Intervention de Michala Marcussen

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15h00
Commission des affaires sociales

Michala Marcussen :

Madame la présidente, monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'accueillir devant vos commissions. Ainsi que vous l'avez indiqué, je ne suis pas française, mais danoise. Et même si je vis en France depuis 1994, je n'ai pas encore percé tous les mystères de la langue française... je fais donc appel à votre indulgence.

Chef économiste à la Société Générale, j'ai pour fonction de produire des prévisions économiques pour tous les pays où le groupe est présent, et plus globalement sur l'économie mondiale. Mon service, qui compte trente-cinq personnes, a également la responsabilité de procéder aux notations financières externes – le rating – de chaque pays, d'évaluer les risques sectoriels et de procéder à des stress testing, des tests de robustesse du groupe face à différents chocs éventuels. Enfin, depuis quelques années, j'ai la charge de proposer aux conseillers un scénario climatique pour nos exercices d'alignement.

De fait, mon activité principale consiste à étudier les économies mondiale, européenne et française. Tout au long de mon parcours, les sujets européens, qui me tiennent à cœur, et les sujets financiers se sont toujours entrecroisés. J'ai en effet travaillé sur les marchés financiers, dans les métiers de gestion et aujourd'hui au sein du département « risques » de la Société Générale.

L'économie mondiale se trouve aujourd'hui dans une situation exceptionnelle. Peu d'entre nous auraient pu prédire, il y a encore un an, lors de nos analyses des risques, une telle situation. Même si elle reste très incertaine – la crise sanitaire n'est pas terminée –, différentes tendances se profilent dans le développement économique.

La première phase de la crise a été marquée par le confinement. La seconde, après le déconfinement, par une reprise économique, mais suivant une courbe « en aile d'oiseau », comme l'appelle à juste titre la Banque de France : un fort rebond initial, mais qui se tasse par la suite sous l'effet de la crise sanitaire qui perdure.

Trois grandes tendances se profilent.

D'abord, lors du confinement, les ménages ont été forcés d'épargner, faute de pouvoir consommer ; aujourd'hui, il s'agit d'une épargne de précaution. Le premier défi sera donc de redonner confiance aux consommateurs.

Ensuite, les entreprises qui, dans un premier temps, ont réduit leurs offres, commencent maintenant à l'ajuster de manière plus structurelle. L'industrie aéronautique en est un exemple particulièrement clair : le maintien des avions au sol coûtant trop cher, on préfère les décommissionner. Le choc temporaire qui a frappé l'offre économique se transforme en quelque chose de plus permanent.

Enfin, le niveau d'endettement, de l'État comme des entreprises a fortement augmenté. Une des leçons que nous avons tirées de la crise de 2008 concernait une meilleure capitalisation des banques. Cette crise sanitaire démontre que les entreprises doivent également capitaliser davantage. La relation entre l'endettement et la capitalisation des entreprises est une question très importante du point de vue structurel.

Dans un tel contexte, la politique économique de relance est un élément-clé. Si une demande doit absolument être créée à court terme, nous devons également nous préparer pour le moyen terme. C'est la raison pour laquelle, toutes les dernières propositions budgétaires ont été marquées par l'idée d'une transition – digitale, verte et de cohésion sociale.

Par ailleurs, de grandes incertitudes existent sur le plan international. Les discussions liées au Brexit se poursuivent et l'élection présidentielle américaine approche. Le résultat de cette élection sera déterminant, non seulement pour la politique domestique américaine, mais aussi pour la politique étrangère.

Le niveau des taux d'intérêt est également à mes yeux un élément critique. En effet, pour maintenir l'équilibre nécessaire à une relance au moyen d'une politique accommodante, ces taux doivent se maintenir durablement à un niveau très bas. Un taux d'intérêt est fonction de trois composantes : la productivité, l'inflation et les primes de risque. Si les taux remontent parce que la croissance et la productivité repartent, il n'y a rien de préoccupant ; mais il en irait bien différemment si le mouvement est lié à l'inflation, car la relation entre croissance réelle et taux réels est essentielle. Après l'annonce de la nouvelle stratégie de politique monétaire des États-Unis, les marchés financiers craignent une montée de l'inflation qui pousserait les taux à la hausse ; et si l'Europe subit un choc déflationniste, alors même que les taux nominaux resteraient bas, les taux réels commenceraient à monter. La question débattue sur tous les marchés financiers est donc la suivante : les Américains vont-ils pousser à une dépréciation de la devise ? Si oui, quelles mesures la Banque centrale européenne (BCE) pourra-t-elle prendre face à ce mécanisme ?

S'agissant des primes de risque, même si elles sont pour l'instant assez compressées dans la plupart des pays – à quelques exceptions, comme l'Italie –, une reprise de la croissance économique à court terme est indispensable pour réduire les risques à moyen terme.

Il me semble que les conséquences les plus graves de la crise sont derrière nous – je l'espère en tout cas : n'étant pas une experte en matière de crise sanitaire, je ne me permettrai pas de faire des prévisions. Nous formons simplement des hypothèses de travail. Or, dans le scénario que nous avons bâti pour la Société Générale, nous avons pris comme hypothèse le fait que la crise allait continuer, sous une forme ou un autre, une grande partie de l'année 2021.

C'est un scénario qui prévoit tout de même une reprise au cours de cette prochaine année. Cependant, c'est bien la mise en œuvre des mesures adoptées aujourd'hui qui décidera de cette reprise. Les plans de relance, et notamment les investissements publics, sont souvent un bon moyen d'assurer la croissance à moyen terme ; encore faut-il pouvoir les mettre en œuvre rapidement, ce qui n'est pas si évident.

Enfin, madame la présidente, s'agissant de vos questions relatives à la fusion de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, et à la séparation de la dette sociale de la dette générale, je m'abstiendrai de répondre, dans la mesure où ces sujets n'entrent pas dans mon champ d'expertise. En revanche, le niveau de l'endettement et la soutenabilité de la dette sont deux éléments dont je dois tenir compte. La France doit œuvrer pour que ses finances publiques soient, à long terme, saines. Pour ce faire, et c'est une opinion personnelle, les questions relatives à l'éducation – qui inclut la formation continue tout au long de la vie – et à la mobilité sociale sont primordiales si nous voulons une économie agile.

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