Europe de l'est et au Portugal : c'est tout le problème du dumping social à l'intérieur de l'Union européenne. Il convient également de se pencher sur la fiscalité, qui entraîne le choix des Pays-Bas plutôt que la France pour la plate-forme logistique de Nokia ; du coup, notre prestataire Daher est également touché par le PSE.

Pour être pérenne, une structure locale doit pouvoir s'appuyer sur plusieurs piliers.

Garder la souveraineté sur les télécoms impose de créer un environnement commercial propice à la conception de produits correspondants aux besoins nationaux.

L'omniprésence d'équipementiers américains ou chinois, comme Cisco ou encore avec l'accord PSAHuawei, dans les établissements publics – universités, centres de recherche – et dans les sociétés dont l'État est actionnaire est paradoxal.

Tout aussi paradoxal est l'empressement de certains acteurs publics de l'innovation à considérer sur un pied d'égalité les entreprises européennes établies et celles qui n'ouvrent que des structures réduites et limitées dans le temps.

L'accent sur le numérique est crucial pour la politique industrielle de la France, mais sa distance, voire parfois son opposition à l'industrie télécom qui fabrique les équipements nécessaires au numérique est tout aussi paradoxale. Pour qu'une nation de start-up existe, il faut des réseaux à très haut débit, fiables et sécurisés, à moins de tout laisser à des acteurs non européens.

Les aides publiques à l'innovation sont nécessaires, mais ne permettent pas d'éviter les optimisations à l'échelle globale – il suffit, comme le fait Nokia, de concevoir en France, où le crédit impôt recherche rend le coût de l'ingénieur compétitif, puis de vendre depuis les pays où les impôts sont réduits. Ne faudrait-il pas lier les aides à l'innovation à une véritable politique industrielle et commerciale de la société qui en bénéficie, dans le pays, avec les emplois correspondants ?

Les supports à l'innovation – subventions, pôles de compétitivité – ont montré leurs limites pour créer ou développer les structures non R&D, alors que celles-ci sont indispensables pour créer les flux financiers qui ancrent la société localement. N'est-il pas urgent d'inventer d'autres mécanismes d'aide, par exemple des marchés publics réglementés, pour des équipements relevant de la souveraineté nationale ? Ou bien des concours avec des critères objectifs de réussite comme ceux lancés par la DARPA, le département de la recherche avancée de l'armée américaine ? C'est un exemple intéressant : c'est ainsi qu'a été défini le cadre qui permet l'émergence de technologies comme la voiture autonome. Il y a une dizaine d'années, un concours a été lancé sur la voiture autonome ; nous la voyons maintenant arriver. De tels mécanismes ont montré qu'ils favorisent mécaniquement la création de valeur et l'ancrage dans le pays, en termes d'emplois, de connaissances et de revenus.

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