Intervention de Ya-Han Chuang

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Ya-Han Chuang, sociologue, post-doctorante à l'Institut national d'études démographiques (INED) :

En effet, en France et dans nombre de pays occidentaux, les populations chinoises et, plus généralement, asiatiques, sont considérées comme des minorités « modèles », qui réussissent. Aux États-Unis, les Hongkongais, les Chinois, les Asiatiques sont présents depuis la fin du XIXe siècle et les recherches sociologiques et démographiques ont montré que les performances scolaires et professionnelles de leurs descendants sont bien meilleures que celles d'autres populations, issues de l'immigration ou autochtones.

En France, cela reste à prouver. Vous avez entendu la semaine dernière mon collègue Cris Beauchemin et vous savez que les statistiques ethniques n'existent pas en France. Lors de la première enquête « Trajectoires et origines » (TeO) de l'INED, la population chinoise était peu nombreuse, à la différence des descendants de personnes venues d'Asie du sud, dont les résultats scolaires étaient déjà bons. La deuxième enquête permettra de vérifier d'ici deux ans si c'est également le cas de la population chinoise en France et en Europe.

Une telle image est paradoxale. Dans les médias ou dans l'imaginaire collectif, l'image de cette minorité « modèle » qui se caractérise par son intégration économique et une mobilité ascendante s'explique parce que nombre de migrants venus s'installer en France après les années quatre-vingt, principalement issus de la région de Wuhan, font preuve entre eux d'une très grande solidarité entrepreneuriale, à l'instar des Juifs, des Kabyles ou…des Auvergnats qui sont venus travailler à la capitale.

Cette pratique entrepreneuriale, fondée sur des liens communautaires, a contribué à développer une sorte d'« entre soi » économique assez frappant dont les conséquences négatives sont rarement soulignées. Une minorité commerciale, entrepreneuriale, est alors associée à l'argent, voire aussi malheureusement à des pratiques considérées comme maffieuses et illégales. L'ascension sociale peut aussi masquer une stigmatisation médiatique ou politique, même si elle n'est pas conçue comme une forme de racisme et quoiqu'elle soit vécue comme telle. Le Point a publié en 2012 un article intitulé « L'intrigante réussite des Chinois de France » qui fait état des « cinq commandements de l'entrepreneur chinois en France » : travailler 80 heures par semaine, dormir dans sa boutique, ne pas payer d'impôts, embaucher des travailleurs au noir… Les grossistes chinois du XIe arrondissement de Paris ont ainsi été montrés du doigt il y a une dizaine d'années. Des journalistes me posent aussi régulièrement des questions sur la tontine, pratique qui n'a pourtant plus nécessairement cours.

Ceci explique l'association automatique des Chinois avec l'argent et l'entreprise, mais aussi les agressions dont ils sont victimes et les problèmes d'insécurité qu'ils rencontrent. Un travail s'impose afin de déconstruire de telles représentations.

Pour la deuxième génération, pour ceux qui sont nés en France, le risque est de considérer qu'il n'y aurait qu'une façon d'être d'asiatique. Souvent, les enseignants jugent que c'est une chance d'avoir beaucoup d'élèves de cette origine car ils pensent spontanément qu'ils seront calmes, travailleurs, silencieux, voire dociles. Ces élèves se voient assignés à certaines caractéristiques et, ainsi, « essentialisés », comme s'il n'y avait qu'une façon d'être asiatique.

Lorsque je me suis rendue dans un lycée professionnel du XIIIe arrondissement de Paris, la personne représentée sur une affiche du conseil d'orientation représentant un comptable était asiatique. Si les élèves d'origine asiatique veulent devenir comptable, pourquoi pas, mais la question de l'ouverture des horizons imaginaires et professionnels se pose : peut-on imaginer des Asiatiques danseurs, acteurs, artistes ? L'école, mais aussi l'ensemble de la société, se doivent de déconstruire de tels stéréotypes afin de modifier les représentations culturelles, comme ce fut le cas lors de la dernière cérémonie des César du cinéma.

Cette essentialisation remet souvent en cause l'appartenance citoyenne des Français d'origine chinoise et asiatique. La Chine devient un acteur international important, parfois jugé menaçant, et ils sont interrogés sur leur adhésion aux valeurs de la démocratie française. Cette nouvelle tendance commence à ébranler leur sentiment d'appartenance.

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