Intervention de Michala Marcussen

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 15h00
Commission des affaires sociales

Michala Marcussen :

Les prévisions des différentes instances publiques en France m'ont toujours paru de grandes qualités, notamment parce qu'elles sont transparentes, à la fois sur la production des données et sur leur construction ; j'ai notamment une profonde estime pour l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Chaque prévision est fondée sur une ou plusieurs données ; une bonne prévision dépend donc de la qualité de ces données. Par ailleurs, nous disposons d'un grand nombre de documents de travail de qualité sur des thèmes structurels émanant de plusieurs institutions publiques, en France et dans d'autres pays européens, à commencer par la Banque de France, qui nous permettent les comparaisons, mais également une meilleure compréhension des situations. Je n'ai donc rien à apprendre à la France dans cette matière.

La question relative à l'école de pensée économique à laquelle je pourrais appartenir est intéressante, car il est très tentant de vouloir valider nos analyses par l'appartenance à telle ou telle école de pensée. Mais quand on devient membre d'une instance telle que le HCFP, il est important de faire la distinction entre ce qui devrait être fait et ce qui sera fait en réalité. Ainsi, je suis persuadée, à titre personnel, que nous avons besoin d'une Europe forte. Mais cette opinion ne me donne pas la certitude que nous allons continuer, demain, de construire une telle Europe. J'aimerais bien voir se poursuivre l'union bancaire, l'organisation du marché des capitaux, la construction d'un instrument fiscal commun, et je me réjouis de la création de ce grand fonds européen de 750 milliards d'euros pour accompagner les mesures de relance. Mais comment définir exactement, dans le détail, cette construction européenne ? La question de la validité du pacte de stabilité a été posée : il faut reconnaître que l'objectif, pour les pays européens, d'avoir des finances publiques stables et équilibrées n'est pas tenable en toutes circonstances. Une flexibilité est nécessaire. C'est ce qui a permis de répondre à la crise sanitaire. Cependant, la variable-clé, selon moi, est la croissance. Je suis beaucoup plus intéressée par la croissance que par toutes les autres variables, et notamment par une croissance équitable.

Du fait de mes racines scandinaves, je suis très attachée à la notion de flexi-sécurité, qui distingue clairement les rôles. Il existe cependant à cet égard un débat sous-jacent, qui m'échappe un peu, sur l'organisation des différents postes du budget de l'État.

Par ailleurs, la France et le Danemark partagent une certaine vision de l'organisation du modèle social, que l'on ne connaît pas forcément dans les pays anglo-saxons.

Mais toutes ces opinions sont personnelles et ne doivent pas entrer en ligne de compte lorsque j'effectue des prévisions : je ne suis pas une politique et, encore une fois, mon rôle est d'évaluer ce qui sera réalisé et non ce que je pense qui devrait être fait.

Le plan de relance en France est-il ou non suffisant ? L'élément-clé est la mise en œuvre de ce plan, autrement dit la façon dont il sera décliné. C'est là-dessus qu'il faudra comparer la France et l'Allemagne : si la France a la capacité de mettre en œuvre le plan de façon rapide et efficace, il sera suffisant pour relancer l'économie. Bien sûr, la grande inconnue reste la crise sanitaire : si elle se prolonge et se durcit, il est vraisemblable qu'un second plan de relance, contenant à la fois des mesures temporaires et des mesures à plus long terme, sera nécessaire.

S'agissant du niveau d'endettement des entreprises, on s'aperçoit que le partage entre la dette et le capital dans le bilan des entreprises a basculé très nettement, de manière structurelle, vers la dette. Il s'agit là d'un sujet d'inquiétude, car les investissements financés par les fonds propres ou par l'endettement ne sont pas de même nature : les investissements financés par la dette sont souvent les moins profitables en termes de gains de productivité à long terme. C'est la raison pour laquelle une réflexion devra être menée sur la meilleure façon de dynamiser le bilan des entreprises en vue de libérer l'investissement.

S'agissant des primes de risque sur l'endettement, la Banque centrale européenne a annoncé un programme d'achats d'urgence face à la pandémie (Pandemic emergency purchase programme, PEPP) de 750 milliards d'euros qui lui permettra d'acheter les titres des dettes européennes. Le traité européen ne permet pas à la BCE de racheter les dettes directement auprès des États : cette option, selon moi, n'est de toute façon pas à conseiller.

En revanche, je suis favorable à ce que les pays européens disposent d'un actif commun, sans risque, avec la création d'une dette commune. Le sujet est évidemment complexe, mais cette mise en commun sera nécessaire à moyen terme si nous voulons une Europe forte.

La soutenabilité de la dette publique n'est pas perçue aujourd'hui comme un problème pour les marchés ; mais nous ne sommes pas à l'abri d'un choc qui provoquerait une augmentation des primes de risque. Il est essentiel à moyen terme d'assurer la pérennité des finances publiques, notamment pour accompagner la croissance économique. La France atteindra un niveau d'endettement très élevé à la fin de cette crise ; pour l'heure, les marchés financiers ne s'en inquiètent pas et ne devraient pas s'en inquiéter, me semble-t-il, dans un futur proche. Mais la situation pourrait évoluer à plus long terme – d'où l'importance de la construction européenne.

En ce qui concerne la déclinaison du plan de relance dans les territoires, il est clair pour moi que la France, ce n'est pas Paris. La crise sanitaire, et c'est heureux, nous a poussés à repenser l'organisation du travail et la chaîne de valeur. Les changements seront profonds, structurels, et nous amèneront à repenser l'organisation du tissu industriel français. D'ores et déjà, les entrepreneurs repensent leur organisation du travail et les consommateurs leurs comportements. Reste à faire la part entre les changements de nature purement temporaire et les réelles évolutions sur le long terme à partir desquelles il conviendra de réorganiser le pays.

Quel est le rôle des banques dans la crise actuelle ? Elles ont d'abord joué un rôle-clé dans la mise en place de différents programmes dans l'économie réelle ; par ailleurs, elles sont là pour accompagner le financement de l'économie. Mais il est également important d'avancer sur les différents projets européens en matière de financement. C'est la raison pour laquelle je me réjouis que la BCE s'investisse sur la question de l'union des marchés des capitaux.

S'agissant de votre question relative à la sécurité sociale, madame la députée, sachez que pour analyser les finances publiques françaises, je m'intéresse davantage à la dynamique de la dette, des dépenses et de l'organisation, ainsi qu'à leurs incidences sur l'économie, qu'à l'organisation entre les différents piliers. Mais il est évident que la question de l'efficacité à terme de l'organisation de la sécurité sociale en France devra être posée, même s'il est tout à fait normal, en ces temps de crise, de solliciter davantage les dispositifs.

À ce propos, l'adoption de mesures européennes en matière de santé me paraît indispensable. Je suis déçue que les pays européens n'aient pas mieux su coopérer depuis le début de la crise ; c'est là un axe qu'ils devront développer dans les années, voire les mois à venir. Je me réjouis qu'une volonté de meilleure coordination sur ces questions se soit déjà exprimée. J'en profite pour vous dire ma satisfaction de voir l'émergence d'une coopération et d'une réelle solidarité entre les pays européens en matière d'allocations chômage.

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